LA SCIENCE CHEZ LES TURCS OTTOMANS DU COMMENCEMENT JUSQU’A LA FIN DU MOYEN-AGE

LA SCIENCE CHEZ LES TURCS OTTOMANS DU COMMENCEMENT JUSQU’A LA FIN DU MOYEN-AGE Il convient, pour prévenir les équivoques auxquelles cette étude pourrait donner lieu, d’annoncer dès le début que le sujet traité dans les pages suivantes est, comme le titre l’indique déjà, exclusive­ ment la science chez les turcs ottomans. Je n’aime pas aborder ici la question si la science en langue arabe ou persane fut, en grande partie, l’œuvre de savants d’origine turque, puisqu’une telle discus­ sion nous amènerait très loin dans les spéculations sur l’origine des savants des IX e, Xe et XIe siècles 1. D’autre part mon but n’est que relever brièvement l’état des sciences pendant cinq siècles (XIVe -XIXe ) chez un peuple qui de­ vait être l’un des héritiers de la science dite arabe, et de montrei comment cette science persista tout en entrant dans une phase déca­ dente jusqu’au XVIIIe siècle, c’est-à-dire jusqu’à l’introduction de la science moderne en Turquie. Par le mot science, j’entends dans cette étude les sciences mathé­ matiques et naturelles ainsi que la médecine. Je me vois obligé d’insister sur cette distinction d’autant plus que chez les ottomans, d’ailleurs com­ 1 Pour ces discussions on peut renvoyer les lecteurs presque à chaque publication récente de l’Institut de b Histoire de la Médecine d’Istanbul (en turc et en français) rédigées par le docent Dr. Su h e y l Ün v e r D’ailleurs, poui ne citer qu’un exemple caractéristique de ces controverses, j’indiquer ai les articles dans deux numéros de «The Musulman.!, revue hebdomadaire parais sant à Calcutta (specialied issue de 1936, et n. 6. 1937). Il est question dans ces articles d’un penseur musulman, SAYh G a ma l a l -d in AFgvrrt, qui vivait dans la deuxième moitié du siècle dernier. On y verra également une note de moi, déterminant le lieu de naissance et la langue maternelle du &Avh, d’après les sources turques. Si l’on considère cette controverse sur l’oiigine d’une pei- sonne qui a vécu, poui ainsi dire, un peu parmi nous, on estimera aisément les difficultés et, parfois même, l’impossibilité de déterminer l'origine des savants des IXe, Xe et XIe siècles dans le creuset, où se fusionnaient des peuples dif­ férents, qu’était le moyen Orient. 348 AHOHBIOK (XIX) 1937 me partout en Orient, le mot science avait un sens tellement compré­ hensif que toutes les branches de la connaissance humaine y en­ traient sans discrimination aucune La religion avec sa théologie, son droit canonique, l'astrologie, la magie, la physiognonomie, la fantas­ magorie (Simya) et l'art de l’interprétation des rêves, tous, faisaient partie de la science2. Cette signification beaucoup trop compréhensive donnée à la science durera à peu près jusqu’à la première moitié du XJX1 ‘ siècle, date à laquelle les premiers rayons de la science moderne pénétreront le ciel de la Turquie resté jusque là obscur, malgré les admirables tentatives de Ha M Hal j? a (Kâ t ib Cbl e b i des Turcs) au XVIIe siècle eu vue de transmettre la science de la renaissance en Turquie. On enseignait toutes ces sciences dans une sorte d’institution tic l’enseignement supérieur qu’on appelle « Madrasa ». Les madrasas. que nous traduisons eu français, en tant qu’un établissement turc, par les mots de Collège de religieux, u’étaient, en vérité, que les uni­ versités de l’empire ottoman. De même tous les licenciés de ces uni­ versités portaient le nom de ‘alim dont le pluriel, 'uléma, passé en fran­ çais doit être l’exact correspondant du mot « savant ». Les porteurs de ce titre se réclamaient de toutes sortes de connaissances telles que la théologie, la jurisprudence, la médecine, les mathématiques, l’astrologie Pourtant, nous allons constater plus loin que cette signi­ fication du mot ‘alim (savant) s’est modifiée par suite de l’introduc­ tion de la science moderne en Turquie. D’après les historiens turcs la première Madrasa a été fondée à Xvcée au temps cVOk h a k Bey, le deuxième Sultan des Ottomans (1330-1332 ?). Malgré que nous ne sommes pas bien informés sur l'organisation et le piogramme de l’enseignement de cette madrasa, nous pouvons présumer qu'elle fut organisée sur le système des Madra­ sas des Selgukides qui existèrent depuis le XIe siècle dans les grandes villes de l’Asie mineure. Néanmoins nous connaissons le premier recteur et professeur (Muderns) de cette première madrasa ottomane. En effet le fameux biographe turc du XVIe siècle, Ta S k o pr Üzâ d e , nous dit, dans son Saqâ'uj ctl-muiriÂnîya (page 27 trad. turque), que Da w u d a l -Qa y s e r î, originaire de Cesarée, qui avait fait ses études au Caire, fut nommé comme recteur de la Madrasa de Nycée. Da w u d , ajoute l’auteur de ce lexique biographique, était versé en même temps dans les sciences rationnelles. C’est bien connu qu’en Orient on englo- LA SCIENCE CHEZ LES TURCS OTTOMANS 34!) bait toutes les sciences qu’on ne pouvait pas rapporter au Coran ou à une tradition religieuse, sous le titre de science rationnelle. En com­ mençant par le Kalâm (théologie musulmane) cette rubrique compre­ nait la logique, la métaphysique et l’astronomie, les mathématiques et la médecine. De plus la biographie de Da w u u nous informe qu’il a écrit un commentaire au Fustis de Sa y I j a l -‘Ar a bî en défendant le Sûfisme. Il me semble que de ces minimes informations nous pouvons tout au moins conjecturer que l’enseignement de la première Madrasa des Turcs-ottomans commençait dans une atmosphère sûfiste, donc; libérale Des traditions de cette première université ottomane nous pou­ vons relever un point cité par tous les historiens turcs. Ojîh a n Bcy. fondateur de cette madrasa de Nvcée, se voyant dans l’obligation de doter son armée sans cesse grandissante d’un juge (qâclî askar) s’adressa au recteur du temps, Iv a r a 'iA a l -d în, en lui demandant de lu désigner un de ses licenciés. Mais aucun de ces jeunes savants ne voulut assumer ce poste onéreux de magistrature. Peut-être ceci nous montre jusqu’à un certain degré que la science n’était étudiée aux débuts que pour la science elle même. Selon v o n Ha mme r (Geschichte des Oamaniachen lieirhen) la deu­ xième Madrasa des turcs ottomans fut fondée par le fameux général d'ORHAN, La l a Sa h in à Brousse (Bithynie), première capitale de la Turquie, avec les sommes provenant du butin qui lui avait été alloué à la suite de la prise de Nycée aux byzantins Il serait intéressant de nous informer exactement sur les sciences enseignées dans ces écoles supérieures. Pour pouvoir élucider ce point jusqu’à une certaine mesure, il nous faut prendre en considération que tous les livres classiques et leurs commentaires étaient, presque sans exception, en arabe. Donc la premièie tâche des Madrasas con­ sistait à apprendre aux étudiants la langue arabe, qui restera jusqu'au XVIIIe siècle la seule langue des sciences en Turquie On peut dire d’une manière certaine que la théologie et la jurisprudence (Fiqh) musulmane remplissaient la deuxième phase de renseignement comme une partie essentielle du programme d’étude. En plus, à côté de ces matières, nous pouvons présumer que la logique et les mathématiques n’étaient pas complètement négligées. * * Voir pour un résumé assez complet de ces sciences chez les orientaux, l’ouvrage intitulé : Enciclopndiache Uebersieht de.) Wissenst hrtjtcii dis Orients, de a o n Ha mme r . Leipzig, 1804. ARCHEION (xix) 1937 3.70 • Je me permets de relever ici un acte d’un des licenciés de cette pre­ mière Madrasa, qui me semble comme le commencement d’une curiosité scientifique envers les phénomènes naturels chez les jeunes savants de cette époque. Ce licencié, du nom de Sa ms a l -d în FAn à r Î, réflé­ chissant sur une tradition du prophète (hadit) disant « la terre ne digère pas la chair des vrais savants vertueux », et en le commentant que les corps des savants ne se décomposent pas dans leurs tombeaux, voulut vérifier ce phénomène qui lui semblait comme surnaturel. En conséquence, i procéda à l’opération scabreuse de taire ouvrir’ le tombeau de son maître Ka r a ’l â a l -d în dont nous avons mentionné le nom plus haut, et il constata que le corps était en bon état (1). D’ailleurs, Sa ms a l -d în qui devint le qâdî de Brousse en même temps que le recteur de la Madrasa fondé par lui, était un savant encyclo­ pédique. et en voyageant fréquemment en Egypte, en Palestine et en Syrie, il avait rencontré les savants de ces pays. Il avait composé un ouvrage sous le titre de Unmuzag al-'ulûm y traitant de cent dif­ férentes sciences à côté de ses œuvres bien connues sur le Fiqh et sur la logique. Ce livre se trouve à la Bibliothèque de Wien (catalogue des manuscrits orientaux. N. 11) Selon les témoignages de différents biographes l’auteur l’a envoyé, par l'entremise du QAdî Za d e -i-Ru mi, aux savants de Transoxanie. J’estime que le uploads/Science et Technologie/ adnan-adivar-tuerklerde-ilim-fransizca.pdf

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