ÉCOLE ET RELIGION : ENJEUX DU PASSÉ, ENJEUX DÉPASSÉS, ENJEUX DÉPLACÉS ? Yves Ve
ÉCOLE ET RELIGION : ENJEUX DU PASSÉ, ENJEUX DÉPASSÉS, ENJEUX DÉPLACÉS ? Yves Verneuil Karthala | « Histoire, monde et cultures religieuses » 2014/4 n° 32 | pages 13 à 27 ISSN 2267-7313 ISBN 9782811113896 DOI 10.3917/hmc.032.0013 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures- religieuses-2014-4-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Karthala. © Karthala. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il n’est pas sûr que la réponse soit si simple ; et pourtant la laïcité est parfois entendue de cette façon. Professeur d’histoire- géographie en collège, au début des années 1990, je demandai un jour à un de mes collègues comment il s’y prenait, en classe de 4e, pour expliquer la différence entre catholicisme et protestantisme. Il me répondit, avec un sourire en coin : « Je ne le fais pas, c’est de la religion, je n’ai pas à enseigner ça ! ». Je lui demandai alors s’il faisait aussi l’impasse sur la religion égyptienne, au programme de la classe de 6e, mais il me rétorqua : « Ça n’a rien à voir, ce n’est pas de la religion, c’est de la mythologie… ». Cette anecdote rappelle d’abord que les religions, et pas seulement les religions disparues, ont toujours été présentes à l’école à travers le cours d’histoire. Par-delà la tentative de distinction entre religion et mythologie, elle suggère aussi que ce sont les religions encore pratiquées qui peuvent poser problème dans le cadre scolaire ; ou plutôt la question est de savoir quelle attitude adopter. Faut-il, tel mon collègue, pratiquer ce qu’on appelle la « laïcité d’abstention » ? C’est un fait, certains enseignants ont une vision très critique des religions : la « laïcité d’abstention » est souvent un brin antireligieuse. Pourtant, la laïcité, ce n’est pas forcément la défiance envers les religions. Il faut donc se demander pourquoi la laïcité a parfois pris en France cet aspect de promotion de la rationalité qui peut dériver vers une attitude antireligieuse. Assurément, contrairement à ce qui © Karthala | Téléchargé le 27/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.173.24.11) © Karthala | Téléchargé le 27/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.173.24.11) 14 Yves Verneuil est parfois affirmé, la laïcité n’est pas une exception française : d’autres pays l’ont mise en place, sous d’autres formes. Néanmoins, la « voie française » (P. Cabanel) est singulière. Pour l’expliquer, le détour par l’histoire est nécessaire. L’Ancien Régime : l’école au service de la religion « Souvenons-nous que nous sommes en la sainte présence de Dieu ». C’est par cette phrase que, toutes les demi-heures, sont interrompus les exercices scolaires dans les établissements des Frères des écoles chrétiennes, congrégation fondée par Jean-Baptiste de la Salle, au xviie siècle. Dans les collèges des jésuites, les cours commencent par une prière, la messe est quotidienne, les élèves doivent se confesser, la dévotion envers Marie est encouragée. Il s’agit d’imprégner de religion tout le temps scolaire. Dans ce contexte, l’école sert d’abord à l’instruction religieuse : catéchisme, prière, éléments du culte, devoirs du chrétien. Ce n’est pas le propre des établissements congréganistes. Le Traité des études de Charles Rollin, en 1726, proclame que « la fin de toutes nos instructions doit être la religion ». Cela ne veut pas dire que tout l’enseignement soit religieux ; mais même les matières profanes sont attachées à la religion, et surtout les structures d’enseignement sont sous le contrôle des institutions religieuses. Dans les villages, le maître d’école enseigne certes les rudiments de la lecture, de l’écriture, du calcul ; mais il doit avant tout préparer les enfants à la communion. Comme ses revenus sont insuffisants, il est aussi sonneur de cloche, bedeau, sacristain, fossoyeur : il est vraiment l’auxiliaire du curé, qui a un droit de veto sur sa nomination. Cette situation est liée à la mission, coextensive à la société, qui est alors celle de l’Église : comme l’assistance publique, l’enseignement fait partie de ses missions. Cependant, le conflit entre catholicisme et protestantisme a aussi contribué à faire de la religion un enjeu à l’école. Henri IV est l’initiateur du célèbre édit de Nantes, mais en 1606 il cède aux remontrances du clergé catholique en publiant un édit prescrivant que les maîtres des petites écoles devront être « approuvés » par les curés des paroisses. Après l’ordonnance d’avril 1695 qui réitère cette obligation, Louis XIV , par la Déclaration royale du 13 décembre 1698 fait obligation aux paroisses d’établir des maîtres et maîtresses, dans le but en particulier d’instruire les enfants des protestants dans la religion catholique. Une seconde déclaration, en 1725, reprend ces prescriptions, en spécifiant que, chaque mois, il devra être remis à la justice un « état exact de tous les enfants qui n’iront pas aux écoles, ou aux catéchismes et instructions »1. Il s’agit en l’occurrence de faire des enfants des protestants de bons petits catholiques. 1. F. Lebrun, M. Venard, J. Quéniart, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, t. II : de Gutemberg aux Lumières, Paris, Nouvelle librairie de France, 1981, p. 256 et p. 391-392. © Karthala | Téléchargé le 27/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.173.24.11) © Karthala | Téléchargé le 27/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.173.24.11) 15 École et religion : enjeux du passé, enjeux dépassés, enjeux déplacés Contesté par les parlementaires au xviiie siècle2, détruit par la Révolution, ce système est longtemps resté un modèle pour l’Église catholique. De là les grandes luttes du xix e siècle. L’Église tente de reconquérir son hégémonie (1806-1879) En 1808, Napoléon 1er instaure l’Université impériale, qui a le monopole de l’enseignement, hors les séminaires. Elle est sous le contrôle d’un grand maître, nommé par l’Empereur. Le système éducatif est donc placé sous l’influence de l’État, et non plus de l’Église, même si des membres du clergé sont présents dans les organes de gouvernement de l’Université3. La religion n’est d’ailleurs pas écartée de l’enseignement : l’article 38 du décret du 17 mars 1808 stipule au contraire que « toutes les écoles de l’Université impériale prendront pour base de leur enseignement les préceptes de la religion catholique ». Ainsi le règlement du 19 septembre 1809 sur l’enseignement dans les lycées stipule-t-il que la journée commence par les prières du matin et se termine par les prières du soir, que les repas sont précédés d’une prière et que les élèves doivent se rendre le dimanche et les jours de fête aux offices dans la chapelle du lycée, après avoir suivi les instructions assurées par l’aumônier. Le rôle de l’aumônier (lequel est rémunéré par l’État), est renforcé par son logement dans l’établissement. Après 1815, le régime de la Restauration maintient l’Université, mais la « cléricalise », particulièrement lors de sa phase « ultra ». En 1824, c’est symboliquement un ministère des Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique qui est créé ; son premier titulaire est d’ailleurs un évêque, Mgr Frayssinous. L’influence de l’Église est concrète. Les candidats aux fonctions d’enseignement doivent être munis d’un certificat de bonne conduite (ce qui comprend des observations en matière de religion) délivré par le recteur pour les candidats à l’agrégation, par le curé pour les candidats au brevet de capacité pour les fonctions d’instituteur. Le curé et l’évêque reçoivent un rôle de surveillance et d’inspection. Après la Révolution de Juillet, le nouveau régime met un coup d’arrêt aux progrès de l’influence cléricale sur l’enseignement. Symbole : le Conseil royal de l’Instruction publique est désormais composé de sommités universitaires d’esprit libéral. La monarchie de Juillet sépare par ailleurs les portefeuilles de l’Instruction publique et des Cultes. Avec la loi Guizot (1833), le clergé reste présent dans les comités de surveillance locaux et d’arrondissement institués, mais son rôle y est amoindri. 2. La volonté des parlementaires d’avoir un rôle dans la gestion des questions scolaires est illustrée par la création de l’agrégation en 1766 : cf. D. Julia, « La naissance du corps professoral », Actes de la recherche en sciences sociales, septembre 1981, p. 71-86. 3. De 1810 à 1815, le Conseil de l’Université a comporté uploads/Religion/cairn-ecoles-et-religions.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 02, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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