Pierre Thillet Jamblique et les mystères d'Égypte In: Revue des Études Grecques

Pierre Thillet Jamblique et les mystères d'Égypte In: Revue des Études Grecques, tome 81, fascicule 384-385, Janvier-juin 1968. pp. 172-195. Citer ce document / Cite this document : Thillet Pierre. Jamblique et les mystères d'Égypte. In: Revue des Études Grecques, tome 81, fascicule 384-385, Janvier-juin 1968. pp. 172-195. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1968_num_81_384_1019 JAMBLIQUE ET LES MYSTÈRES D'EGYPTE Jamblique. Les mystères d'Egypte. Texte établi et traduit par Edouard des Places (Collection des Universités de France). Paris, Les Belles Lettres, 1966. In-8°, 225 p. (dont 177 doublées). Prix, F. 30. Ce volume est la troisième édition de l'ouvrage de Jamblique. La première édition fut donnée à Oxford par Thomas Gale, en 1678 ; la seconde, à laquelle sont faites toutes les références, parut à Berlin, en 1857 : Gustave Parthey y utilisa quatre manuscrits. La présente édition enrichit à son heure la collection patronnée par l'Association Guillaume Budé. Au moment où l'intérêt pour le néoplatonisme suscite de nombreux travaux, on accueillera avec faveur ce volume auquel le R. P. des Places a donné tous ses soins. Bénéficiant des recher ches erudites effectuées depuis un siècle, utilisant des manuscrits meilleurs, tenant compte de travaux préparatoires récents, l'éditeur offre à la fois un texte et une traduction qui surpassent de loin ce dont disposaient les chercheurs curieux de s'informer sur l'ouvrage difficile de Jamblique. Le titre lui-même peut à la fois attirer et décevoir le lecteur : il n'y est pas vraiment question de « mystères », et de l'Egypte on n'apprendra que fort peu. Ce titre, en effet, est une forgerie du xvie siècle, invention de Marsile Ficin dont la version, ou plutôt la paraphrase, latine fut publiée chez les Aide, en 1497 : De mysteriis Aegyptiorum, Chaldaeorum, Assyriorum. Sur les vingt-cinq manusc rits grecs contenant le texte entier (dont aucun n'est antérieur au xve siècle) étudiés par M. Sicherl (1), un seul donne ce « faux-titre » : le Vaticanus gr. 323 ( = X), début xvie siècle, Ίάμβλιχος περί μυστηρίων των Αιγυπτίων (Sicherl p. 69 et pi. VI), titre qui sera recopié dans la marge du Leidensis Gronovianus 25 ( = O), du xvne siècle {id., p. 131). Un titre voisin se lit dans le Barberinianus gr. 62 (= Z), du début du xvie siècle, et le Hamburgensis philol. gr. 36 ( = H), du xvne siècle : Ίάμβλιχος (δ Χαλκιδεύς κατά Πορφυρίου add. Η) περί της Αιγυπτίων θεολογίας (Sicherl, ρ. 83 et 88). C'est dire que le « titre » actuel a bien peu d'autorité, et l'éditeur a eu raison de placer, p. 38, <περί των αιγυπτίων μυστηρίων > entre crochets : aucun codex grec ne donne cet intitulé. (1) M. Sicherl, Die Handschriften, Ausgaben und Uebersetzungen von Iamblichos De mysteriis... Berlin 1957. JAMBLIQUE ET LES MYSTÈRES D'EGYPTE 173 Le titre véritable, tel qu'il est donné par les deux plus anciens manuscrits, Vallicellianus F 20 (— V) environ 1460, Venetus Marcianus gr. 244 (coll. 620) (= M), env. 1450, se lit p. 38, 1, 1-3. Mais cet écrit d'Abammon en réponse aux difficultés soulevées par Porphyre dans sa lettre à Anébon serait mystérieux si un scholion de Psellos ne venait opportunément révéler l'identité de cet Abammon avec Jamblique ; Psellos doit le renseignement à Proclus. D'où des titres comme Ίαμβλίχου εις τήν έπιστολήν Πορφυρίου {Taurinensis gr. 146 = Τ, xve s., ou Gothanus chartaceus A 150 = D, xvie). Les références étant faites, depuis longtemps, à l'édition de Parthey {Jam- blichi De mysteriis liber, sans allusion à l'Egypte), sous la forme Jambl. De myst., il était difficile de rompre brutalement avec la tradition, et c'est ce qui peut justifier le maintien du titre par lequel Marsile Ficin fit connaître cet écrit. Peut-être un peu d'audace eût-elle permis de restituer le titre original (en conservant De mysteriis en sous-titre), mettant ainsi en valeur à la fois le caractère polémique du texte et le nom de Porphyre. Mais en cette affaire où est la sagesse ? Je pense qu'on aurait eu moins de scrupules à renoncer au titre imposé par Marsile Ficin si l'on avait recherché les motifs d'un tel intitulé. On remarque, à la Renaissance, une véritable passion pour les « égypteries » (2) ; les Hiero- glyphtca d'Horapollon ne connaissent pas moins de quinze éditions et traduc tions différentes entre 1505 et 1599 (cf. F. Sbordone, Hori Apollinis Hierogly- phica, 1940, p. vu-vin), sans compter les commentaires. Éditant la Théologie d'Aristote, Petrus Nicolaus Faventinus l'intitule Sapientissimi philosophi Aristotelis Stagiritae Theologia sive mistica phylosophia secundum Aegyptios noviter reperla... 1519 ; Jacques Charpentier, donnant sa révision du même texte à Paris, en 1571, l'intitule Aristotelis libri XIV de secretiore parte divinae sapienliae secundum Aegyptios ; et en 1591 les excerpta qui en sont donnés à Ferrare par Franciscus Patricius ont pour titre Mystica Aegypiiorum et Chal- daeorum a Platone ab Aristotele excerpla... C'est une véritable mode commenç ante qui inspire à Ficin l'intitulé de sa paraphrase ; il se peut que cette mode ait été encouragée chez certains par irrévérence à l'égard du christianisme ; il serait imprudent d'exagérer l'importance d'une telle motivation. Il est vrai aussi que le goût pour l'Egypte et ses mystères, l'Egypte mère de la philosophie (cf. D. L. I, 1-2 et 10-11), l'égyptomanie même (p. 198 n. 1) existait du temps de Jamblique et bien avant. Mais, eu égard à la tradition manuscrite, était-ce raison suffisante pour suivre une mode du Cinquecento ? En revanche, le volume paraît rompre avec une tradition moins ancienne ; au lieu d'une Introduction paginée en chiffres romains, il s'ouvre directement par une Notice (p. 4) dont le premier paragraphe, Vie et œuvres de Jamblique, laisserait penser qu'elle dépasse le cadre qu'annonce ce nom : mais l'éditeur s'en tient à la concision que M. Dain recommandait en ces pages préliminaires ; peut-être même a-t-il été trop concis, et la Notice n'est pas sans laisser bien des points non élucidés (3). (2) On a pu penser que l'« égyptomanie des humanistes » a eu le De mysteriis comme source importante (A. Chastel, cité p. 27 n. 9), mais l'invention du titre par Marsile Ficin doit bien avoir elle-même une motivation. (3) Une faute d'impression (ou une confusion avec l'auteur des Babyloniques) à la seconde ligne p. 4 fait naître Jamblique au iie siècle de notre ère ; il faut lire nie. — Quant à la date de la mort, elle doit être lue 325-330. 174 P. THILLET A propos du titre, dont j'ai déjà longuement parlé, il faut noter que tie manuscrit secondaire» (= X) qui donne l'équivalent grec du sous-titre De mysteriis Aegypliorum, le place avant le titre véritable (cf. M. Sicherl p. 88 et pi. VI). La question de l'authenticité est rapidement traitée (p. 7-8), mais elle méritait mieux. S. Fronte (référence donnée p. 8 n. 2) cite en effet un certain nombre d'érudits pour qui Jamblique n'est pas sûrement l'auteur de l'ouvrage ; mais, surtout, les arguments de Ph. Derchain, Pseudo- Jamblique ou Abammôn? {Chronique d'Egypte 38, 1963, p. 220-226 ; référence p. 6, n. 9) auraient mérité d'être examinés avec soin. Je me permets d'y consacrer quelques lignes. M. Derchain cite les passages suivants : 1° VI 6 ; 246, 16-247, 2 (p. 186-7) ; 2° VI 7 ; 248, 2-11 (p. 187-8) ; 3° VII 2; 251, 17-252, 3 (p. 190) ; 4° VII 3 ; 253, 13-16 (p. 191) ; 5<> VIII 3 ; 263, 7-11 (p. 196-7) ; 6° VIII 3 ; 264, 5-8 (p. 197). De leur examen, il conclut « qu'on en vient facilement à partager l'opinion de ceux qui ont rejeté l'attribution traditionnelle de cet ouvrage à Jamblique... Abammôn, comme son nom l'indique <,> est certainement égyptien, et tout porte à croire qu'il était de la classe sacerdotale » (p. 225). Cette conclusion, pour modérée qu'elle soit dans sa forme, peut-elle emporter la conviction ? En 1° le théurge « déjà au rang des dieux », c'est le pharaon ; or le prêtre officie en cette qualité dans le temple égyptien ; et le rituel reste secret. C'est le cas 2° en particulier du rituel de la maison de la vie (ζωή 248, 5) à Abydos, qui vise à « maintenir l'ordre universel » (οΐς 2χει τήν σωτηρίαν τα δλα). La repré sentation du dieu dans le lotus 3° est fréquente en Egypte, ainsi que le limon primordial ; toutefois « l'association de l'intellect et du feu paraît être une intrusion étrangère » (p. 224) selon M. Derchain (4). Le rôle du soleil 4° comme source de toute force et vie dans le monde est bien connu dans la religion égyptienne de basse époque. Quand l'auteur décrit Amôn comme « l'intellect démiurgique » qui révèle la force des paroles cachées 5°, il spécule sur le nom même du dieu (tmn = caché) ; enfin 6° l'ogdoade hermopolitaine est connue de l'auteur. Ces précisions témoignent effectivement d'une certaine connaissance de la religion égyptienne, et elles ne peuvent être pure coïncidence ; il n'a pas fallu non plus solliciter les textes pour les découvrir. Mais cela suffit-il à uploads/Religion/ thillet-p-a-jamblique-et-les-mysteres-d-x27-egypte-1968.pdf

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  • Publié le Dec 12, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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