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1 Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIV, n° 3/4, 1994 (91/92), p. 577-595. ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000 Ce document peut être reproduit librement, à condition d’en mentionner la source. RUDOLPH STEINER (1861-1925) Heiner Ullrich 1 Les idées réformatrices de Steiner ont aujourd’hui, dans de nombreux domaines, éducation, médecine, agriculture et arts plastiques, notamment, un impact pratique tout à fait extraordinaire. Sur le plan théorique, en revanche, ses écrits n’ont suscité, de la part des milieux scientifiques et philosophiques, que peu d’intérêt et encore moins remporté l’adhésion. Cela étant, sa pensée soulève des controverses passionnées parmi ceux qui la connaissent. Alors que ses partisans y adhèrent sans réserve, les chercheurs universitaires en font un sujet de polémique et la critiquent en bloc. Il n’y a pas de juste milieu dans l’appréciation des idées de Steiner. Cela tient tout d’abord à la diversité et à l’hétérogénéité et à l’importance de son œuvre littéraire et rhétorique 2, ainsi qu’à l’impossibilité de l’appréhender dans son intégralité ; son style, souvent étrange et ésotérique, constitue un obstacle quasi insurmontable pour l’analyse scientifique et philosophique. En outre, il n’existe à ce jour aucune biographie critique de Steiner, celles que l’on trouve s’apparentant plus ou moins à l’hagiographie 2 : pour ne pas nuire à son prestige, elles passent sous silence les nombreuses influences intellectuelles qui l’ont marqué et ses faiblesses de caractère, et s’arrangent pour présenter comme un tout harmonieux une vie personnelle et professionnelle caractérisée par d’évidentes discontinuités. Nous nous bornerons, dans cet article, à exposer brièvement les principaux faits indiscutables de sa vie et ses grands principe les plus accessibles qui fondent son approche de l’éducation. Fils d’un employé des chemins de fer autrichiens, Rudolf Steiner naît le 25 février 1861 à Kraljevec (Croatie). Après avoir fréquenté l’école secondaire (pas de latin ni de grec), il étudie les mathématiques, l’histoire naturelle et la chimie à l’École supérieure technique de Vienne de 1879 à 1883 en vue de devenir professeur de l’enseignement secondaire général. Toutefois, il ne termine pas ces études et s’attache plutôt à approfondir ses connaissances littéraires et philosophiques. A l’expiration de sa bourse, il travaille de 1884 à 1890 comme précepteur et éducateur d’un enfant handicapé dans une famille juive de la grande bourgeoisie viennoise. Philosophe dilettante et autodidacte, il entreprend entre 1882 et 1897, à l’instigation de son professeur de littérature et mentor intellectuel Schroer, l’édition et le commentaire des œuvres scientifiques de Johann Wolfgang Goethe (1749-1832). A partir de 1890, il travaille, en tant que collaborateur indépendant, aux Archives Goethe et Schiller de Weimar (Allemagne). Ses premiers écrits, et notamment son œuvre principale Der Philosophie der Freiheit [La philosophie de la liberté] (1894), sont l’aboutissement de ses efforts pour donner une explication philosophique systématique du mode de pensée objectif en même temps qu’idéaliste de Goethe. En 1891, il passe en tant qu’étudiant libre son doctorat en philosophie à l’Université de Rostock (Allemagne) en soutenant une thèse ultérieurement qui deviendra ultérieurement une de ses œuvres majeures, Wahrheit und Wissenschaft [Vérité et science]. En 1897, une fois terminés ses travaux d’édition, Steiner va s’établir à Berlin. Il travaille comme rédacteur, écrivain, conférencier et chargé de cours et participe aux activités des milieux littéraires bohèmes d’avant-garde, du mouvement ouvrier et des réformateurs religieux. En 1900, il donne un cycle de conférences à la « Bibliothèque théosophique » occultiste, où il rencontre Marie von Sivers qui deviendra plus tard sa seconde femme. De 1902 à 1913, il assume, en qualité de 2 secrétaire général, la direction de la section allemande de la Société théosophique dont le porte- parole international était Annie Besant. En tant que chef de file d’un mouvement de renouveau spirituel le « Docteur Steiner » déploie alors une immense activité, multipliant conférences et voyages, comme en témoignent un nombre impressionnant de comptes rendus sténographiques de conférences (plus de 6.000) et près de trente monographies. En 1913, Steiner rompt avec Annie Besant, en raison, essentiellement, de divergences d’opinion sur l’interprétation ésotérique de la vie du Christ, et fonde avec la majorité de ses partisans allemands la Société anthroposophique dont le siège se trouve aujourd’hui encore au « Goetheanum » de Dornach, près de Bâle (Suisse), dont il avait lui-même dessiné les plans. En tant que fondateur charismatique d’une communauté idéologique entièrement axée sur lui, Steiner développe au cours des vingt dernières années de sa vie, dans d’innombrables cours et conférences donnés dans toute l’Europe, un programme de réforme spirituelle dans les domaines de l’art, de l’éducation, de la politique et de l’économie, de la médecine, de l’agriculture et de la religion chrétienne. L’ambiance révolutionnaire qui règne dans l’Allemagne vaincue des années 1918-1919 lui offre l’occasion de mettre en pratique ses idées sur l’éducation dans une nouvelle école. Le 7 septembre 1919, il inaugure solennellement pour 256 élèves issus essentiellement de familles ouvrières travaillant à la fabrique de cigarettes Waldorf-Astoria de Stuttgart (Allemagne), la première « Libre École Waldorf », établissement d’éducation mixte du primaire et du secondaire. Il faut replacer sa réforme pédagogique dans le contexte de l’utopie radicale de « structuration tripartite de l’organisme social » qu’il avait lui-même proclamée : la création spontanée de nouveaux établissements dotés d’une constitution autonome (jardins d’enfants, écoles et collèges) ainsi que l’organisation coopérative d’entreprises économiques doivent permettre de parvenir à une stricte séparation entre la vie culturelle et économique d’un côté et le système politique étatique de l’autre. Le programme politique de « liberté de la vie spirituelle » et « d’économie associative » défini par Steiner a échoué ; ses écoles en revanche ont été une réussite. Lorsqu’il meurt à Dornach, le 30 mars 1925, en laissant inachevée la rédaction de son autobiographie, la première promotion d’élèves de l’École Waldorf prépare le baccalauréat. Le « Goethéanisme » La perception intérieure du monde spirituel et la spiritualisation de tous les domaines de la vie constituent le thème central de l’œuvre de Steiner. A dix-neuf ans déjà, Steiner souffre de la démythification du monde due à l’économie, la technique, les sciences naturelles et la philosophie critique. Au plus profond de son être persiste au contraire la certitude, courante en d’autre temps, de l’existence d’un univers spirituel. Au début de ses études, censément en sciences naturelles, il écrit à un ami : « L’année dernière je me suis efforcé de comprendre si Schelling a raison de dire qu’il existe en chacun d’entre nous ‘une merveilleuse faculté cachée, au-delà de l’instabilité du moment, de se retirer au plus profond de soi-même pour y observer ce qu’il y a d’éternel en nous dans sa forme immuable’. Je pensais et pense encore avoir indubitablement découvert en moi cette faculté intérieure. Il y a d’ailleurs longtemps déjà que je l’avais pressentie »4. Dans ses œuvres préthéosophiques Steiner, réfutant délibérément le criticisme de Kant, qui limite l’expérience objective, s’efforce de justifier par la théorie de la connaissance cette expérience mystique solitaire. Il part au contraire du principe que par-delà les limites de la connaissance définies par Kant, tout ce qui est nécessaire à « l’explication du monde » est accessible à la pensée humaine, car il est convaincu que la pensée est, sous la forme des idées, l’essence du monde. La connaissance de soi permet de « pénétrer progressivement les fondements de l’univers ». Le spirituel s’incarne dans l’ « organisme universel » ; sa manifestation la plus haute et la plus achevée est la pensée 3 humaine car l’homme exprime le contenu de la pensée, c’est-à-dire les idées éternelles. La « perception intellectuelle » permet à l’homme de faire l’expérience directe des idées et de fusionner ainsi (à nouveau) de manière altruiste avec les fondements de l’univers. La théorie de la connaissance du jeune Steiner est donc à la fois une ontologie et une cosmogonie - un retour à la doctrine prémoderne, à la fois naïve et réaliste, du réalisme des Universaux : elle a pour but de montrer à l’homme sa mission et sa place dans le monde par le biais de la réflexion sur soi et doit lui permettre de « conquérir par le travail de la pensée ce que l’on obtenait naguère par la foi en la révélation : la satisfaction de l’esprit » 5. Le désir de réhabiliter une vision du monde objective et idéaliste explique aussi l’intérêt de Steiner pour les recherches de Goethe sur la nature : contrairement aux sciences naturelles expérimentales, basées sur l’analyse de causalité, Goethe était, dans sa morphologie idéaliste, à la recherche de l’unité universelle de la nature ; il découvrit dans ses phénomènes primitifs ou dans les archétypes du règne végétal et animal, les manifestations graduelles du spirituel qui est susceptible de s’exprimer consciemment dans le microcosme que constitue l’homme. Ce « goethéanisme » métaphysique, avec son anthropomorphisme implicite, est la première réponse de Steiner à la question romantique fondamentale qu’il se posait : comment est-il possible de transcender intellectuellement l’intellect afin d’exprimer l’invisible dimension spirituelle ? Comme les premiers romantiques, Steiner cherche uploads/Religion/ rudolph-steiner.pdf

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  • Publié le Apv 19, 2022
  • Catégorie Religion
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