AIDE A LA PREDICATION Dimanche 27 septembre 2015 Matthieu 15,21-28 J.-M. Thalli

AIDE A LA PREDICATION Dimanche 27 septembre 2015 Matthieu 15,21-28 J.-M. Thallinger, Mulhouse Faut-il sauver le soldat Jésus ? Beaucoup de commentaires semblent mal à l’aise face à ce texte qui met en scène « un » Jésus en apparence misogyne et militant de la préférence nationale. « Je ne vais pas adresser la parole à une femme non juive ! » semble-t-il exprimer par son silence premier, en contraste surprenant avec le Jésus à la rencontre de Zachée, qui s’invite d’autorité chez lui. Ici c’est la femme cananéenne qui semble provoquer et forcer la rencontre. Les commentateurs s’évertueront alors à tenter de « sauver » ce Jésus et en faire le reflet admirable d’un Dieu muable, capable de changer, a-dogmatique, doué de sens de l’écoute. Le Dieu qui négocia « juste à juste » avec Abraham pour le salut de Sodome. A la satisfaction générale, le texte et l’honneur de Jésus sont saufs. Il se laisse déplacer, convertir même, à l’universalisme inclusif, par une femme juive. Faut-il vouloir sauver le soldat Jésus ? Ou ne faut-il pas plutôt sauver ceux qui se donnent comme mission de sauver le Sauveur de la même manière que les courants radicaux religieux se sentent habituellement investis de la mission sacrée de défendre Dieu, comme si ce dernier n’était pas en mesure de se débrouiller seul ? Souvenons-nous peut-être, devant l’aspect ésotérique du texte (pourquoi ne répond- il pas ? L’échange autour des miettes ne donne pas lieu à une leçon explicite), qu’une des difficultés du théologien face à cet écrit tient à ce que non seulement il se situe au troisième ou quatrième degré de lecture : 1. L’événement initial 2. La réception-rédaction par l’auteur de l’évangile 3. La tradition qui oriente la lecture 4. L’interprétation de ce moment présent, mais tient aussi au statut tautologiquement écrit du texte. L’Ecriture, parce qu’écriture, nous privera toujours de la voix, du regard, du sourire, détendu, malicieux, complice, des sourcils froncés ou accueillants de ses locuteurs. Tout cela rendra particulièrement délicate l’interprétation de deux moments du texte : le silence initial de Jésus lorsqu’il sera interpellé par la femme cananéenne, leur échange qui suivra après la rupture de celui-ci. Le silence : « Il ne lui répondit pas un mot » Ce silence fit donc beaucoup gloser. Trouble ? Mépris ? Peur devant la transgression après la polémique du début du chapitre avec les pharisiens (verset 2 : « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ? En effet, ils ne se lavent pas les mains, quand ils prennent leurs repas. ») ? Pourquoi ne pas imaginer ce silence accompagné par un grand sourire bienveillant et accueillant ? Depuis l’événement du tombeau vide, nous savons qu’il est des silences qui peuvent faire parler bien plus que tous les verbiages du monde. Si la Bible s’ouvre par un Dieu-parlant, il est aussi une théologie du silence de Dieu qui s’appuie sur l’interpellation de Job (Job 30, 20 « Mon Dieu je t'appelle, mais tu ne réponds pas), sur le « Deus absconditus » d’Esaïe (45, 15 : « pour sûr tu es un Dieu qui se tient caché »), et encore sur de nombreuses adresses et plaintes des psaumes. Dans le Nouveau testament, on retrouve ce silence de Jésus lors de sa comparution devant Caïphe (Matthieu 26, 63 : « Jésus garda le silence »), devant les accusateurs de la femme adultère (Jean 8,6 : « Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur le sol ») jusqu’au silence qui ouvre sur le temps des apôtres à partir de l’Ascension. Femme et païenne Au regard de la traditionnelle prière juive du matin – "Seigneur, merci de n’être né ni esclave, ni païen, ni femme"–, les rencontres de Jésus sembleront bien décalées. Pensez donc, je vous fais grâce des lépreux, aveugles, collecteurs d’impôts et autres exclus sociaux pour ne m’intéresser qu’aux femmes : Jésus et l’hémoroïsse, Jésus et la samaritaine, Jésus et Marie-Madeleine, Jésus et la parfumeuse de Béthanie, Jésus et la femme adultère … Le contraste sera encore plus flagrant avec la cananéenne, une rencontre doublement improbable, sinon répréhensible, aux yeux des gardiens de la loi et de la pureté : la cananéenne est un être femme et païenne, comme le sera par ailleurs la femme samaritaine. Pour beaucoup d’interprètes cette double transgression pour un homme juif expliquerait le silence initial de Jésus mettant d’autant plus en valeur le pas qu’il va faire en finissant par lui accorder son attention et même plus, sa guérison. Cependant cette explication pourra sembler insuffisante au regard d’une autre guérison qui précède de quelques chapitres celle-ci : la guérison du serviteur du centenier, païen également, conclue par ces mots dans Matthieu 8,11 : « Or, je vous déclare que plusieurs viendront de l'orient et de l'occident, et seront à table avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux ». L’hypothèse que la bénédiction biblique puisse être servie à des convives non-membres de la maison d’Israël était déjà envisagée. L’évangile se niche dans les miettes On dit que le diable se niche dans les détails. L’évangile de notre texte ne se dissimulerait-il pas dans les miettes de la table ? Ce chapitre 15 abonde en effet de questions alimentaires : la dispute autour du lavement des mains avant le repas (1-20) – qui peut être élargie à toutes les questions de ritualité et de pureté alimentaire, le pain des enfants et les miettes jetés et mangés par les chiens et enfin, il se clôt par le récit de la multiplication des pains. La lecture courante du dialogue de Jésus avec la Cananéenne fut de voir la représentation du peuple juif, seul accueilli à la table divine par des enfants dont on prendrait le pain et les chiens signifiant quant à eux les nations, peuples païens, exclus du repas du royaume. Dans une compréhension dogmatique de préférence nationale, un Dieu jaloux, ethnique, exclusif, qui n’avait pas envisagé encore de « Schengen » interreligieux ou laïc. Les rites de pureté, alimentaires et autres, visaient à bâtir des murs et frontières afin d’éviter tout risque de contact ou pire, de mélange. Aucun droit d’asile ni refuge religieux ne serait accordé à quelque allogène que ce fût. La cananéenne réfute cette vision des choses. Elle réclame une place non pas à la table, quelques miettes de la révélation et des bénédictions divines la satisferaient. Elle ouvre ainsi la révélation évangélique à l’universel. On discerne l’arrière- fond historique probable du texte et les polémiques naissantes à l’intérieur du judaïsme dont le livre des Actes se fera l’écho quant aux conditions de la prédication de la bonne nouvelle vers les païens. Jésus semble dans un premier temps adopter le discours pharisien. Je crois plutôt qu’il le reprend, comme une représentation mimétique, non pour l’affirmer parce qu’il y croirait mais comme une provocation, pour pousser la femme à pouvoir l’interroger, le contester, puis finalement le dépasser. Il lui donne l’opportunité d’une parole personnelle, responsable. Comme nous le remarquions à propos du silence initial, nous ne disposons pas du regard, du ton de voix de l’échange entre Jésus et la femme. Je l’imagine plus sur un ton taquin, une joute complice ou amicale. Jésus sait qu’elle peut aller plus loin que la lettre du dogme pour oser affirmer l’esprit de l’évangile. Je l’imagine dire ou suggérer par son regard et son ton de voix « si je suivais les règles que ces imbéciles de pharisiens viennent de défendre, je n’aurai ni à te parler, encore moins à m’intéresser à ta situation, et certainement pas à te proposer quelque secours. Que dis-tu de ces règles, toi ? ». C’est comme s’il s’agissait d’une leçon tirée de la polémique avec les pharisiens et scribes qui avait précédé la rencontre pour les disciples spectateurs de la scène, eux qui avaient vainement tenté de faire chasser la femme. Elle ne demande pas à être à la table, elle ne demande pas du pain des enfants. Les miettes lui suffiraient. Cette métaphore des miettes me paraît le cœur du texte. Comme il y a une théologie du silence de Dieu, nous pourrions esquisser une théologie des miettes. Le texte nous y invite. Dans la joute théologique initiale, Jésus reproche à ses adversaires de s’attacher à de petits détails, miettes, qui les dispensaient de s’intéresser à l’essentiel, l’amour du prochain. Le récit de la multiplication des pains se clôt par la mention d’un surplus, de restes, de miettes du repas, de sept corbeilles. Les miettes ramassées n’auraient-elles pas plus de saveur que la pleine assiette mangée distraitement (sans Foi, du bout des lèvres : v. 8 : « ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi »), ou qu’un repas mangé sous la contrainte d’une tradition doctrinale, massive, monumentale, totalitaire, sans faille, sans place pour l’individu personnalisé ? C’est le principe d’une parole morale, elle est pour tous, sans distinction, sans attention prêtée à la situation personnelle de celui ou celle à qui elle s’adresse. uploads/Religion/ matthieu-15-21-29-1.pdf

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  • Publié le Fev 13, 2022
  • Catégorie Religion
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