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9 LE SAINT, UN MODÈLE POUR LE CROYANT ? Meta-systems - 17-06-13 14:43:37 FL1769 U000 - Oasys 19.00x - Page 637 - E1 Dieu une enquete - Dynamic layout 152x × 240x Meta-systems - 17-06-13 14:43:37 FL1769 U000 - Oasys 19.00x - Page 638 - E1 Dieu une enquete - Dynamic layout 152x × 240x D’après Le Petit Robert, le saint est celui « qui mène une vie irréprochable, en tous points conforme aux lois de la morale et de la religion » (définition de l’adjectif), ou encore « dans la religion catholique, une personne qui est après sa mort l’objet, de la part de l’Église, d’un culte public et universel (dit culte de dulie) en raison du très haut degré de perfection chrétienne qu’elle a atteint durant sa vie » (définition du nom commun). Définitions restric- tives qui, en français, renvoient nécessairement et d’abord à la sain- teté chrétienne, plus particulièrement catholique latine – en réalité telle qu’elle a été formulée à partir du XIIIe siècle et réaffirmée lors de la Réforme tridentine, à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle. L’arrière-plan lexical, sémantique et même théologique qu’appelle le mot « saint » en français n’est donc pas sans poser problème lorsqu’il s’agit d’évoquer les personnages saints du judaïsme ou de l’islam, mais aussi ceux du christianisme oriental. Une définition comme celle de l’Encyclopedia Universalis paraît plus prudente en proposant : « Le saint est celui qui réalise, dans sa personne et sa conduite, l’idéal d’une religion. » L’idéal ? La définition du Petit Robert, comme celle de l’Universa- lis, supposerait une unanimité sur les lois de la morale et de la religion, ou sur ce qu’est l’idéal d’une religion : elles partent du principe tacite qu’une instance ou une institution décide du carac- tère irréprochable du saint et de sa conformité à des modèles (ou à cet idéal), et tranche en dernier ressort de sa sainteté, définie et affirmée post mortem. Or, la procédure de canonisation caractéris- tique du catholicisme latin depuis le XIIIe siècle est un phénomène Meta-systems - 17-06-13 14:43:37 FL1769 U000 - Oasys 19.00x - Page 639 - E1 Dieu une enquete - Dynamic layout 152x × 240x 640 | QUAND CROIRE, C’EST AGIR exceptionnel à l’échelle historique. Dans les trois monothéismes, de toute façon, on trouverait bien des types de saints qui ne corres- pondent aucunement à cette définition, soit que leur vie n’ait pas été irréprochable et conforme aux lois de la morale et de la religion (il est partout des saints provocateurs, défiant la norme et piétinant les conventions) ; soit qu’ils n’aient été foudroyés par la sainteté qu’après une vie toute banale, voire franchement pécheresse, qui a justement constitué leur itinéraire de sainteté ; soit encore que leur sainteté ait été enfouie dans une humilité quotidienne qui les rend invisibles aux yeux de la société – au moins de leur vivant – mais qui n’en fait pas moins d’eux des justes qui sauvent le monde. Quels que soient les types de saints et les manifestations de sainteté, c’est fondamentalement la révélation de la sainteté de Dieu dans ce monde et dans l’humanité qui fait le saint : ce fondement théocen- trique de la sainteté est commun aux trois monothéismes. Préférons donc une autre définition, celle de Serge Bonnet reprise par André Vauchez (La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, 1988, p. 8) : « Un saint, c’est d’abord un homme extraordinaire habité par Dieu. C’est aussi une réponse aux besoins spirituels d’une génération. C’est encore un homme qui est l’illustration éminente des idées que les chrétiens d’un temps donné se font de la sainteté. » Cette définition, qui rappelle à la fois la vocation essentiellement mystique du saint et son ancrage concret et historique dans les sociétés humaines, correspond sans doute mieux à la réalité que celle du Petit Robert : elle permet une véri- table comparaison entre les trois monothéismes, dont aucun n’ignore ces « hommes extraordinaires habités par Dieu ». Il existe bien un modèle anthropologique commun aux trois monothéismes. Dans les trois monothéismes, l’idéal de perfection humaine n’est jamais dissocié d’un besoin d’assistance exprimé par les hommes du temps où a vécu le saint – ou du temps qui le vénère. Il se traduit par des demandes d’intercession concrètes, manifestées par les vœux, les récits de miracles, les pèlerinages ; mais la sainteté s’inscrit aussi, d’une façon qui n’est pas toujours explicite, dans l’économie du salut. Tantôt on mettra l’accent sur le dépouillement du saint, atteignant la quasi-transparence qui laisse entrevoir Dieu, tantôt on insistera sur l’accumulation de vertus et de mérites qui font de lui un saint exemplaire, mais c’est toujours un espoir sotériologique que les croyants placent dans ceux qu’ils proclament pour saints. Meta-systems - 17-06-13 14:43:37 FL1769 U000 - Oasys 19.00x - Page 640 - E1 Dieu une enquete - Dynamic layout 152x × 240x LE SAINT, UN MODÈLE POUR LE CROYANT ? | 641 On n’attend pas, en général, la mort du saint pour le reconnaître comme tel, voire pour le vénérer et réclamer son intercession, de même que le contrôle des institutions religieuses ne résume pas la « fabrique des saints ». Un saint est toujours reconnu comme saint de son vivant, d’une façon ou d’une autre, avant d’être vénéré au- delà de sa mort : c’est parce qu’il a présenté sur terre le visage de Dieu qu’il continue de pouvoir intercéder, dans l’au-delà, pour les vivants qui le prient et lui demandent d’intercéder pour eux. L’étude du culte des saints n’est donc pas dissociable de celle de la sainteté, et vice-versa. Ce qui vient d’être dit vaut pour les trois monothéismes. On pourrait cependant soutenir que judaïsme et islam présentent des définitions théologiques de la sainteté fort différentes de celles du christianisme. Le primat de la sainteté radicale de Dieu seul, l’absence des dogmes de l’Incarnation et de l’Eucharistie, en même temps que la référence constante aux prophètes (et surtout au pro- phète Muhammad pour l’islam) changent profondément le pay- sage. Le judaïsme et l’islam, monothéismes plus radicaux que ne l’est le christianisme, posent la Loi comme truchement nécessaire entre un Dieu tout à fait autre et l’homme. Mais comment s’exprime la Loi, à travers quels porte-parole et quels modèles ? Comment transparaît alors le divin dans le monde des hommes ? C’est souvent l’étude de la Torah et du Talmud pour les juifs, de la science religieuse (‘ilm) et notamment du Coran et du hadith pour les musulmans, qui contribue à faire le saint : celui-ci est lié à la transmission et au commentaire de la Loi, soit par son ensei- gnement, soit par son exemple, et bien souvent par les deux. Le tzaddiq juif, celui qui remplit pieusement les prescriptions de la Loi, est une Torah vivante, tandis que le cheikh soufiincarne la sunna (« Tradition ») du Prophète dans sa réalisation la plus haute et que la réalité divine (haqîqa) accompagne et éclaire, grâce à lui, la Loi venue de Dieu (sharî‘a). Les deux vont en réalité de pair : si l’on surnomme le grand saint musulman égyptien Ibrâhîm al-Disûqî (mort en 1288 ou 1296) « l’Homme aux deux yeux », c’est, dit la légende, qu’un de ses yeux regarde la haqîqa, tandis que l’autre observe la sharî‘a. Les récits hagiographiques véhiculent largement les normes de la halakhah juive, intimement liée à la Torah et au Talmud, ou de la sharî’a musulmane, imprégnée du Coran, de la sunna du Prophète et de la Voie (tarîqa) des cheikhs. Meta-systems - 17-06-13 14:43:37 FL1769 U000 - Oasys 19.00x - Page 641 - E1 Dieu une enquete - Dynamic layout 152x × 240x 642 | QUAND CROIRE, C’EST AGIR Tel est le rôle des saints hommes, « aux vertus d’exception, dont la vie sert de référence religieuse ou de modèle de comportement à tous les fidèles, tant en raison de leurs vertus, de leur valeur morale, que de leurs actions miraculeuses » (J. Baumgarten, Récits hagiogra- phiques juifs, 2001, p. 14). Ainsi s’atténue la discriminante théologique de l’Incarnation évo- quée au début du paragraphe précédent : ce qui distingue le chris- tianisme du judaïsme et de l’islam serait moins la différence entre la religion de l’Incarnation et les religions de la Loi qu’entre un Logos qui se fait homme (le Christ) et un Logos qui se fait livre (Torah ou Coran), et qui se fait plus exactement révélation écrite et révélation orale, avec la dualité Torah/Talmud et Coran/sunna. Dans cette perspective, il n’est pas étonnant que certains grands mystiques soufis, comme Ibn ‘Arabî ou ‘Abd al-Qâdir al-Jîlî, identi- fient l’Homme parfait au Coran. Le « Livre », comme manifestation du verbe divin, ne s’identifie pas intégralement à la « Loi » dans le sens d’un ensemble normatif. Et cela vaut bien sûr pour l’exemple du Prophète (d’où la lumière muhammadienne) ou de l’imâm shiite, « Coran parlant » (qur’ân nâtiq). Même la présence de nombreux saints antinomiques, dans le judaïsme comme en islam (par exemple les saints « uploads/Religion/ la-saintete-dans-les-trois-monotheismes.pdf
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- Publié le Jan 04, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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