Alexis Carrel L’HOMME CET INCONNU The Savoisien A celui qui dit la vérité, offr

Alexis Carrel L’HOMME CET INCONNU The Savoisien A celui qui dit la vérité, offre lui un cheval rapide. (proverbe afghan) Alexis Carrel L’HOMME CET INCONNU Ceux qui trouvent sans chercher, sont ceux qui ont longtemps cherché sans trouver. Un serviteur inutile, parmi les autres 1 juin 2014 scan, orc, mise en page LENCULUS Pour la Librairie Excommuniée Numérique des CUrieux de Lire les USuels Il a été tiré de cet ouvrage 153 exemplaires sur velin pur fil Lafuma numérotés de 1 à 153. 26 5 introduction Celui qui a écrit ce livre n’est pas un philosophe. Il n’est qu’un homme de science. Il passe la plus grande partie de sa vie dans des laboratoires à étudier les êtres vivants. Et une autre partie, dans le vaste monde, à regarder les hommes et à essayer de les comprendre. Il n’a pas la préten­ tion de connaître les choses qui se trouvent hors du domaine de l’obser­ vation scientifique. Dans ce livre, il s’est efforcé de distinguer clairement le connu du plausible. Et de reconnaître l’existence de l’inconnu et de l’inconnais­ sable. Il a considéré l’être humain comme la somme des observations et des expériences de tous les temps et de tous les pays. Mais ce qu’il décrit, il l’a vu lui-même. Ou bien il le tient directement des hommes avec les­ quels il est associé. Il a eu la bonne fortune de se trouver dans des condi­ tions qui lui ont permis d’étudier, sans effort ni mérite de sa part, les phénomènes de la vie dans leur troublante complexité. Il a pu observer presque toutes les formes de l’activité humaine. Il a connu les petits et les grands, les sains et les malades, les savants et les ignorants, les faibles d’esprit, les fous, les habiles, les criminels. Il a fréquenté des paysans, des prolétaires, des employés, des hommes d’affaires, des boutiquiers, des politiciens, des soldats, des professeurs, des maîtres d’école, des prêtres, des aristocrates, des bourgeois. Le hasard l’a placé sur la route de philo­ sophes, d’artistes, de poètes et de savants. Et parfois aussi de génies, de héros, de saints. En même temps, il a vu jouer les mécanismes secrets qui, au fond des tissus, dans la vertigineuse immensité du cerveau, sont le substratum de tous les phénomènes organiques et mentaux. Ce sont les modes de l’existence moderne qui lui ont permis d’assister à ce gigantesque spectacle. Grâce à eux, il a pu étendre son attention sur des domaines variés, dont chacun, d’habitude, absorbe entièrement la vie d’un savant. Il vit à la fois dans le Nouveau Monde et dans l’Ancien. Il passe la plus grande partie de son temps au Rockfeller Institute for Médical Research, car il est un des hommes de science assemblés dans 6 cet Institut par Simon Flexner. Là, il a eu l’occasion de contempler les phénomènes de la vie entre les mains d’experts incomparables, tels que Jacques Lœb, Meltzer et Noguchi, et d’autres grands savants. Grâce au génie de Flexner, l’étude de l’être vivant a été abordée dans ces labora­ toires, avec une ampleur inégalée jusqu’à présent. La matière y est étu­ diée à tous les degrés de son organisation, de son essor vers la réalisation de l’être humain. On y examine la structure des plus petits organismes qui entrent dans la composition des liquides et des cellules du corps, les molécules, dont les rayons X nous révèlent l’architectonique. Et, à un ni­ veau plus élevé de l’organisation matérielle, la constitution des énormes molécules de substance protéique, et des ferments qui sans cesse les dé­ sintègrent et les construisent. Aussi, les équilibres physico-chimiques permettant aux liquides organiques de garder constante leur composi­ tion et de constituer le milieu intérieur nécessaire à la vie des cellules. En un mot, l’aspect chimique des phénomènes physiologiques. On y considère en même temps les cellules, leur organisation en sociétés et les lois de leurs relations avec le milieu intérieur ; l’ensemble formé par les organes et les humeurs et ses rapports avec le milieu cosmique ; l’influence des substances chimiques sur le corps et sur la conscience. D’autres savants s’y consacrent à l’analyse des êtres minuscules, bacté­ ries et virus, dont la présence dans notre corps détermine les maladies infectieuses ; des prodigieux moyens qu’emploient pour y résister les tissus et les humeurs ; des maladies dégénératives telles que le cancer et les affections cardiaques. On y aborde enfin le profond problème de l’individualité et de ses bases chimiques. Il a suffi à l’auteur de ce livre d’écouter les savants qui se sont spécialisés dans ces recherches et de regarder leurs expériences, pour saisir la matière dans son effort orga­ nisateur, les propriétés des êtres vivants, et la complexité de notre corps et de notre conscience. Il eut, en outre, la possibilité d’aborder lui-même les sujets les plus divers, depuis la physiologie jusqu’à la métapsychique. Car, pour la première fois, les procédés modernes qui multiplient le temps furent mis à la disposition de la science. On dirait que la sub­ tile inspiration de Welch, et l’idéalisme pratique de Frederick T. Gates firent jaillir de l’esprit de Flexner une conception nouvelle de la biolo­ gie et des méthodes de recherches. Au pur esprit scientifique, Flexner donna l’aide de méthodes d’organisation permettant d’économiser le temps des travailleurs, de faciliter leur coopération volontaire et d’amé­ liorer les techniques expérimentales. C’est grâce à ces innovations que chacun peut acquérir, s’il veut bien s’en donner la peine, une multitude de connaissances sur des sujets dont la maîtrise aurait demandé, à une autre époque, plusieurs existences humaines. 7 Le nombre immense des données que nous possédons aujourd’hui sur l’homme est un obstacle à leur emploi. Pour être utilisable, notre connaissance doit être synthétique et brève. Aussi, l’auteur de ce livre n’a-t-il pas eu l’intention d’écrire un Traité de la connaissance de nous- mêmes. Car un tel Traité, même très concis, se composerait de plusieurs douzaines de volumes. Il a voulu seulement faire une synthèse intelli­ gible pour tous. Il s’est donc efforcé d’être court, de contracter en un petit espace un grand nombre de notions fondamentales. Et cependant, de ne pas être élémentaire. De ne pas présenter au public une forme atténuée, ou puérile, de la réalité. Il s’est gardé de faire une œuvre de vulgarisation scientifique. Il s’adresse au savant comme à l’ignorant. Certes, il se rend compte des difficultés inhérentes à la témérité de son entreprise. Il a tenté d’enfermer l’homme tout entier dans les pages d’un petit livre. Naturellement, il y a mal réussi. Il ne satisfera pas, il le sait bien, les spécialistes qui sont, chacun dans son sujet, beaucoup plus savants que lui, et qui le trouveront superficiel. Il ne satisfera pas non plus le public non spécialisé, qui rencontrera dans ce livre trop de détails techniques. Cependant, pour acquérir une meilleure conception de ce que nous sommes, il est nécessaire de schématiser les données des sciences particulières. Et aussi de décrire à grands traits les mécanismes physiques, chimiques et physiologiques qui se cachent sous l’harmonie de nos gestes et de notre pensée. Il faut nous dire qu’une tentative ma­ ladroite, en partie avortée, vaut mieux que l’absence de toute tentative. La nécessité pratique de réduire à un petit volume ce que nous connaissons de l’être humain a eu un grave inconvénient. Celui de don­ ner un aspect dogmatique à des propositions qui ne sont cependant pas autre chose que les conclusions d’observations et d’expériences. Souvent, on a dû résumer en quelques mots, ou en quelques lignes, des travaux qui ont pendant des années absorbé l’attention de physiologistes, d’hy­ giénistes, de médecins, d’éducateurs, d’économistes, de sociologistes. Presque chaque phrase de ce livre est l’expression du labeur d’un savant, de ses patientes recherches, parfois même de sa vie entière consacrée à l’étude d’un seul sujet. A cause des limites qu’il s’est imposées, l’auteur a résumé de façon trop brève de gigantesques amas d’observations. Il a ainsi donné à la description des faits la forme d’assertions. C’est à cette même cause qu’il faut attribuer certaines inexactitudes apparentes. La plupart des phénomènes organiques et mentaux ont été traités de fa­ çon très schématique. Des choses différentes se trouvent ainsi groupées ensemble. De même que, vus de loin, les plans différents d’un massif de montagnes se confondent. Il ne faut donc pas oublier que ce livre ex­ 8 prime seulement d’une façon approximative la réalité. Nous ne devons pas chercher dans l’esquisse d’un paysage les détails contenus dans une photographie. La brièveté de l’exposé d’un immense sujet donne à cet exposé d’inévitables défauts. Avant de commencer ce travail, son auteur en connaissait la difficul­ té, la quasi-impossibilité. Il l’a entrepris simplement parce que quelqu’un devait l’entreprendre. Parce que l’homme est aujourd’hui incapable de suivre la civilisation dans la voie où elle s’est engagée. Parce qu’il y dé­ génère. Fasciné par la beauté des sciences de la matière inerte, il n’a pas compris que son corps et sa conscience suivent des lois plus obscures, mais aussi inexorables, que celles du monde sidéral. Et qu’il ne uploads/Science et Technologie/ carrel-alexis-l-homme-cet-inconnu.pdf

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