ESPRIT DEDUCTIF versus ESPRIT INDUCTIF Gabriel Gohau Le raisonnement déductif e

ESPRIT DEDUCTIF versus ESPRIT INDUCTIF Gabriel Gohau Le raisonnement déductif est rigoureux, mais il n'apporte aucune vérité nouvelle. L'induction pose de nouvelles vérités, mais sans certitude. Pour résoudre ce dilemme, Üfaut comprendre que déduction des mathématiques et induction des sciences empiriques ne se ramènent pas au syllogisme et à Vamplification des philosophes. C'est la part d'invention qu'ils contiennent qui leur donne leur valeur. Critiquant le "dêductivisme'' poppérien, l'auteur cherche à montrer la part de tâtonnement et de bricolage qui accompagne la recherche. Contre Kuhn, il valorise la science normale par rapport aux révolutions, et conclut sur la nécessité de limiter l'initiative des élèves en les guidant étroitement. En simplifiant à l'extrême, on dira que la déduction procède du général au particulier, tandis que l'induction chemine dans le sens opposé. Mais c'est sûrement trop simple, car il existe des intermédiaires entre ces procédés. Et il se pour- rait bien que l'essentiel soit dans ce domaine. En effet, la déduction pure se réduit au syllogisme de la logique formelle. Pour démontrer que Socrate est un mortel (conclusion), je dois partir de l'énoncé : tous les hommes une oDDOsition s o n t m o r t e l s (majeure) et m'apercevoir que Socrate est un trop simple homme (mineure ou moyen terme). Dans le vocabulaire moderne de la mathématique ensembliste, j'applique à un élément (ou à un sous-ensemble) la propriété qui est possé- dée par l'ensemble. Une induction tout aussi pure consiste à généraliser à partir d'une série limitée d'observations. Aussi classique que le syllogisme précédent : tous les cygnes que j'ai rencontrés étaient blancs, je pose donc que tous les cygnes (incluant ceux que je n'ai pas vus et ceux à naître) sont blancs. D'où sort l'induction ? Cette opposition appelle deux remarques : 1°) La conclusion de l'induction a le même degré de généra- lité que la majeure de la déduction. Mais alors, d'où sort celle-ci, si ce n'est d'une précédente induction ? 2°) Hélas, le raisonnement inductif est dépourvu de validité. C'est Hume qui a dit qu'il n'existait aucun moyen terme joi- gnant l'énoncé "tel objet est accompagné de tel effet" à l'autre énoncé : "d'autres objets en apparence semblables s'accom- ASTER N° 14. 1992. Raisonner en sciences INRP. 29, rue dXIlm, 75230 Paris Cedex 05 10 pagnent d'effets semblables" (I). En sorte que la déduction est un raisonnement rigoureux, mais qui exige une induc- tion préalable. Or celle-ci est dépourvue de toute validité. Nous sommes en plein cercle vicieux. Force est alors de chercher des formes intermédiaires, qui pourraient prendre en compte ... les raisonnements scienti- fiques. Aristote réservait le nom d'induction à un raisonne- ment rigoureux mais de portée limitée, car exigeant le recensement de l'ensemble (nécessairement fini) considéré. Homme, cheval et mulet ont une grande longévité. Or ils sont les seuls animaux sans fiel (sic). Donc, les animaux sans fiel vivent longtemps. L'inférence est valide (quoique l'énoncé soit faux !), mais elle ne fait que résumer ce qu'on a préalablement établi pas à pas. De façon plus intéressante, Henri Poincaré nomme induc- tion le raisonnement mathématique par récurrence, qui "contient, condensés pour ainsi dire en une formule unique, une infinité de syllogismes" permettant "de passer du fini à môThém^itiaue l'infini". C'est une induction, mais qui, à la différence de "l'induction appliquée aux sciences physiques (...) incertaine parce qu'elle repose sur la croyance à un ordre général de l'Univers (...) s'impose parce qu'elle n'est que l'affirmation d'une propriété de l'esprit" (2). Le terme d'induction convient-il dans ce cas ? La tradition n'est-elle pas d'identifier le raisonnement mathématique à la déduction ? Mais le vocabulaire n'importe guère. Ce qui est clair est que le raisonnement par récurrence se dis- tingue, à la fois, du syllogisme simple et de l'induction des sciences empiriques. Un philosophe kantien comprendrait parfaitement cette division. Les énoncés (ou jugements) déductifs sont analytiques, tandis que ceux des sciences empiriques sont synthétiques a posteriori. Or entre les deux, il y a place pour des jugements synthétiques a priori, c'est-à-dire, qui ont leur source hors de l'expérience. Et qui sont donc les propriétés de l'esprit que retrouve Poincaré. la récurrence Une conjecture ... et sa réfutation L'induction des sciences empiriques est, selon le vocabu- laire de Sir Karl Popper, une conjecture que l'on soumet à réfutation (3). Au siècle dernier Claude Bernard, et avant lui (1) HUME David. Enquête sur l'entendement humain. 1748. Réédition, Paris : Aubier. 1947. (2) POINCARÉ Henri. La science et l'hypothèse. 1902. Réédition, Paris : Flammarion, coll. Champs. 1968. (3) POPPER Karl R. Conjectures et réfutations. La croissance du tra- vail scientifique. Traduction Launay. Paris : Payot. 1985. Egalement GOHAU Gabriel. "Vers l'extinction du poppérisme", in : Raison présente, 81. pp. 79-88. 11 l'induction des sciences empiriques définir la science par l'invention... William Whewell, avaient tracé les grandes lignes de ce rai- sonnement. A partir d'observations en nombre plus ou moins élevé, on formule une hypothèse dont on déduit cer- taines conséquences qui sont confirmées ou infirmées par l'expérience. Ce raisonnement, dit pour cela hypothético- déductif, est assez connu pour qu'on n'ait pas besoin de le présenter mieux. Toutefois, on remarque qu'il introduit un élément déductif dans l'induction scientifique. De sorte que sans aller jusqu'au paradoxe en inversant les valeurs des deux raison- nements scientifiques traditionnels, il est clair qu'il existe une induction mathématique autant qu'une déduction en physique et biologie. L'induction amplifiante des philo- sophes n'est pas plus le modèle des lois naturelles que le syllogisme n'est identifiable au raisonnement par récur- rence. Si déduction et induction pures forment les extrémi- tés d'un segment, les modes de pensée scientifiques se pla- cent quelque part entre elles. R. Blanche a comparé, de façon suggestive, la différence entre induction généralisante et raisonnement hypothético- déductif à celle qui sépare un saut en longueur d'un saut en hauteur (4). En disant que tous les Cygnes sont blancs (avant qu'on ne connût la variété noire australienne), on étend à l'infini une observation multipliée et encore jamais démentie. L'énoncé d'une hypothèse n'exige pas une obser- vation préalable répétée. Elle peut naître sans que l'obser- vation la soutienne. Elle vient à l'esprit d'une manière qu'on ne saurait codifier. C'est au sens propre une invention, d'autant plus pénétrante souvent qu'elle est plus inatten- due et moins directement dérivée des données disponibles. Les chercheurs disposent des mêmes données. Et cepen- dant, ils ne formulent ni les mêmes hypothèses, ni des sup- positions d'égale valeur. Karl Popper exagère à dessein la part d'originalité de l'hypo- thèse quand il la mesure à son degré d'improbabilité. Il n'a malgré tout pas tort de souligner ce critère et d'insister sur l'aspect inventif de toute hypothèse. S'il existe une spécifi- cité de l'esprit inductif, c'est peut-être par cette opération qu'on pourrait le caractériser. En l'opposant à la stricte déduction syllogistique. Mais ce critère ne distingue cepen- dant pas rigoureusement le raisonnement déductif du rai- sonnement inductif, car il existe de l'invention dans tout raisonnement. Il vaudrait peut-être mieux dire alors que toute inference se compose d'une phase d'invention et d'une phase d'application brutale de règles. Induction et déduc- tion auront l'une et l'autre des deux phases, distribuées de façon plus ou moins inégales. Mais curieusement, on se rend compte que l'induction classique des philosophes et la déduction la plus simple se rejoignent. (4) BLANCHE Robert. L'induction scientifique et les lois naturelles. Paris : PUF. 1975. 12 La part de l'invention En effet, la découverte du moyen terme qui unit la majeure à la conclusion d'un syllogisme résulte d'un effort d'inven- tion, qu'on peut en général considérer comme faible. Mais il en ira de même, à l'autre bout du segment, dans l'induction amplifiante, où l'énoncé à généraliser s'impose irrésistible- ment par la répétition de la même observation. Ainsi décrit, en fonction de la part qu'il réserve à l'invention, notre seg- ment ... est circulaire. La science, qu'elle soit mathématique ou empirique, se distinguerait de la pensée commune par la part qu'elle réserve à l'invention, en se situant au point dia- métralement opposé aux précédents. Cependant, il serait imprudent de faire de cette phase émi- nemment noble du raisonnement qu'est l'invention une entité mystérieuse, inaccessible, sorte de don inégalement distribué par la nature, comme nous y invitent les thèses poppériennes. En réalité, l'intuition nécessaire à l'invention pourrait s'identifier à l'esprit de finesse, cher à Pascal (5). L'esprit de géométrie auquel il s'oppose (encore que ce terme soit, selon moi, malencontreux pour le lecteur contemporain dans la mesure où la géométrie, au moins celle de mon ... ou l'esprit de enfance (!) était la branche des mathématiques qui faisait la finesse meilleure part à l'invention, notamment dans la recherche des fameux lieux géométriques) s'applique aux situations dont toutes les composantes sont simultanément présentes à l'esprit. Tandis que l'esprit de finesse intervient quand la multiplicité des facteurs rend impossible cette appréhension directe. Peut-être pourrait-on dire, aussi, que cet esprit est celui de r"analyse", au sens que donne Edgar Poe à ce mot, dans le Double assassinat de la rue Morgue. L'analyse consiste à démêler les fils multiples d'un écheveau uploads/Science et Technologie/ esprit-deductif-versus-esprit-inductif-gabriel-gohau 1 .pdf

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