1 Cahiers Simondon Numéro 1 2 Ouvrage publié avec le concours de la Maison des

1 Cahiers Simondon Numéro 1 2 Ouvrage publié avec le concours de la Maison des Sciences de l’Homme de Paris-Nord 3 Sous la direction de Jean-Hugues Barthélémy Cahiers Simondon Numéro 1 4 Collection Esthétiques – Série « Philosophie » Coordonnée par Jean-Hugues Barthélémy La série « Philosophie » de la collection Esthétiques se propose de publier des travaux philosophiques relatifs aux différentes « phases » (Simondon) de la culture : art, technique, religion, science, éthique, etc. Elle ambitionne par là de participer au renouveau de l’Encyclopédisme, à une époque où se fait en effet sentir le besoin d’une nouvelle synthèse qui redonne du sens et permette de surmonter la crise déjà diagnostiquée en son temps par Husserl. La série « Philosophie » n’entend pourtant pas s’inscrire dans une optique phénoménologique, mais œuvrer bien plutôt à une prise de conscience qui soit source d’un « humanisme difficile » : un humanisme qui sache reconnaître, notamment, l’appartenance de l’homme au vivant, et celle de la technique à la culture. Dernière parution PENSER LA CONNAISSANCE ET LA TECHNIQUE APRES SIMONDON, Jean-Hugues Barthélémy, Esthétiques, 2005. 25 GILBERT SIMONDON ET JACQUES LAFITTE : LES DEUX DISCOURS DE LA « CULTURE TECHNIQUE » par Giovanni Carrozzini, auteur de Gilbert Simondon : per un’assiomatica dei saperi, Manni, 2006 1. La mécanologie selon Lafitte Le 30 avril 1971, France Culture a diffusé un entretien sur la mécanologie avec M. Jean Le Moyne – adjoint spécial au cabinet du Premier Ministre du Canada et organisateur, avec M. John Hart, du premier Colloque sur la Mécanologie les 18, 19 et 20 mars 1971 – et Gilbert Simondon, qui en 1971 était déjà professeur de Psychologie générale à la Sorbonne depuis huit ans et fondateur du Laboratoire de Psychologie générale et Technologie de l’Université René Descartes, rue Serpente. Le Moyne et Simondon répondent aux questions pressantes de M. Georges Charbonnier en exposant les contenus et les raisons du Colloque, et en énonçant aussi de nombreuses idées sur la technologie et ses évolutions, en tenant compte de l’analyse développée par Jacques Lafitte dans son ouvrage intitulé Réflexions sur la science des machines, publié en France en 1932, dans les « Cahiers de la Nouvelle Journée » - et qui était resté presque inconnu. Le Colloque de mars 1971 sur la Mécanologie s’inspirait en effet lui-même déjà des idées formulées par Lafitte dans son livre, étant donné que la notion de mécanologie a été formulée, pour la première fois, par Lafitte, ingénieur et architecte français, dont l’œuvre – assez spécialisée – visait à la découverte des caractères structuraux d’une possible « science des machines », conçue comme discipline cohérente et autonome par rapport aux autres domaines des sciences naturelles et appliquées. La mécanologie – et 26 c’est Lafitte qui le souligne – est la « science des machines », c’est- à-dire une « science normative [qui] n’a d’autre but que l’étude et l’explication des différences qui s’observent entre les machines. Et, puisque science, ne s’attachant qu’au réel, elle ne peut avoir d’autres objets que les machines réellement existantes »1. Les recherches et les analyses que cette science devrait conduire ont besoin d’une spécialisation graduelle en ce qui concerne son propre domaine. Il faut donc, selon Lafitte, distinguer : - le domaine qui concerne l’art de construire les machines, c’est- à-dire le domaine qui concerne la compréhension, la réalisation et le fonctionnement des machines ; - le domaine de la mécanographie, c’est-à-dire le domaine des recherches historiques, descriptives et classificatoires qui visent à définir la machine, ou bien les machines et leurs progrès historiques et sociaux ; - et, troisième domaine, celui de la mécanologie au sens propre, c’est-à-dire le domaine d’une science normative qui vise à saisir les différences morphologiques, structurales et fonctionnelles des nombreuses classes de machines. C’est ainsi donc qu’on peut comprendre le sens de la description que fait Lafitte du concept de machine, c’est-à- dire l’angle sous lequel Lafitte décrit la machine. Lafitte définit les machines comme « un vaste ensemble de corps organisés, singulier par le nombre, le mode de création, le développement et la variété des individus qu’il comprend, remarquable par le service que chacun d’eux rend à l’homme et d’autant plus digne de nos investigations qu’il est le fruit de notre constant effort de création »2. Par conséquent, selon Lafitte, il faut concevoir les machines comme une sorte de prolongement de l’homme, une sorte de prolongement naturel de l’homme et de son effort adaptatif et créatif par rapport à son milieu matériel. C’est ainsi donc que la machine constitue une véritable 1 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, Préface de Jacques Guillerme, Paris, Vrin, 1972, pp. 27 et 32. 2 Ibid., p. 14. 27 « concrétisation » de cette nécessité humaine, qui, à son tour, se configure comme une nécessité de transformer et réinventer le monde, car, selon Lafitte, on peut définir l’homme comme un « vertébré constructeur, […] [qui] transmet la vie dans sa progéniture […] [et] dans ses œuvres »1, et ses œuvres deviennent la démonstration la plus concrète de son passage, sa trace, son empreinte, dues à un véritable désir d’éternité humaine, et au besoin de dépasser les limites du corps et de l’existence mêmes. Dénigrées et méconnues par la culture littéraire, les machines travaillent dans l’ombre comme des véritables esclaves, en produisant le bien-être et le progrès de l’humanité, sans, pour cela, demander aucun effort de compréhension à ses utilisateurs. En tant qu’ingénieur et architecte, et donc en tant qu’homme du « fait technique et technologique », Lafitte demande au contraire un effort collectif – on dirait presque œcuménique – visant à la construction d’une science, la mécanologie, qui puisse libérer les machines de l’étouffante condition de « simple outil », et, par conséquent, engendrer la naissance d’une nouvelle conscience critique par rapport à ces concrétisations matérielles du « pouvoir » intellectuel et constructif de l’homme. Selon Lafitte, il faut avant tout classer les machines, c’est-à-dire élaborer un critère général qui puisse nous aider à établir une taxonomie des machines et, ensuite, qui puisse nous servir à construire aussi des sous-classes de machines. Le critère choisi par Lafitte est généalogique, et d’autre part les classes et les sous-classes établies par Lafitte dans son tableau des machines obéissent à l’exigence de fixer et d’expliquer les propriétés structurales des machines. L’univers des machines, selon Lafitte, se développe en suivant une loi des trois états ou des trois étapes théoriques et pratiques, dans lesquelles on pourrait insérer et reconnaître toutes les machines construites par l’homme pendant le cours de son évolution historique ; elles sont : a) les machines réflexes, c’est-à-dire : 1 Ibid., p. 12. 28 «les machines […] qui jouissent de la propriété remarquable de voir leur fonctionnement se modifier selon les indications, qu’elles perçoivent elles-mêmes, de variations déterminées dans certains de leurs rapports avec le milieu qui les entoure ; qui doivent cette propriété à l’existence, dans leur organisation, d’organes différenciés […] leur permettant de percevoir ces variations et d’en transmettre les effets à leur système transformateur fondamental »1, mais qui, bien entendu, ne sont pas les automates qui peuplaient l’univers machinique du XVIIIe siècle. Les dispositifs considérés par Lafitte sont plutôt les machines automatiques, mais « certaines machines considérées de nos jours comme automatiques ne présentent pas les caractères réflexes tels que je les ai définis »2 ; b) les machines actives, c’est-à-dire les machines qui emploient des flux d’énergie qui viennent du dehors, mais qui n’adaptent pas leur fonctionnement aux stimuli externes, même si elles sont capables de transformer et de transporter cette énergie ; c) les machines passives, c’est-à-dire les machines qui ne réagissent pas aux stimuli externes, sauf à ce que leur constructeur, qui les a projetées ou réalisées, n’ait opéré volontairement certaines transformations qui en modifient la structure et le fonctionnement (en y ajoutant, par exemple, des organes ou des systèmes d’organes qui en transforment les équilibres). Dans cette classe – et c’est l’idée la plus géniale de Lafitte – il faut placer aussi les monuments, c’est-à-dire les œuvres architectoniques, car elles sont des véritables systèmes structuraux, opératifs et fonctionnels, qui produisent la satisfaction, créative et inventive, de la nécessité humaine de s’adapter et de transformer sa « situation », son « être- au-monde ». Lafitte expose ensuite les nombreuses sous-classes ou sous- ensembles de sa classification, en expliquant les rapports possibles entre structures et organisations sociales et générations de machines : c’est ainsi que, par exemple, une maison peut être conçue comme la concrétisation de l’autorité familiale, ou que la machine à vapeur 1 Ibid., p. 68. 2 Ibid., p. 71. 29 manifeste une véritable autorité technomorphique, qui a trouvé, à l’époque de la Révolution industrielle, ses authentiques expression et affirmation. Lafitte conclut ses réflexions par un arbitraire geste d’espoir, c’est- à-dire la déclaration d’une sorte d’utopie – que peut-être on peut rapprocher de celle de Wiener et des théoriciens de la cybernétique – selon laquelle le développement et l’évolution des techniques et des machines, surtout des machines réflexes, pourraient nous amener à la libération uploads/Science et Technologie/ gilbert-simondon-et-jacques-lafitte-les-deux-discours-de-la-culture-technique.pdf

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