Revue d’histoire moderne et contemporaine Les guérisseurs en France au XIXe siè

Revue d’histoire moderne et contemporaine Les guérisseurs en France au XIXe siècle Jacques Léonard Citer ce document / Cite this document : Léonard Jacques. Les guérisseurs en France au XIXe siècle. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 27 N°3, Juillet-septembre 1980. pp. 501-516; doi : https://doi.org/10.3406/rhmc.1980.1111 https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1980_num_27_3_1111 Fichier pdf généré le 09/04/2018 yCA LES GUÉRISSEURS EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE N'est-il pas significatif que les concurrents illégaux des médecins soient appelés guérisseurs ? L'opinion publique au xixe siècle refuse de faire coïncider le diplôme et la faculté de guérir. La notion même illégal de la médecine prête à sourire. Dans le peuple, ce n'est pas le titre, c'est la réussite qui fait la différence. On devine même un jugement de valeur, à front renversé, comme si les médecins ne guérissaient pas souvent. Ceux-ci, au risque de mêler dans le même sac d'infamie la charité et l'escroquerie, portent contre leurs rivaux les plus graves accusations d'incompétence meurtrière. Pourtant, c'est la tolérance envers les qui paraît la norme courante ; les poursuites ne sont que des exceptions impopulaires. Afin de ne pas projeter sur le passé nos préoccupations actuelles, bardées de scientisme ou frémissantes de freudisme, il faut décrire les conditions spécifiques du « guérissage » pendant la majeure partie du siècle dernier. Avant les lois scolaires de Jules Ferry et les conquêtes scientifiques des Pasteuriens, pourquoi les médecins d'alors ne sont-ils appelés que par une fraction réduite de la population ? On ne dispose guère de documents directs et pas du tout de statistiques, sur la comparée des diplômés et des illégaux. Faute de pouvoir sonder les motivations profondes, on peut au moins énumérer quelques éléments de réflexion. Ignorance ! première explication, en forme de grief, émanant des élites bourgeoises et instruites. Certes l'alphabétisation des classes et notamment des femmes de la campagne reste incomplète jusqu'à Duruy et Ferry. Mais savoir lire ne suffirait pas : cela ne conduit pas chez les médecins, tant que cette instruction élémentaire ne contient pas de formation scientifique, les fameuses « leçons de choses », l'enseignement de l'hygiène domestique qui prend la place du catéchisme à l'école publique en 1882. Préjugés, superstitions, complicités religieuses ! Second schéma qui déploie toute sa signification quand on rappelle la spécificité 502 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE du catholicisme du XIXe siècle, tout enfiévré de reconquête obsédé de ritualisme traditionaliste et submergé d'irrationalisme ultramontain. La religion catholique du xixe siècle ne se borne pas à proposer des consolations aux malades ; elle ne combat pas la croyance aux guérisons miraculeuses ; elle ne contredit pas les superstitions Tout au contraire. Elle donne une interprétation générale du malheur biologique ; elle expose l'action pathogène du péché, en les maladies-châtiments, les maladies de perfectionnement spirituel, les maladies-substitution d'expiation et les maladies d'origine diabolique 1. L'Église enseigne l'existence du Malin et donne des réponses religieuses à l'extrême tourment des ensorcelés : le divin répond au démoniaque, comme le Bien au Mal. L'Église met l'accent sur la médiation des saints et sur la valeur éminente de la pénitence et des sacrements pour se ou se guérir des maladies ou accidents. Tout ce qui est relatif au pouvoir thaumaturgique de Jésus-Christ et des Apôtres figure en bonne place dans les Évangiles et se trouve couramment évoqué dans le Propre du Temps et dans les sermons, comme des arguments en faveur du catholicisme. Le clergé encourage toutes les prières et pratiques qui constituent les premiers remèdes du peuple chrétien. Tout ce qu'il bénit est revêtu d'une aura prophylactique. Il organise des démarches collectives, neuvaines, rosaires, processions, pèlerinages. Il dit des messes pour arrêter des épidémies. L'Église codifie le culte des reliques, canalise et exalte la dévotion mariale, notamment sous le pontificat de Pie IX, mobilise la ferveur populaire autour de certains sanctuaires où affluent fidèles et patients : Sainte-Anne-d'Auray, La Salette, Lourdes... Enracinée dans le peuple et la tradition, l'Église, malgré les grognements de quelques théologiens « modernistes », a généreusement baptisé les lieux de guérison pré-chrétiens : fontaines miraculeuses, arbres, grottes, pierres dressées, etc. Donnant largement satisfaction aux besoins concrets de la piété du le clergé met en circulation, après les avoir bénis, des quantités d'objets investis de surnaturel : médailles, croix, chapelets, ceintures de la Vierge, rubans, morceaux de cierge, eau bénite, pain bénit, images pieuses, eau de La Salette, eau de Lourdes, etc. Il existe de petits recueils d'oraisons particulières aux différentes maladies, des livrets qui le recours aux multiples saints guérisseurs, avec leur spécialité thérapeutique, des rituels d'exorcisme, etc. En Bretagne, si la plupart des 7.500 saints dénombrés par le chanoine Peyron ne sont plus honorés au xixe siècle, une centaine d'entre eux sont encore sollicités pour recouvrer la santé, notamment à l'occasion de quelques dizaines de pardons dont la vitalité est maintenue par le clergé ; Mgr Sergent, évêque de Quimper, encourage par exemple les pèlerinages à Notre-Dame-de-Tout-Remède dans l'église de Rumengol ; il faudrait citer, parmi les plus actifs, les six saints guérisseurs de Notre-Dame-du- Haut en Trédaniel, les sept saints d'Erdeven, la Vierge Noire de Guin- gamp, sainte Anne la Palud, saint Vincent Ferrier à Vannes, etc. Le culte 1. Dr Henri Bon, Précis de médecine catholique, Alcan, 1935, p. 391. LES GUÉRISSEURS EN FRANCE AU XIX' SIÈCLE 503 des saints guérisseurs est extrêmement implanté dans les habitudes Il serait très long de dresser la liste de leurs aptitudes curatives : certains ont une compétence universelle comme la Vierge ou saint Yves, d'autres ont une efficacité bien définie ou une réputation purement locale. Au xixe siècle, il semble que deux catégories de malheurs dirigent principalement les familles, et en premier lieu les mères de famille, vers ces chapelles et ces statuettes : les affections qui tourmentent ou les petits enfants, et les maladies nerveuses et mentales. Dans ces conditions d'imprégnation religieuse, il est compréhensible que les guérisseurs puisent dans ce vivier de croyances et de pratiques pour armer psychologiquement leur arsenal thérapeutique. Tout comme le prêtre exorciste, le sorcier-désenvoûteur emploie de l'eau et du sel bénits, multiplie les signes de croix, invoque les Mystères de la Trinité, de l'Incarnation, de la Rédemption, etc. Rien d'étonnant que les panseurs de secrets et de douleurs marmonnent des incantations en latin, des gestes quasi-sacramentels, proposent des amulettes et magiques. Les patients et leurs familles trouvent normal et que le don de guérison soit escorté de signes vénérés et de paroles sacrées. Certains thaumaturges précisent même que leur action positive n'est manifeste que si le malade est croyant. Cette liaison intime du « guérissage » et de la religion s'exprime clairement dans l'exercice illégal de la médecine par un certain nombre de prêtres qui ont leurs secrets et leur droguier, et surtout par effectifs de religieuses. Protégées par les châtelains, les curés et les notables, celles-ci exercent une influence multiforme dans les campagnes où la reconquête catholique des années 1815-1870 fait affluer différentes congrégations enseignantes et soignantes. Elles jouissent de la confiance des populations ; dans leurs officines, elles sont autorisées à préparer des remèdes simples ; en cas de malheur, elles sont donc le recours matériel et moral ; elles donnent le médicament avec la consultation, elles à la fois la tisane et la prière. On les croit savantes parce que proches du clergé. Les urgences et les distances les font appeler dans toutes les classes de la société, les amènent à pratiquer la médecine et la petite chirurgie et les incitent à accepter des rétributions. Beaucoup plus nombreuses que les médecins dans certaines régions où fleurit le système du patronage clérical, elles sont des concurrentes redoutées. Elles sont parfois accusées de négligences, d'erreurs et de témérités aux conséquences tragiques, si bien que les autorités sont obligées de les rappeler poliment à la discrétion, à la gratuité et à la prudence 2. « Nous connaissons des médecins pieux qui ont abouti à un véritable anticléricalisme, du fait de l'empiétement incessant de religieuses ou de curés sur le domaine médical, empiétement souvent nuisible au malade, très souvent nuisible à la réputation du médecin par des critiques plus ou moins explicites, et 2. Jacques Léonard, « Femmes, Religion et Médecine, les religieuses qui soignent, en France, au xix» siècle », dans Annales E.S.C., sept.-oct. 1977, pp. 887 à 907. 504 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE qui arrivent même parfois à compromettre et à rendre intenable la situation matérielle du praticien. » 3 Changeons de bout notre lorgnette pour examiner maintenant les imperfections de la médecine officielle qui laissent un immense champ libre aux pratiques des guérisseurs. Dans ce dispositif, s'articulent au moins trois argument majeurs : la médecine de la faculté est coûteuse, inadéquate et partielle. Le présupposé économique ne manque pas de poids. « Nos paysans ont peu de foi dans l'art de guérir et s'en remettent le plus souvent à la volonté de Dieu. Cependant, la principale cause de leur répugnance à faire appeler des médecins est leur pauvreté », explique Emile Souvestre en 1836 4. Les honoraires médicaux sont en effet hors de portée de la grande majorité des uploads/Religion/ rhmc-0048-8003-1980-num-27-3-1111-guaritori-francia.pdf

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  • Publié le Dec 13, 2021
  • Catégorie Religion
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