Publications de l'École française de Rome Religion gauloise et religion romaine

Publications de l'École française de Rome Religion gauloise et religion romaine Paul Marie Duval Citer ce document / Cite this document : Duval Paul Marie.Duval Paul Marie. Religion gauloise et religion romaine. In: Travaux sur la Gaule (1946-1986) Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 401-419. (Publications de l'École française de Rome, 116); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_ant_116_1_3677 Fichier pdf généré le 29/03/2018 RELIGION GAULOISE ET RELIGION ROMAINE II s'agit de la rencontre entre deux polythéismes dont les différences nous frappent d'autant plus que leurs ressemblances tiennent à leur origine commune indo-européenne - mais leur évolution ne s'était pas faite d'un même rythme, le substrat n'était pas identique de part et d'autre, les apports reçus de sources étrangères ont été ou de nature hétérogène ou de volume inégal. Ainsi les distinctions, qui apparaissent plus nettement, sont d'importance variable avant, pendant et après la conjonction, qui sera ici considérée du seul point de vue de la mythologie : les divinités et leurs activités; à l'exclusion des cultes, rites, monuments, et représentations envisagées pour leur seule valeur artistique. Dans le temps, après la longue période des antécédents, qui remonte à la Préhistoire, la rencontre, commencée vers 120 av. J.-C, se déroule en plusieurs phases que distingue soit l'histoire de la Gaule, soit celle de l'Empire romain, avant de céder la place, au cours des IIe-IIIe siècles, à un autre heurt, celui d'un monothéisme et d'un polythéisme : le christianisme latin et la paganisme celto- romain. Les deux polythéismes appartenaient à des ethnies, l'une italique et l'autre celtique, qui étaient voisines par leurs territoires et leurs rivages comme par leurs langues indo-européennes. A priori, la rencontre ne pouvait être que pacifique et fructueuse, sur le plan des personnels divins tout au moins. Au moment où elle se produisit, le degré d'évolution des deux éléments était fort différent. La religion romaine, gréco-italico-étrusco-latine, était toute constituée, réserve faite des aspects impériaux qu'elle revêtira bientôt et qui contribueront puissamment à sa diffusion, ainsi que des apports orientaux (les cultes à mystères notamment), qui, en partie déjà présents à l'époque républicaine, la tranformeront profondément à partir du IIe siècle. La religion gauloise, protohistorique et celtique avec quelques infiltrations helléniques, était beaucoup moins évoluée, présentait des caractères encore archaïques mais avait déjà adopté la nature anthropo- morphique des dieux, qu'impliquait, d'ailleurs, la notion indo-européenne de la divinité personnelle (*deiwos > divos en gaulois; deus en latin). 402 II - RELIGION GAULOISE ET GALLO-ROMAINE I. Le substrat gaulois est fortement individualisé. Le peuplement, la société sont de nature tribale : une centaine de groupements expliquent en partie la multiplicité des cultes, locaux ou régionaux. Pas de nation ni de centralisation, donc pas d'organisation d'ensemble; pas de chef unique, donc pas de culte civique; pas d'écriture courante soutenant la diffusion des mythes, d'où une souplesse, une mobilité, une vulnérabilité des entités divines, qualités favorables à toute assimilation, à toute «interprétation». S'il y a dès l'époque la plus ancienne quelques grands dieux, ce que nous supposons (au moins l'existence d'un maître du ciel tonnant, nommé Taran(-is) sur les premières inscriptions et que tous devaient redouter, est-elle vraisemblable), ils coexistaient en fait avec une multitude d'êtres sacrés, souvent topiques, et d'importance variable, allant des héros, démons, génies, à la nature proprement divine. Si la personnalité surhumaine existe dès la haute époque, la forme humaine n'est sans doute pas encore adoptée pour les représentations, puisque vers - 280 les compagnons de Bren- nos s'étonnent de la constater chez les Grecs. Deux siècles plus tard, ce sera chose admise par les Gaulois : César, loin de signaler son absence, fait état des simulacra - figurations, portraits - du Mercure indigène. Les traces d'archaïsme sont, toutefois, parfaitement sensibles encore à l'époque de la rencontre (vers - 120 dans le Midi, vers - 60 dans le reste de la Gaule); elles se signalent en effet dès que les nouveaux moyens d'expression, écriture et imagerie, fixent les caractères et l'aspect des divinités jusque-là définies principalement par la parole. Cultes naturistes survivants, préhistoriques mais celtisés, et que combattront encore dans les premiers siècles chrétiens les prescriptions des conciles; - anonymat de nombreuses entités divines, les Matronae et * Matrae (?) par exemple ; - absence de fêtes pour ainsi dire statutaires dans le calendrier tel qu'il sera transcrit à Coligny (Ain) au IIe siècle de notre ère et où ne figure, semble-t-il, aucun nom divin; - fréquence des divinités collectives, féminines notamment, qui dureront par adoption de surnoms divers; - survivance de dieux animaux et monstrueux, attestés hors de Gaule (le dieu aux bois de cerf à Val Camonica, au - IVe siècle, et sur le bassin de Gundestrup, dans la première moitié du - Ier siècle)1, mais qui y seront représentés dans l'iconographie d'époque impériale; - présence de monstres sacrés, acteurs de mythes encore inconnus, que commence de nous révéler la numismatique; - coutume de la «répétition intensifiante», fréquente dans l'iconographie gallo-romaine (et dont les divinités collectives 1 Cf. mes Dieux de la Gaule, 2e edit., Payot, 1976, p. 37-38 et fig. 22. RELIGION GAULOISE ET RELIGION ROMAINE 403 étaient déjà une application d'un autre genre) : dieu ou déesse à trois visages ou trois têtes, dieu à plusieurs phallus. En face d'une religion romaine organisée, centralisée, civique, riche en divinités anthropomorphes, soutenue, fixée et divulguée par des textes et des représentations innombrables, le monde divin des Gaulois est encore, à la veille de la rencontre, essentiellement proche de la nature, engagé dans l'anonymat, et vraisemblablement proliférant sur le plan local; il est éminemment modelable et assimilable, si l'on considère comme une faiblesse l'absence d'une écriture courante et d'une iconographie plastique tant soit peu développée. Il est toutefois de bonne méthode de faire état strictement, pour cette époque pré-romaine, des seules sources qui en émanent ou qui s'y rapportent. Elles concernent trois problèmes : les apports méditerranéens, effectués grâce aux colonies grecques de la région littorale et à la navigation sur l'Atlantique; les légendes illustrées par les images mythologiques que nous commençons de reconnaître, sans pouvoir percer leur anonymat, sur les monnaies; les rapports possibles - un parallélisme en tout cas - entre une mythologie germanique protohistorique et les légendes celtiques contemporaines. a) Les apports helléniques historiques sont les plus anciens, la fondation de Marseille vers - 600 ayant dû leur ouvrir les portes de la Gaule et de l'Océan. Par l'Atlantique, sont arrivées les légendes concernant Apollon Hyperboréen, les Dioscures, des rites «dionysiaques» (dans les îles gauloises); par la Méditerranée, les exploits d'Héraclès et les mythes de fondation (Alésia, Lyon). La fortune d'Hercule en Gaule, suite de cette implantation, a été favorisée par l'existence d'un dieu parallèle celtique dont deux incarnations au moins seront importantes à l'époque romaine, Ogmios et Smertrios. Si l'on pouvait prouver que de tels «Hercules gaulois» existaient dès l'époque ancienne, et que le succès d'Héraclès en Gaule leur doit beaucoup, il y aurait lieu de faire état d'une intrepretatio graeca des divinités gauloises, antérieure à Y interpretano romana définie par Tacite au sujet de la Germanie (mais déjà requise par César à propos des grands dieux gaulois) et supposant - c'est le phénomène concomitant - Yinterpreta- tio celtica que J.-J. Hatt a justement mise naguère en lumière2. Interpretano graeca : première rencontre d'une religion méditerranéenne, mère de la romaine, et de la religion celtique. On pourrait en trouver aussi l'indication dans les doctrines philosophico-religieu- ses des druides, assimilées par les auteurs grecs à celle de Pythagore. L'analyse judicieuse et fine que Nora Κ. Chadwick a faite des sources écrites concernant ce rapprochement3 conduit à proposer que ceux 2 J.-J. Hatt, La tombe gallo-romaine, P.U.F., 1951 (2e édit., 1986), p. 84 et 105. 3 Nora K. Chadwick, The Druids, Cardiff, 1966. 404 II - RELIGION GAULOISE ET GALLO-ROMAINE qui l'ont avancé ont déduit du rayonnement de la philosophie ionienne à l'époque de la colonisation et de l'expansion massaliotes le fait que la vision de l'outre-tombe prêtée aux druides devait être rapprochée de l'enseignement d'un Pythagore en particulier, sans qu'il y «ait eu de rapports directs même supposés entre le maître légendaire de Samos et les philosophes gaulois. Quoi qu'il en soit, les druides ont pu connaître les thèmes de la philosophie ionienne et mettre au point une interpretatio celtica dont la doctrine de la réincarnation des âmes qui leur est prêtée serait l'expression. Dans l'art gallo-romain, dans la sculpture en particulier, une influence stylistique de l'iconographie grecque, même la plus ancienne, a été alléguée, qui, si elle se confirmait, donnerait plus de poids à tout indice décelable d'une assimilation, par les Gaulois, du monde divin des Grecs et de leur représentation plastique, d'autant plus éminemment fascinante qu'elle était adoptée par l'art religieux romain4. Il paraît possible d'étoffer cette hypothèse d'un rapprochement entre des croyances gauloises et l'esprit «pythagoricien» des doctrines helléniques sur le monde et son destin, par l'analyse d'images monétaires et d'œuvres d'art gauloises, liées étroitement par une même inspiration. L'interdépendance des êtres vivants, hommes, animaux et plantes, est abondamment illustrée par les transformations et métamorphoses que subissent, sur les fibules, les armes, les parures, uploads/Religion/ publications-de-l-x27-ecole-francaisede-romereligion-gauloise-et-religion-romaine.pdf

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  • Publié le Apv 06, 2021
  • Catégorie Religion
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