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LES EXERCICES SPIRITUELS D'IGNACE DE LOYOLA, UN CHEMIN DE LIBERTÉ Philippe Lécr

LES EXERCICES SPIRITUELS D'IGNACE DE LOYOLA, UN CHEMIN DE LIBERTÉ Philippe Lécrivain Éditions du Cerf | « Revue d'éthique et de théologie morale » 2005/2 n°234 | pages 71 à 86 ISSN 1266-0078 DOI 10.3917/retm.234.0071 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2005-2-page-71.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions du Cerf. © Éditions du Cerf. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Fessard, La dialectique des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola¹. Longtemps mûri – sa première intuition est de 1923 et sa première écriture du début des années 1930 –, cet ouvrage a été immédiatement reçu par les spécialistes avec grand intérêt, d’autant plus qu’il renvoyait dos à dos deux interprétations des Exercices qui s’opposaient alors : l’une, assez courante, qui tendait à faire prévaloir la dimension ascétique du livret ignatien en centrant tout sur « l’élection »; l’autre, représentée par H. Bremond, un ancien jésuite, qui mettait en avant sa dimension mystique, « l’union à Dieu », mais sans attacher beaucoup d’importance à la lettre. Pour le dire autrement, l’importance de l’ouvrage de G. Fessard est de montrer qu’il ne faut point opposer mais unir les deux points de vue et de souligner la pertinence de cette conjonction dans la culture contemporaine. Mais avant de présenter en elle-même la réﬂexion du célèbre jésuite, arrêtons-nous quelques instants pour rappeler la « modernité » spirituelle où prend place Ignace de Loyola. 1. G. FESSARD (1897-1978), La dialectique des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, Paris, Aubier, 1956. Il s’agit du premier tome paru sous ce titre; deux autres ont été publiés par la suite, l’un par le P. Fessard lui-même (1966), l’autre par le P. Sales (1984), mais nous n’en parlerons pas. © Éditions du Cerf | Téléchargé le 19/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.207.198.191) © Éditions du Cerf | Téléchargé le 19/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.207.198.191) 72 R E V U E D ’ É T H I Q U E E T D E T H É O L O G I E M O R A L E N  2 3 4 D I E U T O U J O U R S P L U S G R A N D ! À qui veut faire les Exercices spirituels, la première chose que demande Ignace de Loyola est de faire sien, devant Dieu, ce désir de devenir responsable de son histoire en sorte que sa liberté, loin d’être ordonnée par des structures établies, soit sans cesse provoquée à mettre en œuvre ses facultés d’engagement, de réalisation et d’accomplissement. Cette aventure, dans laquelle il lance le retraitant, est traversée par de multiples crises. Mais plutôt que de s’arrêter à celles-ci, il préfère l’aider à les dépasser en lui proposant non une technique, mais un itinéraire spirituel – quædam via – où il lui sera donné de comprendre que l’on n’en a jamais ﬁni de chercher et de découvrir Dieu. Dieu dans le « plus » de l’amour Dans sa revendication d’autonomie, notre contemporain pense n’avoir pas besoin de Dieu. En tout état de cause, il rejette un Dieu dont la grandeur s’édiﬁerait sur sa propre misère, un Dieu qui viendrait combler les limites de son savoir, les frustrations de sa sensibilité ou les défaillances de sa liberté². Il ne demande pas non plus à Dieu de réaliser ce qui lui semble relever de sa vocation et de sa responsabilité : construire un monde plus humain. Toute apologétique qui prétendrait faire surgir Dieu des failles de l’existence humaine apparaît à l’homme moderne indigne de Dieu et de lui-même. Or, précisément, l’expérience de Dieu qu’Ignace de Loyola invite à faire ne prend pas naissance dans la conscience des faiblesses et des fragilités de l’homme. Quand lui-même songe à son avenir durant sa convalescence, après avoir été blessé à Pampelune, il ne demande pas à Dieu de donner un sens à sa vie. Les grandes choses dont il rêve ont, en elles-mêmes, leur valeur et leur poids. Elles justiﬁent qu’il demande une nouvelle opération qui, au prix de grandes souﬀrances, lui laissera l’espoir d’une réussite humaine. Ignace de Loyola sait ce que c’est que d’être homme, et rien ne lui paraît plus exaltant que de tout mettre en œuvre pour le service d’une inaccessible Infante. Aussi, quand Dieu s’insinue 2. D. BONHOEFFER (mort en 1945), « Dieu n’est pas un bouche-trou », Résistance et soumission, Labor et ﬁdes, 2éd., 1973, p. 321-322. © Éditions du Cerf | Téléchargé le 19/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.207.198.191) © Éditions du Cerf | Téléchargé le 19/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.207.198.191) 73 L E S E X E R C I C E S S P I R I T U E L S D ’ I G N A C E D E L O Y O L A en son cœur, ce n’est pas pour combler un vide mais pour lui révéler une plénitude qu’il ne soupçonnait pas. Sa première expérience de Dieu est faite de plénitude et d’émerveillement. Au-delà de ses rêves les plus fous, il découvre qu’il y a quelque chose de plus grand encore. Dieu ne lui apparaît pas comme nécessaire à son bonheur, mais comme un surcroît de gratuité. Dans les Exercices, la méditation du Règne indique bien le moment où, pour Ignace de Loyola, se situe vraiment l’expé- rience de Dieu : Ceux qui auront jugement et raison oﬀriront toute leur personne à la peine, mais ceux qui voudront mettre tout leur cœur et se distinguer davantage en tout service auprès de leur Roi éternel et Seigneur universel... feront des oﬀrandes de plus grande valeur et de plus grande importance³. C’est dans ce magis que Dieu se manifeste au cœur de l’homme et qu’il se révèle comme cet au-delà de tout, ce semper major, creusant en lui la force illimitée du désir. Il ne sert à rien mais, à qui souhaite aimer et servir davantage, il donne couleur et chaleur. Au XVIsiècle, tout cela parut très neuf et les premiers compagnons d’Ignace, Pierre Favre et François Xavier, furent surpris de ce qu’ils appelaient une « théologie du cœur ». Au commencement, un immense désir Dans les Exercices, le mode ignatien de procéder implique que le retraitant soit en quête d’une décision à prendre et vise à lui donner le moyen de nommer provisoirement son désir. Pour cela, il le conduit d’un lieu de départ à un lieu de plus grande vérité, en lui procurant des repères, mais sans lui dire quel sera son voyage. À qui vient en retraite avec l’idée que Dieu le « veut » plutôt ici que là ou que ceci serait mieux que cela, la réponse est d’abord : « Non, Dieu est indiﬀérent, ”plus grand“ que tous les rendez-vous que, toi, tu veux lui donner. » À qui veut prendre une décision, il est demandé d’en revenir au principe et d’accepter de se laisser surprendre par la rumeur de la mer ou le murmure de la « brise légère », où Dieu se trouve. 3. Ignace DE LOYOLA, Exercices, n97, in Écrits, DDB, 1991, p. 106. Notons ici que les commentaires que nous ferons des Exercices, au ﬁl de uploads/Religion/ retm-234-0071.pdf