Langages La linguistique structurale, du discours de fondation à l'émergence di
Langages La linguistique structurale, du discours de fondation à l'émergence disciplinaire Jean-Louis Chiss, Christian Puech Citer ce document / Cite this document : Chiss Jean-Louis, Puech Christian. La linguistique structurale, du discours de fondation à l'émergence disciplinaire. In: Langages, 29ᵉ année, n°120, 1995. Les savoirs de la langue : histoire et disciplinarité. pp. 106-126; doi : 10.3406/lgge.1995.1734 http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1995_num_29_120_1734 Document généré le 31/05/2016 Jean-Louis ChISS E.N.S. Fontenay/St Cloud, URA CNRS 381 Christian PUECH IUFM/Univ. de Bourgogne, URA CNRS 381 LA LINGUISTIQUE STRUCTURALE, DU DISCOURS DE FONDATION À L'ÉMERGENCE DISCIPLINAIRE Si l'on se propose de repérer dans quelques textes fondateurs les modes de présentation de la discipline liés à l'émergence de la linguistique générale et du structuralisme linguistique, il semble qu'on puisse repérer trois grandes modalités de l'ancrage disciplinaire, c'est-à-dire trois modalités de la représentation de l'unité et des fondations de la discipline (concernant la problématique générale de ce travail, cf. Chiss et Puech 1989, 1992, 1994 et Chiss et Coste éds., 1995). 1 . La filiation empirique est un premier mode de présentation de soi de la discipline : on revendique la continuité d'une tradition nationale, d'une Ecole de pensée, d'un courant ou d'une série de courants littéraires et/ou linguistiques installés dans le long terme... 2. Le partage, la démarcation disciplinaire, dans le temps ou en synchronie, fournit à la discipline son ancrage à la fois dans un secteur du réel et dans une famille de disciplines : les relations à la philologie, la psychologie, la sociologie, la logique... dessinent alors un champ différentiel où se négocient à la fois son autonomie et ses articulations. 3. La refondation conceptuelle où la figure du devancier n'est plus celle d'un prédécesseur empirique, mais celle d'un fondateur qui légitime une refondation par réappropriation/réaction. C'est dans l'ordre de la légitimation qu'est située alors la discipline, au plus près de la définition de l'objet et, la plupart du temps, de l'horizon de projection de la discipline (ce qu'elle devrait/pourrait être). Cet inventaire schématique, avant examen et illustration, appelle plusieurs remarques. — S'il est clair qu'aucun de ces procédés ne trouve à s'illustrer de manière exclusivement pure chez un auteur ou dans un courant de la linguistique contemporaine — parce que tous mêlent la plupart du temps plusieurs modes d'exposition — on peut dire que tous y ont recours et discerner chez chacun des tendances dominantes, presque un style épistémologique, à l'intérieur d'un genre susceptible de modulations variées. La synthèse de style encyclopédique pratiquée par exemple le plus souvent par R. Jakobson qui privilégie volontiers le point de vue du « partage disciplinaire » (1970 dans Essais 2.), ne néglige pas la « refondation conceptuelle » (« La théorie saussurienne en retrospection », 1985), ni bien sûr l'examen des filiations historiques (3e partie des Essais 2.). On pourrait lui opposer le style méditatif d'un Benveniste pour qui la refondation conceptuelle passe par la rumi- 106 nation de l'objet, la réappropriation critique du prédécesseur, et l'approfondissement des principes, tout en sacrifiant, dans ses interventions les plus exotériques (les entretiens journalistiques) à l'exposé disciplinaire d'un point de vue externe (non sans réticences). Dans tous les cas, l'exposé disciplinaire semble résulter d'un compromis entre ce qui est dû à l'objet, à la nécessité interne indissociablement éthique et cognitive d'une part, et les contraintes externes d'autre part : répondre à une sollicitation, mettre en forme un point de vue acquis, rendre visible ce qui pourrait rester dans l'ombre de la communauté restreinte des disciples, ou dans celle, plus large, des spécialistes et de l'échange scientifique. — С 'est sans doute la raison pour laquelle nous n'avons que rarement rencontré ce discours disciplinaire dans les revues (BSL, Le français moderne, La linguistique... etc.) qui font le quotidien du travail scientifique. Comme si les instruments privilégiés de la « science normale » se passaient d'une représentation de la discipline, là où, au contraire, les exposés généraux (mais le sens de cette généralité est à préciser en extension comme en compréhension) était — au moins en partie — occupés à la construire. — Enfin, et au-delà de l'adaptation indispensable aux circonstances de la communication la plus large, cette absence révèle que la pratique ordinaire de la discipline repose sur une fondation/référence sur laquelle il n'est pas nécessaire de revenir, parce qu'elle s'appuie sur un socle mémoriel, institutionnel, projectif stable (celui des institutions de recherche et d'enseignement, d'une Ecole, d'un courant, etc.). 1 . La discipline et la mémoire empirique D'une certaine manière, le mode le plus simple de présentation de la discipline consiste en un exposé des circonstances de sa naissance, de sa croissance et des événements qui scandent son développement. D'emblée, pourtant, nous sommes confrontés à une diversité des modes d'exposition. En effet, dérouler l'histoire linéaire (prétendue telle) de la linguistique, suppose l'adoption d'un point de vue, le « choix » d'un champ empirique réputé pertinent pour rendre compte de cette histoire. La voie la plus fréquemment empruntée est sans doute celle qui homogénéise les différents aspects de la discipline en les représentant par la succession des Ecoles linguistiques, elle-même assimilée à des moments de la science à la fois nécessaires et dépassés. Ce modèle progressif est pratiquement inévitable quand il s'agit à la fois de légitimer l'état présent (assimilé à la nouveauté) de la discipline sans sacrifier la continuité dont elle procède. Le fameux « coup d'œil sur l'histoire de la linguistique » dans le Cours ne fonctionne pas autrement : la grammaire scolaire, la Grammaire Générale, la Grammaire historique et comparée sont les moments du développement d'une discipline qui préparent l'avènement de la Linguistique Générale, bien que celle-ci procède de principes qu'ils ne contiennent pas. Du point de vue disciplinaire, la nouveauté n'est mesurable que sur le fond d'une compacité qui est celle de la discipline même : la fondation est nécessairement une re-fondation. De ce 107 mode de présentation sur lequel nous reviendrons, on peut distinguer celui qui, plus radicalement externe, choisit de situer la linguistique en référence à une tradition, linguistique ou extra-linguistique, à une institution, à une institutionnalisation nécessaire, à un usage social ou à plusieurs. 1.1. Discipline et institutionnalisation En 1925, L. Bloomfield (1970, pp. 109-112) justifie ainsi la création d'une Société de linguistique aux yeux de « l'homme de la rue » (« layman »). Les tâches qu'accomplit la linguistique moderne sont fondées sur une méthode qui la rapproche des sciences de la nature et même des mathématiques. Ce point devrait suffire. Pourtant — et la caractéristique fondamentale du discours disciplinaire comme discours contraint affleure à ce moment, « II serait inutile d'évoquer ici les contraintes externes qui s'ajoutent à notre justification, si de ces contraintes ne dépendaient pas les progrès de notre science et les intérêts du public le plus large » (op. cit., p. 112. Nous traduisons). Si la rigueur, donc, jointe à la fécondité des résultats (reconstruction, comparaison...) suffisent à conférer à la discipline les titres d'une science à part entière, et autonome (vis-à-vis de la philologie et de l'ethnologie tout particuliè rement), il reste encore à lui assurer la permanence et la dignité d'un champ professionnel socialement repérable. Il y va là à la fois de la reconnaissance académique indispensable, et, au-delà, du hen de la science et de la société. « Ce ne sont pas seulement les progrès de notre science, ce sont aussi les besoins de la société, qui font du travail en commun systématique un devoir pour les étudiants de linguistique, liés ensemble par le sens du travail bienfait et celui de leurs obligations, c'est-à-dire par ce qu'on appelle ordinairement la conscience professionnelle » (ibid. Nous traduisons). L'institutionnalisation de la discipline semble donc résulter d'un double mouvement relativement contradictoire. D'une part, la science du langage est socialement utile : elle permet la conservation de langues appelées à disparaître, reconstruit celles qui ont déjà disparu, prend pour objet les activités linguistiques qui constituent la plus grande partie de notre vie sociale, doit permettre d'accomplir des progrès indispensables dans le domaine de l'enseignement des langues... etc. De l'autre, aucun des résultats qu'elle propose n'est directement accessible au sens commun : ni la réalité du changement linguistique continué, ni la dignité des langues sans écriture, ni la secondarité de l'écriture par rapport à la langue parlée... ne sont des « truismes ». La disciplinarisation de la science (son institutionnalisation visible) est donc à la fois un devoir et une stratégie quasi défensive. En 1946, les « Vingt et un ans de la Société Américaine de Linguistique » (1970) fournit à L. Bloomfield l'occasion d'un bilan de cette institutionnalisation : renforcement de la continuité et de la cohésion sociale dans le travail quotidien des spécialistes, cumulativité accrue des résultats, continuité entre les générations, établissement de normes communes d'évaluation des travaux... Significativement, il attribue à cette institutionnalisation la neutralisation des conflits intra- 108 disciplinaires et de la tendance aux regroupements en Écoles 1. Ce thème récurrent des années 20/30 qu'on peut interpréter sans grand risque comme une dénégation est ici ambigu : il peut à la fois exprimer la volonté de constituer/entretenir une tradition uploads/Science et Technologie/ la-linguistique-structurale-du-discours-de-fondation-a-l-x27-emergence-disciplinaire 1 .pdf
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- Publié le Mar 25, 2022
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
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