LA METHODOLOGIE DES PROGRAMMES DE RECHERCHE : Présentation, évaluation et perti

LA METHODOLOGIE DES PROGRAMMES DE RECHERCHE : Présentation, évaluation et pertinence pour les sciences de gestion* Julie Tixier, doctorante au CREPA1 Thomas Jeanjean, doctorant au CEREG2 Cahier de recherche N°65 * Ce cahier de recherche est une version améliorée de notre présentation du 16 Mai 2000 à l’Ecole Doctorale de Gestion (EDOGEST) de l’Université Paris IX Dauphine (séminaire d’épistémologie animé par les Professeurs B. Colasse, P. Romelaer, et C. Chevalier-Kuszla, Maître de Conférence). Nous remercions les participants à ce séminaire pour leurs remarques pertinentes et enrichissantes. 1 jtixier@rexel.fr 2 jeanjean@ecogest.ens-cachan.fr 2 3 La méthodologie des programmes de recherche : PRESENTATION, EVALUATION ET PERTINENCE POUR LES SCIENCES DE GESTION Résumé : Dans cet article, nous étudions la méthodologie des programmes de recherche de Lakatos (1978) et ses apports aux sciences de gestion. Son intérêt tient à son caractère structurant. Toutefois, des adaptations sont nécessaires pour tenir compte des spécificités de cette discipline (programmes de recherche complémentaires, redéfinition de l’heuristique positive,…). L’esprit de la méthodologie (refus de condamner un programme de recherche dégénératif, acceptation de noyaux durs métaphysiques, pluralité des programmes de recherche,…), plus que sa description par Lakatos, nous semble important pour la recherche en gestion. Mots clefs : épistémologie, Lakatos, programmes de recherche. Introduction : ______________________________________________________________4 1. Les programmes de recherche _______________________________________________4 1.1. Présentations___________________________________________________________________4 1.1.1.Contexte épistémologique ________________________________________________________ 5 1.1.2. Présentation des programmes de recherche de Lakatos__________________________________ 7 1.2. Les critiques adressées à la méthodologie des programmes de recherche. _____________10 1.2.1. Les programmes de recherche comme reconstruction rationnelle. _________________________ 10 1.2.2. Les programmes de recherche comme guide. ________________________________________ 11 2. Apports et difficultés des programmes de recherche pour les sciences de gestion _____13 2.1. Apports des programmes de recherche ___________________________________________13 2.1.1. Vers une clarification et une structuration des courants de recherche ______________________ 13 2.1.2. Vers un nouveau regard sur l’expérience. ___________________________________________ 15 2.2 Les difficultés d’application des programmes de recherche __________________________17 2.2.1. Postures épistémologiques et programmes de recherche ________________________________ 17 2.2.2. Une méthodologie pour les sciences sociales ? _______________________________________ 18 Conclusion._______________________________________________________________20 Bibliographie._____________________________________________________________21 4 Introduction : Dans cet article, nous étudions la méthodologie des programmes de recherche de Lakatos (1978)3 et ses apports aux sciences de gestion. Cet auteur est souvent considéré comme un disciple d e K.R. Popper dont il a été le successeur à la tête du département de philosophie de la London School of Economics and Political Science. Pourtant, sa pensée renouvelle et complète celle de Popper. Si ce dernier avait pour objectif de résoudre la problème de l'induction ; Lakatos cherche, quant à lui, à rendre compte rationnellement d'une certaine continuité de la science grâce à la notion de programme de recherche. Notre objectif est double. Il s'agit d'une part de préciser la nature des programmes de recherche, de les critiquer et de les situer par rapport aux thèses défendues par Popper, Feyerabend et Kuhn. D'autre part, nous cherchons à transposer cette méthodologie aux sciences de gestion car son pouvoir structurant peut s'avérer utile pour cette discipline encore jeune, en quête de repères. Après avoir présenté le concept de programme de recherche, nous analysons son applicabilité aux sciences de gestion et les adaptations nécessaires qui en résultent. 1. Les programmes de recherche Dans cette première partie, nous présentons les origines des programmes de recherche et les fondements de cette méthodologie. Ensuite, nous exposons les critiques soulevées par la littérature. 1.1. Présentations Avant de détailler les principes fondateurs et la dynamique des programmes de recherche, nous dressons rapidement une cartographie de l’environnement épistémologique dans lequel s'inscrit Lakatos. 3 Par la suite, les références non précisées concernent Lakatos (1978). 5 1.1.1.Contexte épistémologique Afin de mieux comprendre le contexte dans lequel Lakatos a élaboré les programmes de recherche et ses liens avec les autres courants épistémologiques, nous présentons succinctement les différentes logiques de la découverte que Lakatos introduit et critique dans son ouvrage avant d’exposer sa méthode. Popper a montré qu'il est impossible de prouver ou de probabiliser une théorie, c'est pourquoi il a proposé un nouveau critère de scientificité : la réfutabilité4. Lakatos distingue deux variantes de falsificationnisme : dogmatique et méthodologique. - Le falsificationnisme dogmatique considère que les théories doivent être faillibles pour être scientifiques : il doit exister une base empirique. Un énoncé singulier (une observation), au moins, doit pouvoir contredire un énoncé universel (une théorie). Si une observation contredit la théorie, elle doit être abandonnée. La réfutation implique le rejet (code d'honneur du falsificationnisme dogmatique d'après Lakatos). Cette approche souffre d'une démarcation trop nette entre le théoricien et l’expérimentateur : « le théoricien propose, l’expérimentateur– au nom de la nature- dispose » (p.9). Il y a une certitude de la base empirique, les méthodes d'observation ne sont pas remises en cause : une observation peut prouver la fausseté d'une théorie. Or, Duhem et Quine ont remarqué que lorsque survient une divergence entre la théorie et l'observation, la méthode d'observation (et non plus uniquement la théorie) peut être discutée. - Le falsificationnisme méthodologique rompt avec cette certitude et considère désormais que la base empirique est faillible. Pour cela, le chercheur doit prendre plusieurs décisions pour préciser d'une part sa base empirique et, d'autre part, ses critères de réfutabilité. Le falsificationnisme méthodologique se distingue du falsificationnisme dogmatique en ce sens que la réfutation n'implique pas automatiquement le rejet. Le chercheur doit dans un premier temps déterminer sa "base empirique", et ensuite construire ses critères de réfutation. Lakatos distingue la "base empirique" (avec des guillemets) du falsificationnisme méthodologique, de la base empirique (sans guillemets) du falsificationnisme dogmatique. Il 4 Lakatos reprend l'argumentation de Popper en ce qui concerne les courants justificationnistes et probabilistes, c'est pourquoi nous ne la présentons qu'en Annexe 1. 6 signale ainsi que le chercheur doit prendre deux décisions pour structurer son observation du réel. En ce sens la "base empirique" est construite par le chercheur. Alors que pour les falsificationnistes dogmatiques, le réel s’impose au chercheur de manière immédiate et universelle. Dans la perspective dogmatique, l’observation de la réalité ne pose pas de problème. La détermination de la "base empirique" repose sur deux décisions : 1. Le chercheur rend infalsifiables par décision certains énoncés d'observation car " il existe à ce moment-là une 'technique pertinente' telle que 'celui qui l'a apprise' soit capable de décider que l'énoncé est 'acceptable' " (p.23). 2. Le chercheur doit délimiter les énoncés de base acceptés des autres. La réfutabilité repose sur trois décisions : 3. Le chercheur doit spécifier à l'avance ses critères de rejet d'une théorie. Toutefois, une mise à l'épreuve remet en cause à la fois la théorie à réfuter, des conditions initiales (clauses ceteris paribus) et des théories annexes. Pour résoudre cette ambiguïté, Lakatos précise qu'il faut : 4. décider si l'expérimentation a eu lieu toutes choses égales par ailleurs (aucune interférence - facteur externe à la théorie, n'a d'influence significative sur le phénomène étudié). 5. décider si la fausseté des théories annexes n'explique pas la réfutation. L'ensemble de ces décisions permet de mettre en évidence le caractère conventionnel du falsificationnisme méthodologique. Ces cinq décisions caractérisent le falsificationnisme méthodologique naïf. La limite essentielle de cette approche est qu'elle ne conçoit pas le développement de la science. Une fois la théorie réfutée et rejetée, elle ne donne pas d'indications au chercheur sur la démarche à suivre. Il faut donc amender le falsificationnisme méthodologique naïf pour tenir compte de l'existence d'une succession de théorie : c'est le falsificationnisme méthodologique sophistiqué. Le falsificationnisme méthodologique sophistiqué se distingue du naïf, à la fois par ses critères d'acceptation et de falsification (tableau 1). 7 Tab 1 : tableau sur les falsificationnismes méthodologiques : Règles Falsification méthodologique naïve Falsification méthodologique sophistiquée D’acceptation d’une théorie Une théorie T est scientifique si elle est falsifiable Une théorie est falsifiée si elle a un contenu empirique supérieur aux autres théories, i.e. : (1) si elle permet des prédictions inédites, (2) s’il y a vérification d’une partie de ce contenu. De falsification d’une théorie Une théorie T est falsifiée si un énoncé d’observation est en contradiction avec les prédictions de la théorie T est falsifiée par T’ si (conditions cumulatives) : T’ a un contenu empirique supérieur à T Tout le succès de T est inclus dans T’ Une partie des prédictions inédites est corroborée Le passage d’une version naïve à une version sophistiquée permet deux avancées significatives : (1) Il conçoit le développement de la science de manière dynamique, ce n’est pas une théorie qui est évaluée de manière isolée mais une série de théories. (2) Il réévalue le rôle de l’expérience. La falsification n’entraîne le rejet d’une théorie que si « le prétendu ‘exemple de réfutation’ [devient] l’exemple de confirmation d’une théorie nouvelle et meilleure » (p. 47). Selon Lakatos, Popper aurait évolué d’une version dogmatique (Popper0) du falsificationnisme méthodologique à une version naïve (Popper1) pour évoluer ensuite vers le falsificationnisme méthodologique sophistiqué, sans toutefois jamais l’atteindre (Popper2, cf. p.134). Kuhn (1962), Feyerabend (1975), Lakatos (1978) partent tous du falsificationnisme méthodologique sophistiqué. Ils divergent quant aux trois décisions à prendre pour "réfuter" une théorie. Kuhn explique ces conventions par des considérations socio-psychologiques, Feyerabend refuse d'indiquer uploads/Science et Technologie/ lakatos-critique.pdf

  • 22
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager