ÉTERNEL RETOUR ET TEMPS PÉRIODIQUE DANS LA PHILOSOPHIE STOÏCIENNE Author(s): Je
ÉTERNEL RETOUR ET TEMPS PÉRIODIQUE DANS LA PHILOSOPHIE STOÏCIENNE Author(s): Jean-Baptiste Gourinat Reviewed work(s): Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 192, No. 2, LE TEMPS DANS L'ANTIQUITÉ (AVRIL-JUIN 2002), pp. 213-227 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41098983 . Accessed: 19/01/2012 04:35 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Philosophique de la France et de l'Étranger. http://www.jstor.org ÉTERNEL RETOUR ET TEMPS PÉRIODIQUE DANS LA PHILOSOPHIE STOÏCIENNE L'expression ewige Wiederkunft - « éternel retour » - est de Nietzsche. C'est l'une des notions centrales de sa dernière philo- sophie, comme le montrent les plans de 1888 pour la Volonté de puissance, dont la dernière partie aurait dû être consacrée à cette notion. Dans Ecce homo, à propos de l'apparition du thème dans la Naissance de la tragédie, il en attribue l'invention à Heraclite et l'accorde du bout des lèvres aux Stoïciens : le stoïcisme, écrit-il, en a « gardé quelques traces ». Bien qu'il y ait chez Heraclite une source d'inspiration pour la doctrine, c'est en fait une doctrine stoïcienne. Dans ses grandes lignes, cette doctrine est celle qui est résumée par Arius Didyme dans un texte transmis par Stobée : Ztqvcovi xaì, KXeavOei xaì XpuaLnncù àpéaxei t^v oî>a(av (xeTaêaXXeiv oîov tlç <77répfjia to 7r0p, xaì rcáXiv ex toutou toiocÚt/jv a7TOTeXeï(j6at t^v SiaxóapiYjaiv oí'a TCpÓTSpOV 9¡V. Zenon, Cléanthe et Chrysippe pensent que la substance se transforme en feu, comme si elle redevenait semence, et que, à partir de là, il s'accomplit de nouveau la mise en ordre du monde telle qu'elle était précédemment1 . Cette doctrine, commune aux trois premiers scolarques de l'école, affirme qu'il y a d'abord une transformation de la substance en feu ou IxTcópodtç (embrasement, conflagration) et, de là, de nouveau (rcáXiv), une reconstitution du monde dans son ordre antérieur. Cette remise en ordre va, selon de nombreux témoignages, jusqu'aux mêmes individus et aux mêmes événements. Ce retour est 1. Stobée, Eclogues, I, 20, p. 171, 2, éd. Wachsmuth (Arius Didyme, fr. 36 Diels ; S VF, I, 107 ; S VF, II, 596). Revue philosophique, n 2/2002, p. 213 à p. 227 214 Jean-Baptiste Gourinat « éternel » parce qu'il est « à l'infini et sans fin »*, bien que la notion d'éternité (od'cov) proprement dite n'intervienne pas. C'est un retour périodique (nspíoSoc, ^póvou). Cette doctrine apparaît comme l'une des plus « bizarres » et des plus « absurdes »2 des Stoïciens, et ce d'autant que les argu- ments - des « nécessités dialectiques » de l'avis des Stoïciens eux- mêmes3 - ne nous sont dans l'ensemble guère parvenus. La doc- trine était déjà critiquée dans l'Antiquité. Ses adversaires les plus déclarés sont certains auteurs chrétiens comme Tatien, qui dit que c'est une thèse qu'il « faut rejeter »4, ou comme Origène (Adv. Cels., IV, 67), selon qui, si la doctrine était vraie, elle supprimerait ce qui est en notre pouvoir (to èy t)(juv). Mais Origène lui-même (V, 20) y voit une forme de la doctrine de la résurrection et se sert de cette doctrine stoïcienne pour montrer que la résurrection n'est pas aussi absurde que le prétend Celse (IV, 12). Lactance trouve la doctrine « plus recommandable » que la métempsychose pythago- ricienne5. L'attitude des auteurs chrétiens vis-à-vis de la doctrine est donc ambiguë : elle ne leur paraît pas très recommandable, mais c'est tout de même la doctrine la plus proche de celle de la résurrection. Selon Origène, certains Stoïciens eurent honte (f)8é<j67)aav, Adv. Cels., V, 20) de la doctrine et tentèrent d'en « soigner » les absur- dités (IV, 68). Plusieurs Stoïciens se sont abstenus (ercó^) sur ce dogme : Zenon de Tarse6 et Diogene de Séleucie7. Deux autres l'ont rejeté : Boéthos de Sidon et Panétius8. Les Stoïciens y voyaient donc des difficultés, ne l'ont pas adopté à la légère, mais l'ont dis- cuté en détail pendant plusieurs générations. L'essentiel du débat est perdu à jamais. Mais on peut néanmoins essayer de s'en faire une idée d'après les témoignages des adversaires des Stoïciens. 1. Etç aîcstpov xai aTeXeur^Tcoç (Nemesius, De natura hominis, c. 38, éd. Morani = SFF, II, 625). 2. J. Barnes, « La doctrine du retour éternel », dans J. Brunschwig (éd.), Les Stoïciens et leur logique, Paris, Vrin, 1978, p. 4 ; A. Long, « The Stoics on world-conflagration and everlasting recurrence », dans R. Epp (éd.), Spindel Conference 1984 : Recovering the Stoics = Southern Journal of Philosophy, 23 suppl. (1985), p. 13. 3. Origène, Contre Celse, V, 23, éd. Borret. 4. napaiTTjTéov (Tatien, Uratio ad Irraecos, á, Z5, ed. Whittaker). 5. Lactance, Divinae institutiones, VII, 23, éd. Brandt (S VF, II, 263). 6. Eusèbe, Préparation évangélique, XV, 18, 3, éd. Des Places (Ar. Did. fr. 36 ; S VF, III, Zen. Tars. 5). 7. Philon, Sur l'éternité du monde, 11 (S VF, III, Diog. 27). 8. Ibid. (SVF, III, Boeth. 7 ; Panetius, fr. 131, éd. Alesse). Revue philosophique, n 2/2002, p. 213 à p. 227 L'éternel retour dans la philosophie stoïcienne 215 /. La doctrine 1.1. Le vocabulaire Certains commentateurs modernes1 utilisent le terme de « palin- génésie » (7raXiYYevsa£a). C'est un terme qui apparaît relativement souvent, étant donné le faible nombre de nos sources, et qui béné- ficie de l'autorité stoïcienne de Marc Aurèle (XI, 1, 3) et de celle, probablement stoïcienne, d'Arius Didyme cité par Eusèbe (PE, XV, 19, 1). On le trouve aussi chez Philon (Aet. mund., 76-77), Sim- plicius (In Ar. Phys., 886, 12-13) et Alexandre d'Aphrodise cité par Philopon (In Ar. Gen. et corr., 314, 13-15). Simplicius l'emploie avec l'expression 7ráXtv yíveaOaL, « naître de nouveau ». Le terme a une connotation biologique : il désigne une nouvelle genèse, une renaissance. On trouve aussi le terme á7uoxaTá(rram<; et le verbe correspondant, á7coxa6í<TTa<r6at, qui signifient « revenir à sa place précédente », « res- tauration ». Le substantif a un sens astronomique dominant : il désigne le retour des astres à une même position, mais aussi le retour des saisons. Il a aussi un sens politique, et désigne la restauration d'un régime politique. C'est ce sens politique qui domine dans le verbe, sens dont il semble que l'on puisse trouver un écho dans un texte d'Aristoclès sur la palingénésie2. Contrairement au terme pré- cédent, ces termes n'appartiennent pas au vocabulaire biologique, mais renvoient à la notion d'ordre politique ou cosmique. Ils peuvent donc faire allusion à la notion de providence. C'est ce que confirme le fait que le terme était employé par Chrysippe dans son traité Sur la providence, d'après un fragment cité par Lactance3. Plusieurs auteurs4 emploient aussi l'expression rcáÁiv Siaxocr- fjieuTÖaL ou [xáXiv SiaxóafnqaLç, de même registre que la précédente, 1. C'est le cas de R. Hoven, Stoïcisme et stoïciens face au problème de l'au-delà, Paris, Les Belles Lettres, 1971, p. 31. J. Barnes (art. cité) ainsi qu'A. Long et D. Sedley (The Hellenistic philosophers, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, 2 vol.) utilisent l'expression « éternel retour ». 2. « Toutes choses dans le monde sont ainsi parfaitement bien gouvernées, comme dans une constitution régie par les meilleures lois » (Aristoclès, De la philosophie, VII, cité par Eusèbe, PE, XV, 14 = S VF, I, 98). 3. Lact., Div. inst., VII, 23 (S VF, II, 263). Voir Ar. Did., fr. 37 (Eus., PE, XV, 19) et Nem., Nat. horn., 38 (S FF, II, 625). 4. Stob., Ed., I, 20, p. 171, 2 W. (Ar. Did., fr. 36 ; SVF, I, 107 ; SVF, II, 596) ; Aristocl. ap. Eus., PE, XV, 14 (SVF, I, 98) ; Eus., PE, XV, 18, 3 (Ar. Did., fr. 36). Revue philosophique, n° 2/2002, p. 213 à p. 227 216 Jean- Baptiste Gourinat puisqu'elle se réfère à la notion d'ordre cosmique : « A nouveau [le monde] se remet en ordre. » Les auteurs chrétiens qui exposent la doctrine emploient les termes àváaxaaiç et àviaTaaoai1, à propos du retour à l'identique des individus. Ces termes désignent le fait de se relever : chez les chré- tiens, ils appartiennent au vocabulaire de la résurrection, et décri- vent le mort couché qui se redresse. Mais Origène nous assure que ce n'était pas un terme employé par les Stoïciens (Adv. Cels., V, 20). Le fragment de Chrysippe cité par Lactance (Div. inst., VII, 23 = S FF, II, 263) semble bien indiquer en revanche que les Stoï- ciens ont utilisé l'expression « période de temps », 7uepfo8oç xpóvoo. L'expression, qui se retrouve dans plusieurs sources2, désigne non pas un simple laps de temps, mais le retour du temps à son point de départ, puisque le uploads/Religion/ le-temps-chez-les-stoiciens.pdf
Documents similaires
-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 15, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
- Taille du fichier 1.1121MB