D’un gouvernement économique en zone Euro : l’idée d’un « fédéralisme exécutif
D’un gouvernement économique en zone Euro : l’idée d’un « fédéralisme exécutif » : mythes et limites Chaire de philosophie de l’Europe L’idée d’un « fédéralisme exécutif » : mythes et limites Jean-Marc FERRY rejoint l’Université Libre de Bruxelles en 1990. Devenu l’un des philosophes fran çais les plus en vue à l’étranger, il a publié plus d’une vingtaine de livres de philosophie politique dont 5 consacrés à l’Europe. Il dirige deux collections et fut le fondateur et président de la plus importante école doctorale d’études européennes au sein de l’Union. Il a rejoint Nantes pour 3 ans en devenant le titulaire de la « chaire de philosophie de l’Eu rope » destinée principalement à impulser et animer la recherche sur les questions européennes. Faculté de Droit et des Sciences politiques Chemin de la Censive du Tertre BP 81307 44313 Nantes Cedex 3 Tel : 02 40 14 15 15 www.droit.univ-nantes.fr Formé à l’IEP de Paris, à Paris 1 puis en Allemagne aux côtés de Jürgen Habermas, Jean-Marc Ferry est d’abord de venu chercheur au CNRS puis a L’Europe face à la crise : quel modèle économique et social ? Leçon n°5 D’UN GOUVERNEMENT ÉCONOMIQUE EN ZONE EURO L’idée d’un « fédéralisme exécutif » : mythes et limites www.univ-nantes.fr/droit Chaire de philosophie de l’Europe Séminaire du 02/12/2011 D’un gouvernement économique en zone Euro : l’idée d’un « fédéralisme exécutif » : mythes et limites Chaire de philosophie de l’Europe L’idée d’un « fédéralisme exécutif » : mythes et limites Le « traumatisme » créé par le rejet du défunt projet constitutionnel a été aussitôt suivi de recommandations de rattrapage, parmi lesquelles l’appel à créer une zone d’intégration renforcée au sein de l’Union européenne. On mettait en exergue l’avantage d’une zone pilote qui pourrait exercer un effet d’exemplarité et d’entraî nement sur les autres membres, et qui, même, pourrait représenter un terrain d’observation expérimental pour d’autres régions du monde qui tendent à se constituer en unités de survie métanationales. En tout cas, l’alternative est posée : intégration globale ou intégration différentielle ? Dans les faits, l’alternative est tranchée. Il existe, de fait, des degrés différents dans l’intégration fonctionnelle de l’Union. Par exemple, Ulrich Beck et Edgar Grande ont pu ainsi distinguer quatre zones d’intégration européenne : une zone d’intégration complète (la zone euro), une zone de coopération renforcée (le premier pilier), une zone de coopération restreinte (les deuxième et troisième piliers) et une zone de domination élargie (candidats et pays associés)1. On peut sans doute contester les ca ractérisations proposées : par exemple, il peut sembler exagéré de parler de « zone d’intégration complète » à propos de la zone euro en l’absence d’harmonisation de la fiscalité et des régimes sociaux ; exagéré, également, de présenter les candidats et pays associés comme représentant pour l’Union une extension de sa zone de domination. Il y a cependant un problème de disparité qui devient patent, et cela, au sein même de la zone €. On parle d’un « Nord » et d’un « Sud », la région des « buveurs de bière » et celle des « buveurs de vin ». Le « Nord » comprend notamment l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande, la Belgique. Le « Sud » se composerait de la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce. La spécialité du Nord est l’industrie. Les coûts de production y sont contrôlés, il y a un excédent extérieur, et l’on n’a pas de problème de Finances publiques. 1 Ulrich BECK, Edgar GRANDE, Pour un Empire européen, trad. par Aurélie Duthoo, Paris, Flammarion, 2007 Le Sud s’est spécialisé dans les services non expor tables. Il a un problème de compétitivité-coût, présente de nombreux déséquilibres macro-économiques2. Voici quelques données chiffrées pour illustrer la disparité apparemment croissante entre « Nord » et « Sud » de la zone € : • Coût salarial base 100 en 1999 : Nord 111 en 2011 ; Sud 135 en 2011. • Balance courante en % du PIB : Nord + 4% (avec des pics à + 7%) ; Sud – 4% en 2011, alors qu’ils étaient l’un et l’autre à 0 en 1999. • PIB par tête : Nord 32000 ; Sud 26000. Le Sud était à près de 90% du Nord en 2006. Il est à 84% en 2011. • Dépenses R&D/PIB : Nord 4,8% ; Sud 1,5. 3 fois plus de brevets triadiques par millions d’habitants au Nord qu’au Sud. • Chômage en 2011 : Nord 6,2% ; Sud 11,7%. • Plus préoccupante, peut-être, est la structure d’éducation de la population active : en 2008 (évaluation 2010 OCDE), ceux dont le niveau d’éducation est infé rieur au deuxième cycle du secondaire représentent, au Nord, 18% de la population active, contre 41% pour le Sud. Le pronostic d’experts est que la désindustrialisa tion du Sud est un phénomène probablement irréver sible, de même que le déficit courant. Je reviendrai sur ce pronostic et ce qui le justifie. On recommande alors un « fédéralisme » qui consisterait dans de larges transferts du Nord vers le Sud, de forts mouvements migratoires dans ce sens chez les retraités, ainsi que le subventionnement des intérêts d’emprunt et des impôts communs. Je reviendrai également sur ces re commandations en les précisant en lien avec le pronos tic qui les inspire. En attendant, c’est la question d’un « gouvernement économique » en zone Euro, que je voudrais problématiser, ainsi que le thème connexe d’un « fédéralisme exécutif ». Or, deux ordres de considérations pourraient inviter 2 Voir Patrick ARTUS, Confrontations Europe, ainsi que pour les don nées et analyses et recommandations connexes. INTÉGRATION GLOBALE ET INTÉGRATION DIFFÉRENTIELLE Le Conseil européen n’est pas et ne peut être politiquement responsable. Cependant, la Commission manque de légitimité politique et le Parlement européen a indéniablement un problème de représentativité politique. Cette situation invite à envisager une réorganisation des Pouvoirs publics de l’Union. En outre, le ralliement sur le thème montant du fédéralisme exécutif peut reposer sur un malentendu profond, si certains y voient l’opportunité de mieux transmettre les impératifs de marché aux budgets nationaux, tandis que d’autres y entrevoient la réalisation d’un Etat fédéral européen. Cette situation invite à poser clairement la problématique du contenu de la politique écono mique qu’un tel gouvernement engagerait. D’un gouvernement économique en zone Euro : l’idée d’un « fédéralisme exécutif » : mythes et limites Chaire de philosophie de l’Europe L’idée d’un « fédéralisme exécutif » : mythes et limites à problématiser l’intention d’un gouvernement écono mique pour l’Union européenne. Je distingue entre des arguments « principiels » et des arguments « circons tanciels ». LES ARGUMENTS PRINCIPIELS Trois arguments principiels concernent respective ment : a) La responsabilité politique ; b) Le régime de souveraineté ; c) Le problème de la représentation. Ad (a). Le problème de la responsabilité gouverne mentale. Jusqu’au traité de Maastricht il semblait assez naturel d’estimer que la Commission aurait vocation à être le gouvernement de l’Europe. La Commission des Communautés européennes se profilait, avant Maas tricht, comme l’instance prépondérante du triangle institutionnel. C’est elle qui était gardienne des trai tés ; qui faisait censément valoir l’intérêt général de la Communauté face aux égoïsmes, chauvinismes et narcissismes nationaux ; qui exerçait pleinement son monopole d’initiative pour la proposition de directives, règlements et décisions ; qui, de conserve avec la Cour Européenne de Justice, veillait à faire intérioriser par les États membres les disciplines communautaires ; qui jouissait du prestige de son Président, Jacques Delors ; qui déployait une vision à long terme des tâches et enjeux profonds de la construction, avec sa Cellule de Prospective, animée par Jérôme Vignon ; et qui impul sait aux fonctionnaires européens une certaine hauteur de vues. Après Maastricht, la donne institutionnelle a chan gé. L’autorité s’est déplacée de la Commission vers le Conseil, tandis que le Parlement gagnait des préroga tives classiques : contrôle, censure, investiture, législa tion (codécision avec le Conseil pour les mesures prises par ce dernier à une majorité). Ce changement d’équi libre entre les Pouvoirs publics de l’Union fut donc ins tauré par le traité de Maastricht, en même temps que le schéma nouveau des trois piliers fonctionnels dont l’un est communautaire (MI, PAC) et les deux autres (PESC/ PESD et JAI) sont intergouvernementaux. Les fonctionnaires de la Commission ont vécu cela comme un méchant coup politique, mais ils ne pou vaient protester tout haut, car la légitimité n’était pas de leur côté. L’opération fut en effet servie par une rhéto rique des dirigeants étatiques qui, durant la campagne de ratification, notamment, la campagne référendaire française, ont fait valoir que c’en serait fini du déficit démocratique, puisqu’un tel rééquilibrage renforçait le pôle politique des élus (Conseil et Parlement) au détri ment du pôle « bureaucratique » des « technocrates de Bruxelles ». La rhétorique était sournoise, car, dans les faits, la passation de pouvoir au Conseil consacrait le court- circuitage intergouvernemental des Parlements natio naux, tout en faisant prévaloir dans l’ensemble des pro cessus décisionnels de l’Union la méthode diplomatique des négociations sur la méthode plus démocratique uploads/Politique/jean-marc-ferry-05-d-x27-un-gouvernement-e-conomique-de-l-x27-union-l-x27-ide-e-d-x27-un-fe-de-ralisme-exe-cutif.pdf
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- Publié le Sep 01, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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