ﻣﺠﻠﺔ ﺣﻮﻟﻴﺎت اﻟﺘﺮاث Revue Annales du Patrimoine ISSN 1112-5020 Hawliyyat al-Tura

ﻣﺠﻠﺔ ﺣﻮﻟﻴﺎت اﻟﺘﺮاث Revue Annales du Patrimoine ISSN 1112-5020 Hawliyyat al-Turath, University of Mostaganem, Algeria N° 8, September 2008 Louis Massignon l’amour mystique ou l’extase dans l’abandon Louis Massignon Mystical love or ecstasy in abandonment Jacques Keryell Ecrivain, Toulouse, France jkeryell@yahoo.fr Publié le : 15/9/2008 08 2008 Pour citer l'article :  Jacques Keryell : Louis Massignon, l’amour mystique ou l’extase dans l’abandon, Revue Annales du patrimoine, Université de Mostaganem, N° 8, Septembre 2008, pp. 55-70. http://annales.univ-mosta.dz *** Revue Annales du patrimoine, N° 8, 2008, pp. 55 - 70 ISSN 1112-5020 Publié le : 15/9/2008 jkeryell@yahoo.fr © Université de Mostaganem, Algérie 2008 Louis Massignon l’amour mystique ou l’extase dans l’abandon Jacques Keryell Ecrivain, Toulouse, France Résumé : Parler de Massignon et de son Amour de Dieu n'est pas chose aisée. En effet, si les mystiques musulmans des premiers siècles de l'hégire ont été les hérauts de cet Amour : Al-Hallâj, Râbia al-Adawiyya, Al-Niffâri, Ibn Arabi, Ansâri, Al-Ghazâli, l'Amour de Dieu comme tel, n'est pas au cœur du "ilm al kalâm", de la théologie musulmane traditionnelle. Pour Massignon, langue et spiritualité étaient intimement liées. Si je devais me placer dans une perspective musulmane, je dirais que Louis Massignon se situe dans la ligne de la "wahdat al-shuhûd", celle de "l'unicité du témoignage" ou Dieu se témoigne Lui-même en son mystère dans le cœur du soufi. Mots-clés : amour de dieu, mysticisme, Massignon, Islam, extase. o Louis Massignon Mystical love or ecstasy in abandonment Jacques Keryell Writer, Toulouse, France Abstract: Talking about Massignon and his Love of God is not easy. Indeed, if the Muslim mystics of the first centuries of the Hegira were the heralds of this Love: Al-Hallâj, Râbia al-Adawiyya, Al-Niffâri, Ibn Arabi, Ansâri, Al-Ghazâli, the Love of God as such is not at the heart of "ilm al-kalâm", of traditional Muslim theology. For Massignon, language and spirituality were intimately linked. If I had to place myself in a Muslim perspective, I would say that Louis Massignon is in the line of the "wahdat al-shuhûd", that of "the uniqueness of testimony" where God witnesses Himself in his mystery in the heart of the Sufi. Keywords: love of god, mysticism, Massignon, Islam, ecstasy. o La démarche scientifique et universitaire de Louis Massignon tout comme sa vie spirituelle a été fondamentalement marquée Jacques Keryell - 56 - Revue Annales du patrimoine par l’expérience mystique d’al-Hallaj et par la sienne, en Irak en 1908. C’est pourquoi je me permettrais tout d’abord, quelques remarques préliminaires destinées au lecteur musulman, s’il en est, d’une autre culture que la mienne, afin d’éviter toute confusion possible. Un même mot ne désigne pas nécessairement la même réalité en des contextes différents, et donc en milieux musulmans et en milieux chrétiens. Ce qui est déjà vrai entre chrétiens arabes et musulmans arabes au Proche Orient, l’est d’autant plus, quand on passe d’une langue à l’autre et d’une religion à une autre. Il est en effet capital de bien saisir le sens des mots en français comme dans n’importe quelle langue que ce soit. Pour expliciter mon propos, je prendrai un exemple tiré de deux termes coraniques attribués à Dieu et mentionnés dans toutes les sourates du Coran : Al-Rahman, Al-Rahim, traduits habituellement en français par : Le Clément, Le Miséricordieux, selon l’acception commune que leur donne la Tradition musulmane officielle en français. Et pourtant, ces deux termes proviennent de la même racine trilitère arabe : RHM, dont le substantif Rahim signifie l’utérus, la matrice maternelle. Par ailleurs, la Clémence, du latin clementia, est une vertu qui consiste à pardonner. La Miséricorde, qui vient du latin miseria (malheur) et de cor, cordis (cœur), exprime la compassion de celui qui éprouve et souffre avec l’autre. Clémence et Miséricorde ne sont, à mon sens, que des attributs de l’Amour. L’Amour de Dieu pour l’Homme est un amour qui pardonne. Dieu est bien nommé dans le Coran (71 fois), le Ghafur, Celui qui pardonne. En contexte chrétien, j’exprimerais cette Clémence et cette Miséricorde comme étant la Tendresse matricielle de Dieu à l’égard de l’Homme, auquel celui-ci répondra par une adoration, une louange et une action de grâce de tous les instants, expression d’un amour filial, amour dont Dieu seul est le principe et la fin. La notion de Tendresse matricielle me semble donc mieux Louis Massignon l'amour mystique ou l'extase dans l'abandon - 57 - N° 8, Septembre 2008 correspondre à la racine arabe RHM. Ici encore, gardons nous de conserver à nos mots humains le sens commun inhérent à leur origine, mais, bien au contraire, sachons leur donner cette dimension analogique et transcendante qui leur revient. En tout état de cause, Dieu n’est rien de ce qu’on croit connaître et nommer de Lui. Il n’est pas un seul être et il n’est pas leur ensemble. Il a toutes les perfections mais n’est défini par aucune d’elles. Il est ce Dieu que nul œil de créature n’a jamais vu, que nulle pensée humaine n’a jamais conçu, que nulle parole ne peut dire, Lui le seul qu’on ne peut nommer. Il est le Tout Autre, l’Inconnaissable Tous nos mots humains ne sont que des images quant ils parlent de Lui. "Tout ce qui te vient à l’esprit au sujet d’Allah, de Son essence et de Ses attributs, sache qu’Il est cela et qu’Il est autre que cela" (Emir Abd el Kader). Le Coran lui-même utilise fréquemment des termes anthropomorphiques pour parler de Dieu : de Son visage par exemple ; (Coran, 2/109) ; de sa main (Coran, 5/69 ; 18/55) ; de son trône (Coran, 11/9) etc... Dans la tradition chrétienne, la paternité divine doit s’entendre symboliquement, au sens premier du terme quand il s’agit de Dieu et au sens dérivé quand il s’agit des hommes : paternité biologique, spirituelle, nourricière, d’adoption, car c’est de Dieu que toute paternité tire son nom. Le terme Karim, cité 21 fois dans le Coran, veut exprimer la douce et bienfaisante Générosité de Dieu pour ses créatures. Mais pourquoi tant de commentateurs du Coran ont-ils étonnamment dévié le sens de certains mots comme ceux de : hubb, mahabba : amour, Ishq et shawq : désir ardent, : wadd : tendresse, quand ces termes concernent l’amour de réciprocité entre Dieu et l’Homme ? "Dieu va faire venir un peuple, qu’Il aimera et eux aussi L’aimeront ; yuhibbuhum wa yuhibbunahu" ; (Coran, 5/59). "Mon Seigneur est miséricordieux et aimant : wadud" ; (Coran, 11/92) ; "Il est celui qui pardonne, celui qui aime les hommes : al-wadûd" ; (Coran, 85/14). S’agit-il d’un réel amour comme le professaient Al-Ghazâlî et beaucoup des Jacques Keryell - 58 - Revue Annales du patrimoine mystiques précédemment cités ? Un hadith nous rapporte : "Mon serviteur ne cessera de se rapprocher de moi par des prières surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime, Je serai son oreille avec laquelle il entendra, son œil avec lequel il verra, sa main avec laquelle il frappera, son pied avec lequel il marchera. Quand il Me demandera une chose, Je la lui accorderai" (Rapporté par Al- Bokhari). Al-Hallaj n’a-t-il pas dit : "Nous sommes deux esprits infondus en un seul corps. Aussi me voir c’est Le voir et Le voir c’est nous voir". (Tawasin). Il est admirable de voir comment Al- Hallaj a vécu ce rêve originaire de l’Homme, de son unification à Dieu ! Cette unification n’est pas celle du monisme existentiel : wahdat al-wujud, de l’annihilation de l’homme en Dieu : fana, mais, bien au contraire, comme l’écrit Benoît XVI, "elle est une unité qui crée l’amour, dans laquelle les deux, Dieu et l’Homme, restent eux-mêmes et pourtant deviennent totalement un". Concernant cet amour, trop de juristes musulmans ne parleraient-ils pas plutôt d’une crainte révérencielle, d’une obéissance respectueuse à la Loi de Dieu et par ailleurs d’une condescendance bienveillante de Dieu à l’égard des Hommes ? L’islam officiel a toujours hésité devant cet absolu de l’amour. Il lui est difficile d’envisager l’union intentionnelle d’amour, qui unirait en esprit et volonté, - mais non selon la substance -, la créature si parfaite soit-elle à son Créateur. Selon Roger Arnaldez, Ibn Hazm lui-même, n’a jamais hésité à opposer le Coran et la Tradition, à l’œuvre des juristes dans laquelle il ne voit qu’une construction humaine. Ainsi la spiritualité musulmane s’enracine dans la méditation du Coran et de la Sunna, mais trop souvent et de façon générale, à travers les commentaires réservés et sourcilleux des juristes. Elle est heureusement et authentiquement vécue dans un esprit de totale confiance et d’abandon (tawakkul et istislam) par les humbles, les sans voix, les femmes ; j’en suis un témoin admiratif depuis plus de cinquante années. La spiritualité chrétienne, elle, s’inspire à Louis Massignon l'amour mystique ou l'extase dans l'abandon - 59 - N° 8, Septembre 2008 travers les Evangiles, de la vie du Christ, - le sceau de la sainteté -, ainsi que de la vie de nombreux saints et saintes qui ont recherché la voie de la perfection à la suite de leur Modèle Unique, Jésus de Nazareth, fils de Marie, Kalimat Allah, uploads/Religion/ jacques-keryell-louis-massignon-l-x27-amour-mystique-ou-l-x27-extase-dans-l-x27-abandon.pdf

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  • Publié le Nov 20, 2022
  • Catégorie Religion
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