L’AUTORITÉ ENTRE SEMBLANT ET RESPONSABILITÉ Alfredo Zenoni L'École de la Cause

L’AUTORITÉ ENTRE SEMBLANT ET RESPONSABILITÉ Alfredo Zenoni L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne » 2009/3 N° 73 | pages 199 à 219 ISSN 2258-8051 ISBN 9782905040671 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2009-3-page-199.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Par rapport à l’époque où Hannah Arendt posait à nouveau la question de l’autorité et de sa crise dans le monde moderne1, aujourd’hui cette divergence ne se superpose pas immédiatement aux lignes de démarcation simple entre droite et gauche, signe peut-être que le débat a atteint depuis lors un niveau plus probléma- tique et donc plus structurel. Cependant, bien que transversales, les prises de posi- tion se laissent encore résumer à l’opposition entre le regret « conservateur » et l’es- poir « progressiste », que H. Arendt renvoyait à une commune méconnaissance de la spécificité de la notion. En concevant l’autorité comme le pouvoir de restreindre sous quelque forme que ce soit la liberté, écrivait-elle, le philosophe ou l’écrivain libéral ne voit la constance du progrès que dans la disparition constante du pouvoir, quelle que soit la nature de celui-ci, tandis que la pensée conservatrice s’ingénie sur- tout à faire valoir la différence entre l’autorité qui permet la sauvegarde de la liber- té et la disparition de la liberté, qui résulte de l’abolition de l’autorité, dans le régi- me tyrannique ou totalitaire. L’identification de l’autorité avec une forme de vio- lence, considérée comme inutile et illégitime dans un cas, nécessaire et légitime dans l’autre, paraît constituer le point commun aux deux positions. * Alfredo Zenoni est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne. 1. Arendt H., « Qu’est-ce que l’autorité », La Crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972. 2. Ibid., p. 123. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) Alfredo Zenoni 200 Or, dit H. Arendt, si l’autorité requiert l’obéissance, elle se spécifie justement d’ex- clure « l’usage de moyens extérieurs de coercition », tout en ne se servant pas de per- suasion par argument2. L’auctoritas ne se confond pas avec la potestas3. C’est bien de « la possibilité qu’a un agent d’agir sur les autres (ou sur un autre), sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant capables de le faire », et sans recours à la dis- cussion, qu’il s’agit, comme le formule dans des termes un peu plus rudes A. Kojève dans La Notion de l’autorité 4. Elle constitue néanmoins un phénomène de non réci- procité et de dissymétrie dans la relation humaine, distinct d’un rapport de forces physique ou économique, qui n’a pas manqué de choquer la pensée, humaniste on non 5. Les phénoménologues, notamment, ont été amenés à concocter des définitions de l’autorité qui la coupent de toute référence à l’obéissance, mais la vident du même coup de sa substance6, pour pouvoir l’adapter au cadre de l’« intersubjectivité ». Aujourd’hui encore, dans les discours qui en traquent les derniers vestiges ou qui en invoquent la restauration, la notion d’autorité ne paraît pas toujours être distinguée de la violence ou de la coercition physique. Ce sont les connotations de domination, d’in- égalité, de hiérarchie, échos d’un régime politique et social d’un autre âge, qui posent problème à la pensée progressiste. Comment concevoir une quelconque forme d’auto- rité dans un régime où le seul pouvoir légitime est censé être celui que l’on a sur soi- même et la seule obéissance, celle que l’on doit à sa propre volonté ? À l’inverse, c’est l’abandon de toute forme de punition ou de discipline par une autorité disqualifiée, parce que seulement « symbolique », qui est stigmatisé par la pensée conservatrice. Depuis que la souveraineté d’une société a trouvé son fondement légitime dans l’égalité et la liberté des individus qui la composent, la notion d’un contrat ou d’un pacte entre ces mêmes individus paraît désormais pouvoir se passer de toute forme de hiérarchie, de commandement, de subordination que connote l’idée d’autorité. Obéissant à la loi qui traduit la volonté générale, l’individu « ne fait qu’obéir à lui- même et reste aussi libre qu’auparavant »7. Certes, depuis l’époque de Rousseau et de la Révolution française, les vicissitudes de l’histoire et la réflexion politique ont problématisé les termes de cette fondation théorique. Il reste, constate Marcel Gauchet 8, qu’après une disqualification des 3. Sur l’étymologie et l’emploi ancien de cette notion d’autorité (auctoritas, du verbe augere, augmenter, etc.), on se reportera à E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Minuit, 1969, vol. 2, p. 143-154, largement repris par les auteurs qui traitent de la question. 4. Texte rédigé en 1942, mais publié seulement en 2004. Kojève A., La Notion de l’autorité, Paris, Gallimard, 2004, p. 58-59. 5. Le premier à en avoir souligné l’étrangeté et la manifestation extrême comme « servitude volontaire » est, comme on sait, E. de La Boétie. 6. Voir, entre autres, H. G. Gadamer, Vérité et Méthode, Paris, Le Seuil, 1976, p. 118. La palme va cependant à l’ou- vrage d’un logicien, le Père Bochenski, Qu’est-ce que l’autorité ?, éditions universitaires de Fribourg (Suisse), 1979, qui réussit à fournir une série de distinctions savantes sans jamais donner une définition de ce qu’il entend par auto- rité. 7. C’est la fiction rousseauiste de la volonté générale : en n’obéissant qu’à un « tous » devenu « un », on obéit à per- sonne puisqu’on fait partie de cet un. 8. Pour une analyse socio-historique et politique de la phase actuelle de nos démocraties, on ne peut ici que renvoyer aux travaux de Marcel Gauchet. Nous nous référons notamment à La Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002 et La Condition historique, Paris, Stock, 2003. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) 201 L’autorité entre semblant et responsabilité droits individuels et du contrat social au nom de l’Histoire, au cours du XIXe siècle, et après l’effort de donner un contenu concret à ces droits individuels abstraits, en fonction des appartenances et des conditions socio-économiques, nous sommes entrés dans une phase de la démocratie où son fondement individualiste passe à nouveau au premier plan. Avec cette nouvelle promotion de la dynamique sponta- née des libertés individuelles comme expression du principe fondateur de la démo- cratie, l’idée que le progrès démocratique consiste en l’élimination de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une forme de pouvoir, s’appuie de surcroît aujour- d’hui sur l’application de la supposée autorégulation du marché à l’ensemble de la société. Il suffirait de laisser la société devenir elle-même, dans les échanges et la conversation permanente de tous avec tous, pour qu’une régulation spontanée s’en dégage, qui se passerait des formes de pouvoir « d’en haut » qui survivent encore dans nos démocraties. De ce point de vue, la considération de la politique à partir du simple droit apparaît être solidaire de ce que G. Châtelet a appelé une concep- tion cybernétique de la société 9, qui serait débarrassée de toute forme de régulation « externe » ou « supérieure », de toute forme d’autorité en somme, pour n’être que la réalisation de sa propre régulation interne. Autorité et démocratie dans l’éducation Cependant, il paraît difficile, même à des auteurs progressistes, d’exclure toute réfé- rence à un principe d’autorité dans la sphère de la vie familiale et dans celle de l’éco- le, même si son application semble en contradiction avec les fondements de liberté et d’égalité de la société, centrés sur les droits de l’individu, y compris les droits de l’enfant. Le déclin de l’autorité du père, que déjà Balzac constatait et regrettait10, et que la loi a sanctionné par la suppression de la notion de « puissance paternelle » en uploads/Politique/ l-x27-autorite-entre-semblant-et-responsabilite.pdf

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