La Vierge-mère: modèle de la femme chrétienne 1 Anita Caro

La Vierge-mère: modèle de la femme chrétienne 1 Anita Caron, Flore Dupriez, et Marie-Andrée Roy Anita Caron est professeure au département des sciences religieuses de l’Université du Québec à Montréal. Flore Dupriez est chargée de cours au département des sciences religieuses de l’Univer- sité du Québec à Montréal. Marie-Andrée Roy est chargée de cours au département des sciences religieuses de l’Université du Québec à Montréal. Apres avoir constate la reaction de plusieurs groupes quebecois, à la suite de la presentation de la piece de Denise Boucher: « Les Fees ont soif »,2 il nous est apparu que l’idgal de la Vierge-Mère propose aux femmes chretiennes par une religion monothiiste et androcentriste serait unefaçon à peine déguisée de maintenir l’inigaliti des sexes. Compte tenu de l’in- sécurité sociale et iconomique que connait présentement le monde occi- dental et en raison d’un malaise provoque par l’apparition de nouveaux modeles de relations homme/femme, nous assisterions prisentement à un renforcement de l’image de Marie, vierge et mère et à une sur-évaluation des r6les de la femme en tant qu’ipouse et mere. C’est pourquoi il nous est apparu opportun de procéder à une explora- tion de l’usage qui a été fait du mythe de la déesse-mère dans les traditions religieuses du bassin mediterranien dans lequel s’est implanti le chris- tianisme primitif, de retracer l’influence que ce modèle a pu exercer sur la littirature chretienne des premiers siècles, d’examiner des riappro- priations qu’on peut en trouver dans des documents officiels de l’Eglise catholique et dans quelques textes de la littérature romanesque et reli- gieuse du Quebec. Le premier texte a 46ti prepare par Flore Dupriez. Il fait ressortir comment s’est fait le passage des mythes de la déesse-mère au culte de la Vierge-Marie dans l’Eglise des premiers siècles. Dans le second, je m’applique moi-même à degager la signification du discours sur la Vierge-Marie, tel qu’il apparait dans la constitution dogmatique « Lumen Gentium » . Le troisième texte est l’oeuvre de Marie-Andrée Roy. Il pro- pose un certain nombre de faits illustrant comment le mythe de la Vierge- Mere est demeure present dans le discours tenu par des hommes poli- tiques, des clercs et des romanciers du Quebec. Anita Caron 1 Cette communication, qui comportait trois parties, a été présentée dans le cadre du Congrès de la SCER en mai 1980. Elle s’inscrit à l’intérieur d’une recherche qui a débuté à l’automne 1979 et qui porte sur la problématique Mariage-Famille dans des groupes d’inspiration chrétienne du Québec. 2 Voir à ce sujet la bibliographie publiée par Marc Chabot dans le Bulletin de la Société de Philosophie du Québec 5/2 (1979), 41-58. 400 I Des cultes de la d6esse-mire au culte de la Vierge-Marie Si nous faisons un rapide survol historique du culte de la deesse-mere, nous constatons d’abord qu’il est « le trait le plus marquant des documents arch6ologiques livr6s par le monde ancien ».3 Le culte est deja atteste par les V6nus sculpt6es de 1’art grav6tien du pal6olithique supirieur et par des reprisentations stylis6es dans les grottes ornées. On a trouv6, en Asie orientale et occidentale, dans la vall6e de 1’Indus, en Eg6ide et en Crete, entre le cinqui6me et le troisième mill6naires avant notre ere, des inscrip- tions et des embl6mes 6tablissant 1’existence du culte de la d6esse-m6re. Evolution de la notion de virginite . a Au paLéolithique et au niolithique On sait qu’au paleolithique, apr6s une migration asiatique, des statuettes f6minines ayant des traits accentu6s de maternité sont introduites en Europe orientale et occidentale. Bien qu’a partir du n6olithique les em- blèmes phalliques aient ete plus repandus, le principe matemel incarne par la d6esse-m6re garde la premi6re place en Asie occidentale, en Cr6te et en Eg6ide. Le dieu masculin demeure donc subordonn6 a la d6esse-m~re. En Egypte, 1’on trouvera des 1’epoque pr6-dynastique, des V6nus st6a- topyges. Dans la premi6re Troie (3000-2750 avant notre ere), les fouilles ont revele un bas-relief repr6sentant la Grande-D6esse. La Crete deviendra vers 1’an 4000 avant notre ere, le berceau occiden- tal du culte de la D6esse-m6re. Elle est Terre-m~re, montagne, mer, maitresse des arbres ou des betes sauvages. La d6esse-m6re devient, dans les repr6sentations minoennes, la personnification tres claire du principe f6minin qui regoit un culte ou 1’on c6l6bre a la fois sa maternité et sa virginite. b Dans les civilisations du Proche-Orient ancien La Mesopotamie va donner a la d6esse-vierge une place pr6dominante: elle s’appelle Inana-Isthtar, Ashera, Astart6, Anat, selon des variantes dialec- tales et selon les pays. Elle est rendue fertile, chaque ann6e, par un dieu-male mais retrouve sa virginite, symbole de son eternelle jeunesse, de sa puret6, de sa vitalite. Cette 6pith6te de vierge indique la p6rennit6 des qualit6s n6cessaires a la regeneration de la terre. La virginite apparait alors comme une composante essentielle du principe f6minin. En Egypte, c’est le ciel qui apparait comme une femme, la d6esse Nout. Le soleil est enfant6 par elle chaque jour. Isis est cependant la plus importante des deesses aux fonctions maternelles. Elle n’est pas compa- rable totalement a Ishtar mais sous ses nombreuses attributions, elle finit par se confondre avec toutes les deesses d’Egypte; elle est la d6esse aux nombreux noms et est par la suite assimil6e a la grande-m6re d’Asie occidentale, de la Gr6ce et de Rome. Le culte de cette d6esse est particu- li6rement bien organise. Elle a des temples, un clerge nombreux compose 3 E. O. James, Le culte de la déesse-mère dans l’histoire des religions (Paris: Payot, 1960), Avant-propos. 401 de pretres et de pretresses. On y cil6bre trois offices par jour: devotion fort exceptionnelle pour 1’ Antiquite et qu’on ne retrouvera que plus tard dans le christianisme. Les disciples d’Isis forment une milice sainte et respectent une s6v6re discipline morale. Ils honorent la mere de la grace divine, de la bonte, de la purete. Voici en quels termes Apulee, auteur latin du ne si6cle de notre ere, la prie: « Divinité sainte, source 6temelle de salut, protectrice adorable des mortels, qui leur prodigue dans leurs maux 1’affection d’une tendre-mere ... sur la terre, sur la mer, toujours tu es Ih pour nous sauver ».4 Le culte d’Isis, semble-t-il, a prepare la voie dans le monde m6diter- ran6en au culte de la Vierge-Marie. D’ailleurs, lorsque 1’Egypte et la Nubie se convertiront au christianisme, elles transf6reront à Marie les attributs d’Isis et ceux d’Horus, son fils, a Jesus. Il semble bien que le culte de la D6esse-m6re ait 6t6 a 1’origine de toutes les religions a myst6res qui 6taient, en realite, des cultes de la vegetation et des rites de la f6condit6. La d6esse-m6re personnifiait les forces de la nature qui se renouvellent sans cesse et donnent naissance a tout. Soulignons aussi que des espoirs d’une vie dans 1’au-dela 6taient rattach6s a ces mysteres. Paradoxalement, les dieux de la croissance pour 1’Antiquite 6taient aussi les dieux des morts. La crainte de la sterilite du sol-question de vie ou de mort-a ete a 1’origine de la diff6renciation du f6minin et du masculin. Cette cat6gorisation fut sacralis6e parce que plac6e dans 1’antagonisme cosmique. Le culte de la Vierge-m6re et de son par6dre s’inscrivent donc dans un cadre magique. Mais pourquoi le principe f6minin devrait-il etre « vierge » ? La r6ponse est que l’on croyait sans doute que seule l’int6grit6 primordiale pouvait etre vraiment efficace. L’aspiration humaine a la puret6 est concomitante avec celle de la securite:1’angoisse est sous-jacente àce d6sir de perfection, de puret6 qui doit rapprocher 1’humanite du sacr6, du primordial, du paradis perdu. c Dans l’Ancien Testament L’on peut se demander comment a evolue la notion de virginit6 depuis la Bible jusqu’aux P6res de 1’Eglise. Le concept de virginite semble presque absent de 1’Ancien Testament. La femme qui met au monde des enfants est glorifiee: c’est d’ailleurs la justification de son existence. Mourir vierge est une malediction pour une femme. A partir du huitième si6cle avant notre ere, il ne sera plus question de virginite dans la Bible sauf dans un texte du L6vitique (Lev. 21,3). Pourtant le Christ naitra d’une vierge. La matemité virginale-que 1’on peut mettre en rapport avec celle des vierges-meres-va r6apparaitre dans 1’histoire d’Isra6l avec la naissance du Christ. d Dans le Nouveau Testament La matemité de Marie, jeune vierge du Temple, va d’ailleurs causer un certain émoi a Joseph, comme I’atteste 1’Evangile, et meme une sorte de scandale, comme en t6moignent les 6vangiles apocryphes qui restent une 4 Apulée, Métamorphoses, trad. M. Nisard (Paris: Ed. Firmin Didot, 1865), 54, 12. 402 source int6ressante et vivante. Les Apocryphes nous montrent combien grande est la puissance fabulatrice des foules: leurs d6sirs inconscients s’y expriment avec plus de spontaneite. L’idee de 1’Assomption de Marie vient des Apocryphes et non de 1’Evangile. L’id6e de la perp6tuelle virginite de Marie a ete proclam6e d’une mani6re cat6gorique par plusieurs de ces textes: « Vierge elle a ete conrue, Vierge elle a enfant6, Vierge elle de- meure » (Prot6vangile de Jacques). C’est la formule que reprendront, plus tard, les th6ologiens de 1’Eglise. Dans le Pseudo-Matthieu et dans 1’Evangile de 1’Enfance, nous trou- vons 1’episode bien uploads/Religion/ la-vierge-mere-modele-de-la-femme-chretienne.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Mai 08, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 1.2517MB