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/ 1 1 1 ~TUBES TRADITIONN~LLES 6oe A:nnée Juillet-Aofit 1959 L'IMAGINATION DANS LE SOUFISi\'\B ' N• 354 (à propos du livre de M. Corbln) (1) 1 1 I. - LE MONDE DES IMAGES i ENTRE la mystérieuse réalité du monde spirit~el, domaine informel de la métaphysique, et le monde des phéno- mènes sensibles, do.:rÏ:iaine de la science profank, s'étend ce qu'on nomme généralement, en usant d'un symi\o!isme topo- logique, le monde intermédiaire, celui où les id~es prennent forme, où s'organisent les langues, où naissent les images, où s'effectuent les échanges d'énergies, où se tratlsmettent les influences spirituelles. Ce monde des métambrphoses est illusoire comme celui des rêves et celà dans lCS deux sens, aussi bien du point de vue du Principe, dont ce! monde n'est qu'un reflet changeant, que du point de vue du monde phy- sique, hors duquel nos sens sont muets. Il n'en ést pas moins • 1 • réel et nécessaire, bien que d'une importance fort variable suivant les êtres qui se manifestent en lui-et pdr là le maui- ' festent. L'intuition supérieure nous en permet il'accès grâce an rapport harmonique existant entre le physique et le métaphysique, conception régularisée par la ponnaissance exacte des symboles, par la Science de la Balance, comme dit la. terminologie soufie. 1 Pour situer pins exactement ce monde dans la perspective de l'ésotérisme islamique, disons qu'il peut êtrel divisé d'une ' t. L'lmagination créatrice dans le Soufisme d'lbn Arabi (Paris, Flamma- rion, 1958). ' 10 150 ÉTUD~S TRADITIONNELLES façon tont arbitraire, pnisque ce monde est celui des coexis- tences, en une hiérarchie de cinq plans ou Présences, celni du monde de !'Essence, du monde angélique des Esprits, du monde angélique des Ames, du monde des Images (ou Ana-. logies) et enfin du monde visible· et sensible. Au niveau de chacun de ces plans ou de ces Descentes, sauf bien entendu pour le premier, l'énergie créatrice se polarise en deux aspects complémentaires tels que !'apparent et le caché, l'intérieur et l'extérieur, l'actif et le passif, dans une union qui consti- tue la Présence correspondante. Chaque Présence n'est réelle que dans sa manifestation, comme tout ce qui se passe dans le monde intermédiaire et chacune se rattache à un centre subtil de l'homme. Il n'y a pas d'homme sans assi- gnation sur un de ces plans, qui suppose tous les autres par symbolisme ascendant. Toutes les " existences ».sont simul- tanées snivant la doctrine des états mù!tiples, et le monde de la manifestation subtile es~ souvent nommé; par extension d'une de ses fonctions, le Monde des Iinages (' alam al- Milhâl). Il est le lieu des apparitions, des esprits, des anges, des <c hlstoires » et des cc actions >> divines. On peut dire en effet que Dieu a créé runivers en cc l'ima-: ginant ». La création peut être dite une théophanie, une c< apparition divine l>, un cc acte divin », un jeu de la Maya, suivant le terme hindou. A. K. Coomaraswamy a heureuse- ment expliqué que le mot maya pouvait être traduit par " art » mieux que par « illusion » et signifiait plutôt « l'acti- vité » divine en tant que distincte de la " volonté » divine. Cet " art divin », qui se déploie dans la manifestation subtile, est le modèle de toute action magique ou même de l'actioi:i au sens large, puisqu'il donne naissance à la nature et au monde sensible. La création ne cesse jamais et on le corp.- prend facilement, puisque c'est une métamorphose éphémère et nécessairement renouvelée. Une création achevée serait logiéiuement absurde et c'est en celà qu'elle est cc illusoir~ » c'est-à-dire temporelle. La réalisation matérielle d'une image la Tend périmée. La création est un flux perpétuel comme 1 l L'IMAGINATION DANS LE SOUFISME 151 l'eau qui coule crée la permanence apparente du fleuve. Ce que suppose la fameuse et ironique apostrophe du Créateur dans le Coran: «Serions-Nous fatigué par une prern:ièrecréa- tion ? • Ibn 'Arabi distingue dans !'Imagination deux degrés. Au niveau supérieur une imagination dissociable1 s'exerçant sur les réalités du monde subtil qui peuvent se manifester en d'autres individualités et qui exerce ainsi une fonction «objective » et cosrn:ique. Au degré inférieur une imagination conjointe, inséparable du snjet comme Présence et de qui relève, par exemple, le « Dieu créé dans la foi•. L'imagination n'est donc pas le pouvoir douteux qui, dans son sens vulgaire, nous abuse de ses phantasmes, mais nne fonction psychique autonome, un instrument médiateur, un orgarie de liaison et de perception. Elle se polarise au plan individuel, d'un côté en un organe spécifique de connaissance du monde intermédiaire, et de l'autre en un organe d'action préparatoire à l'égard du monde sensible. Elle présente à l'homme le modèle de la chose à faire et notamment, comme nous le verrons, à l'artiste. Sa « créativité • est plutôt une << mise en rapport >), grâce à l'énergie visionnaire de l'élan spirituel, de « l'intention » (niyah), de la concentration du cœur (himma). Lors de cette concentration l'initié contrôle et maintient en lui les états ou présences qu'il a pu atteindre. Un instant suffit puisque sur ce plan le temps n'existe pas. Son activité imaginatrice, sa sensibilité aux métamorphoses, qui devance et modèle la perception sensible et lui prépare son réceptacle, c'est, en un mot, l'organe du surnaturel, la voie ordinaire de la contemplation, des révélations et des prophéties.* Toute influence spirituelle, en effet, passe obligatoirement par cette imagination spécifique et dérive de l'esprit prophé- tique originel, source de toute tradition, ce que l'on oublie trop souvent. C'est elle qui nous permet de prendre cons- cience de !'Esprit Saint, inspirateur de !'Ange de la connais- sance, de l'imdmat caché en chacun de nous. C'est cette même x52 ÉTUDES TRADITIONNELLES faculté dont l'initiation a pour but de ressusciter l'exercice en vivifiant en nous l'influx de la grâce, toujours présent, quoique presque toujours insensible. Tout prophète collabore consciemment avec l'Esprit ou l'Ange qui.le meut. Mais l'audition ou la vision directe qu'il accueille ne peut être J;ransmise par lui et reçue par nous que comme nn message intermédiaire que l'intellect interprète, ce qui suppose que tout spirituel est, à son niveau, son propre envoyé. La source de cette herméneutiquesetrouvedansl'intellect actif, dont on a pu se faire des conceptions également valables. Au niveau du Principe, si l'on peut dire, c'est une Intelligence Unique à laquelle tous les êtres participent dans une mesure indéfiniment variée. Au niveau des individus c'est un agent personnel et immanent. Dans le monde inter- médiaire, où notre propos nous maintient, l'influence pro~ phétique du Principe se reflète dans une pluralité d'intelli- gences séparées par la diversité spécifique des âmes. Cette conception intermédiaire a été celle d' Abû'l-Barakât (mort eu n65) et elle n'est pas contradictoire avec les deux autres puisqu'elle les unit. Le monde intermédiaire peut aussi être appelé le monde angélique, les anges personnifiant les qualifications des familles d'âmes, qui manifestent ainsi leur fraternité psy- chique. Chaque âme est la mesure de ce qu'elle peut com- prendre et.le signe de la lumière qu'elle a reçue. Chacun de nous participe à l'ange de son être, qui est l'ange de ceux dont il est psychiquement proche. L'ange du maître est aussi celui du disciple et ces divers degrés angéliques, qui repré- sentent les qualités de l'Homme Universel, sont spécifiés en Islam dans la doctrine des Noms Divins. L'angélologie soufie a emprunté son vocabulaire et son imagerie à l' angélologie d' Avicenne, elle-même issue du néo- platonisme. Avicenne identifiait l'Intellect actif avec l'Esprit Saint et l' Ange de la Révélation prophétique. Or, comme on le sait, la scholastique du xm• siècle n'a pas plus admis l'an- L'IMAGINATION DANS LE SOUFISME I53 gélologie avicénienne que l'Eglise du n• siècle_n'avait admis le prophétisme de Montan. L'Eglise rejeta Montan, et saint Thom~ rejeta Avicenne, de même que 1'exotérism~ isla- mique écaita le chiisme. Mais comme l'esprit prophétique préexiste à tout dogme et que cet esprit, qui en est la source, · est seul capable de l'expliquer, le même rapport reparait et la même question se repose à tout autre degré de la hiérar- chie. Il est donc naturel que le soufisme ait investi de la qualité de nabl, tout spirituel qualifié qui paiticipe à !'intellect agent. Et si cette assimilation a été possible c'est parce que, con- trairement aux suppositions de l'exotérisme, qui sans celà n'existerait pas, aucun envoyé ne veut, ni ne peut établir une <c loi nouvelle )). C'est l'incompréhension de.la foule qui transforme le nou- veau message d'une Vérité immuable en nouvelle vérité. Les révolutions spirituelles ne sont jamais qu'apparentes et illu- soires comme le domaine où elles se "produisent. Un èxoté- · risme nouveau -remplace l'ancien et la Vérité demeure aussi cachée sous le voile changeant de la Maya. 2. - LES NOMS DIVINS Le monde intermédiaire, puisqu'il est un lieu de passage, s'évanouit quand l'être atteint le " centre du monde » ou « le cœur de l'homme universel J>, où se cache le maître invi- sible, le mystérieux Khidr, initiateur de Moïse, que la tra- uploads/Religion/ benoist-luc-c-r-imagination-creatrice-et354.pdf

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  • Publié le Jui 11, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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