DISCOURS PRÉLIMINAIRE DE LA CONFORMITÉ DE LA FOI AVEC LA RAISON 1. Je commence
DISCOURS PRÉLIMINAIRE DE LA CONFORMITÉ DE LA FOI AVEC LA RAISON 1. Je commence par la question préliminaire de la conformité de la foi avec la raison, et de l'usage de la philosophie dans la théologie, parce qu'elle a beaucoup d'influence sur la matière principale que nous allons traiter, et parce que M. Bayle l'y fait entrer partout. Je suppose que deux vérités ne sauraient se contredire ; que l'objet de la foi est la vérité que Dieu a révélée d'une manière extraordinaire, et que la raison est l'enchaînement des vérités, mais particulièrement (lorsqu'elle est comparée avec la foi) de celles où l'esprit humain peut atteindre naturellement, sans être aidé des lumière de la foi. Cette définition de la raison, c'est-à-dire de la droite et véritable raison, a surpris quelques personnes accoutumées à déclamer contre la raison prise dans un sens vague. Ils m'ont répondu qu'ils n'avaient jamais entendu qu'on lui eût donné cette signification ; c'est qu'ils n'avaient jamais conféré avec des gens qui s'expliquaient distinctement sur ces matières. Ils m'ont avoué cependant qu'on ne pouvait point blâmer la raison, prise dans le sens que je lui donnais. C'est dans le même sens qu'on oppose quelquefois la raison à l'expérience. La raison, consistant dans l'enchaînement des vérités, a droit de lier encore celles que l'expérience lui a fournies, pour en tirer des conclusions mixtes ; mais la raison pure et nue, distinguée de l'expérience, n'a affaire qu'à des vérités indépendantes des sens. Et l'on peut comparer la foi avec l'expérience, puisque la foi (quant aux motifs qui la vivifient) dépend de l'expérience de ceux qui ont vu les miracles sur lesquels la révélation est fondée, et de la tradition digne de croyance qui les a fait passer jusqu'à nous, soit par les Ecritures, soit par le rapport de ceux qui les (50) ont conservées, à peu près comme nous nous fondons sur l'expérience de ceux qui ont vu la Chine et sur la crédibilité de leur rapport, lorsque nous ajoutons foi aux merveilles qu'on nous raconte de ce pays éloigné. Sauf à parler ailleurs du mouvement intérieur du Saint-Esprit, qui s'empare des âmes, et les persuade et les porte au bien, c'est-à-dire à la foi et la charité, sans avoir toujours besoin de motifs. 2. Or, les vérités de la raison sont de deux sortes : les unes sont ce qu'on appelle les vérités éternelles, qui sont absolument nécessaires, en sorte que l'opposé implique contradiction ; et telles sont les vérités dont la nécessité est logique, métaphysique ou géométrique, qu'on ne saurait nier sans pouvoir être mené à des absurdités. Il y en a d'autres qu'on peut appeler positives, parce qu'elles sont les lois qu'il a plu à Dieu de donner à la nature, ou parce qu'elles en dépendent. Nous les apprenons, ou par expérience, c'est-à-dire a posteriori, ou par la raison et a priori, c'est-à-dire par des considérations de la convenance qui les ont fait choisir. Cette convenance a aussi ses règles et ses raisons ; mais c'est le choix libre de Dieu, et non pas une nécessité géométrique, qui fait préférer le convenable et le porte à l'existence. Ainsi, on peut dire que la nécessité physique est fondée sur la nécessite morale, c'est- à-dire sur le choix du sage digne de sa sagesse ; et que l'une aussi bien que l'autre doit être distinguée de la nécessité géométrique. Cette nécessité physique est ce qui fait l'ordre de la nature, a consisté dans les règles du mouvement et dans quelques autres lois générales qu'il a plu à Dieu de donner aux choses en leur donnant l'être. Il est donc vrai que ce n'est pas sans raison que Dieu les a données ; car il ne choisit rien par caprice et comme au sort ou par une indifférence toute pure ; mais les raisons générales du bien et de l'ordre qui l'y ont porté peuvent être vaincues dans quelques cas par des raisons plus grandes d'un ordre supérieur. 3. Cela fait voir que Dieu peut dispenser les créatures des lois qu'il leur a prescrites et y produire ce que leur nature ne porte pas, en faisant un miracle ; et lorsqu'elles sont élevées à des perfections et à des facultés plus nobles que celles où elles peuvent arriver par leur nature, les scolastiques appellent cette faculté une puissance obédientielle, c'est-à-dire que la chose acquiert en obéissant au commandement de celui qui peut donner ce qu'elle n'a pas, quoique ces scolastiques donnent (51) ordinairement des exemples de cette puissance que je tiens impossibles, comme lorsqu'ils prétendent que Dieu peut donner à la créature la faculté de créer. Il se peut qu'il y ait des miracles que Dieu fait par le ministère des anges, où les lois de la nature ne sont point violées, non plus que lorsque les hommes aident la nature par l'art, l'artifice des anges ne différant du nôtre que par le degré de perfection ; cependant il demeure toujours vrai que les lois de la nature sont sujettes à la dispensation du législateur, au lieu que les vérités éternelles, comme celles de la géométrie, sont tout à fait indispensables, et la foi n'y saurait être contraire. C'est pourquoi il ne se peut faire qu'il y ait une objection invincible contre la Vérité. Car si c'est une démonstration fondée sur des principes ou sur des faits incontestables, formée par un enchaînement des vérités éternelles, la conclusion est certaine et indispensable, et ce qui y est opposé doit être faux ; autrement deux contradictoires pourraient être vraies en même temps. Que si l'objection n'est point démonstrative, elle ne peut former qu'un argument vraisemblable, qui n'a point de force contre la foi, puisqu'on convient que les mystères de la religion sont contraires aux apparences. Or, M. Bayle déclare, dans sa réponse posthume à M. Le Clerc, qu'il ne prétend point qu'il y ait des démonstrations contre les vérités de la foi ; et par conséquent toutes ces difficultés invincibles, ces combats prétendus de la raison contre la foi s'évanouissent. Hi motus animorum atque hæc discrimina tanta Pulveris exigui jactu compressa quiescunt . 4. Les théologiens protestants, aussi bien que ceux du parti de Rome, conviennent des maximes que je viens de poser, lorsqu'ils traitent la matière avec soin ; et tout ce qu'on dit contre la raison ne porte coup que contre une prétendue raison, corrompue et abusée par de fausses apparences. Il en est de même des notions de la justice et de la bonté de Dieu. On en parle quelquefois, comme si nous n'en avions aucune idée ni aucune définition. Mais en ce cas nous n'aurions point de fondement de lui attribuer ces attributs ou de l'en louer. Sa bonté et sa justice, aussi bien que sa sagesse, ne diffèrent des nôtres que parce qu'elles sont infiniment plus parfaites. Ainsi, les notions simples, les vérités nécessaires et les conséquences démonstratives de la philosophie ne sauraient être contraires à la révélation. Et lorsque quelques maximes philosophiques sont rejetées en théologie, c'est qu'on tient qu'elles ne sont (52) que d'une nécessité physique ou morale, qui ne parle que de ce qui a lieu ordinairement, et se fonde par conséquent sur les apparences, mais qui peut manquer, si Dieu le trouve bon. 5. Il paraît, par ce que je viens de dire, qu'il y a souvent un peu de confusion dans les expressions de ceux qui commettent ensemble la philosophie et la théologie, ou la foi et la raison ; ils confondent expliquer, comprendre, prouver, soutenir. Et je trouve que M. Bayle, tout pénétrant qu'il est, n'est pas toujours exempt de cette confusion. Les mystères se peuvent expliquer autant qu'il faut pour les croire ; mais on ne les saurait comprendre ni faire entendre comment ils arrivent ; c'est ainsi que même en physique nous expliquons jusqu'à un certain point plusieurs qualités sensibles, mais d'une manière imparfaite, car nous ne les comprenons pas. Il ne nous est pas possible non plus de prouver les mystères par la raison ; car tout ce qui se peut prouver a priori, ou par la raison pure, se peut comprendre. Tout ce qui nous reste donc, après avoir ajouté foi aux mystères sur les preuves de la vérité de la religion (qu'on appelle motifs de crédibilité), c'est de les pouvoir soutenir contre les objections ; sans quoi nous ne serions point fondés à les croire, tout ce qui peut être réfuté d'une manière solide et démonstrative ne pouvant manquer d'être faux ; et les preuves de la vérité de la religion, qui ne peuvent donner qu'une certitude morale, seraient balancées et même surmontées par des objections qui donneraient une certitude absolue, si elles étaient convaincantes et tout à fait démonstratives. Ce peu nous pourrait suffire pour lever les difficultés sur l'usage de la raison et de la philosophie par rapport à la religion, si on n'avait pas affaire bien souvent à des personnes prévenues. Mais comme la matière est importante et qu'elle a été fort embrouillée, il sera à propos d'entrer dans un plus grand uploads/Religion/ 00-theodicee-discours.pdf
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- Publié le Mar 13, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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