Du rayonnement de l’archéologie française à l’étranger à l’alliance scientifiqu

Du rayonnement de l’archéologie française à l’étranger à l’alliance scientifique avec les pays partenaires. L’archéologie française dans la diplomatie scientifique d’influence. par Jean-Michel Kasbarian, chef du pôle des sciences humaines et sociales, ministère des Affaires étrangères et européennes Depuis 1945, conseillé par la Commission consultative des recherches archéologiques1, le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) joue un rôle central dans l’animation et la régulation de la politique archéologique de la France au-delà de ses frontières (Barnier 2004 : 12). Sur son avis, le MAEE définit un programme annuel de missions bénéficiant d’un financement pouvant être affecté à la fouille, à l’étude du matériel ou à la préparation des publications. Cet article se propose d’explorer une dimension du dispositif archéologique français à l’étranger que le MAEE privilégie dans une logique d’aide au développement et de diplomatie scientifique d’influence, celle des relations avec les pays hôtes. Ces relations participent de la politique étrangère de la France et, à ce titre, des processus de colonisation, de décolonisation et d’affirmation des indépendances. Bruno Delaye (2004 : 13), directeur général de la coopération au MAEE tient pour une spécificité de la conception française de l’aide publique au développement que d’intégrer la recherche en matière archéologique, la protection et la mise en valeur du patrimoine parmi les stratégies d’aide au développement. Le rôle du MAEE est d’aider à la promotion de la recherche française à l’international, en favorisant une « bonne coopération » sur la base d’un partenariat exigeant, impliquant des engagements réciproques. Cette symétrie des coopérations scientifiques n’est toujours pas établie avec de nombreux pays de missions archéologiques françaises, du fait d’un déséquilibre des moyens et des compétences, ainsi que d’intérêts divergents, entre valorisation touristique, affirmation identitaire et recherche. En 2012, l’objectif du MAEE est de favoriser les évolutions des pratiques de coopération archéologique avec les pays hôtes, dans un contexte de mondialisation des biens et services scientifiques et l’affirmation d’institutions nationales en capacité de maîtriser leurs politiques patrimoniales. Cet objectif passe par la promotion d’un modèle multipartenarial d’alliance pour des réponses globales et d’envergure dans des domaines à fort enjeux et intérêts communs, impliquant l’interdépendance des dispositifs et des ressources et la coproduction des programmes archéologiques dans l’ensemble de leurs composantes de recherche, protection, valorisation et formation. Cette évolution viendrait au terme d’une dynamique de transformation de nos relations avec les pays hôtes qui a déjà rompu avec une politique de rayonnement et d’exportation d’un modèle de recherche et d’organisation scientifique. Le suivi de l’archéologie française à l’étranger au sein du MAEE ne trouverait ainsi plus une justification, parfois forcée, dans sa fonction supplétive de la politique extérieure de la France (North 1997), mais sa pleine légitimité comme un dispositif significatif de la diplomatie scientifique d’influence. Les modèles de développement de l’archéologie française à l’étranger Trois modèles permettent de caractériser le déploiement de l’archéologie à l’étranger aux XIXème et XXème siècles. Le transfert, le rayonnement et la coopération constituent des étapes successives mais non étanches de ce processus, certains éléments du modèle dominant à un moment de nos relations extérieures se maintenant dans le changement de paradigme. C’est ce que montre Xavier North pour l’ensemble de la politique culturelle extérieure de la France : « Il est remarquable que, pour être apparu tardivement dans l’histoire des relations culturelles internationales, le modèle de la coopération, loin de se substituer au désir d’expansion ou à l’impératif de l’échange, n’ait remplacé ni l’un ni l’autre dans les préoccupations des responsables politiques, coexistant avec eux dans des proportions variables selon les époques, les objectifs diplomatiques ou l’évolution des rapports de force entre nations » (North 1997 : 6). En tant qu’acteur majeur de l’archéologie à l’étranger, le ministère des Affaires étrangères a accompagné ce déploiement, pesant sur les choix des pays et des sites, les orientations scientifiques, l’appui de terrain et le dialogue avec les partenaires. Un rôle que Pierre Cambon distingue clairement dans l’histoire de la Délégation archéologique française en Afghanistan : « Dans ce jeu à plusieurs, les Affaires étrangères seront jusqu’à la fin le coordinateur et resteront l’interlocuteur privilégié de l’archéologie, lui permettant de répondre au double défi des problèmes de terrain et des attentes afghanes, sans oublier de replacer toujours la démarche française dans le contexte international et celui des enjeux que représente alors le territoire afghan au cœur même de l’Asie » (Cambon 1999 : 159). Transfert et maîtrise Le premier moment de ce déploiement associe la science archéologique à l’histoire des colonisations et de mise en relation de dépendance des pays colonisés. Pour Georges Balandier l’histoire de la science « moderne » dans la plupart des pays du Sud est d’abord celle d’une « science récemment et partiellement transférée » qui reçoit de l’extérieur son impulsion, ses orientations et ses moyens d’opérer (Balandier 1994 :15). La science coloniale est d’abord utile, appliquée, déterminée en fonction des besoins de l’économie du colonisateur, mais, « par implication, elle comporte une utilité croissante pour les ressortissants des sociétés autochtones… elle entraîne l’implantation de structures scientifiques modernes, dont l’ORSTOM et les instituts spécialisés à partir des années 1940 dans les pays de colonisation française » (Balandier 1994 : 14). Dès le milieu du XIXème siècle, l’archéologie s’insère dans ce processus de constitution d’une science coloniale, caractérisée par l’exportation et le contrôle de la recherche (problématiques, méthodes, moyens) avec la création successive des écoles et instituts à l’étranger. L’expansion du champ des connaissances accompagne la domination politique, dans une logique de confrontation avec les principaux rivaux archéologiques européens, Angleterre et Allemagne. Étudiant les liens entre politique extérieure de la France et politique de l’archéologie autour de deux Instituts français à l’étranger, l’École française d’Athènes et l’École française d’Extrême- Orient, Christophe Charle (2000) toutefois réfute une représentation instrumentale et réductrice des sciences en terrain colonial. L’aventure scientifique ne réplique ni ne prolonge l’aventure coloniale, pas plus qu’elle ne se caractérise par une pleine autonomie de recherche. La volonté de connaître des savants n’est pas affranchie des considérations politiques vulgaires, volonté de dominer du pouvoir colonial : « Parce qu’il s’agit de microcosmes et d’institutions fragiles au contact direct de forces extérieures au champ scientifique, lui-même en proie à de fortes tensions internes du fait de l’autonomisation inachevée des disciplines concernées, l’imbrication des logiques internes et externes de ces interfaces entre intérêts disciplinaires et intérêts politiques se laisse saisir comme dans un effet de loupe » (Charle 2000 : 90). L’histoire des Instituts et missions archéologiques sous tutelle du MAEE témoigne de cette imbrication des logiques, entre recherche (étude des civilisations, du maillon manquant, des siècles obscurs…) et politique étrangère (intérêts géopolitiques, confrontations ou collaborations scientifiques entre nations, flux budgétaires…). C’est cette imbrication qui permet de comprendre les évolutions dans le temps et l’espace de l’Institut français de Beyrouth (Gelin 2005) puis du Proche-Orient (Chevalier 2002), des Délégations archéologiques en Afghanistan (Olivier-Utard 1997), en Iran et en Irak, de l’Institut d’Istanbul et plus récemment du Centre français de recherche à Jérusalem (Nicault 2005) ou des Écoles françaises dépendant du ministère de l’Instruction publique (Leclant 2005), Éducation nationale et aujourd’hui Enseignement supérieur et Recherche. Les trois orientations du modèle de transfert (Balandier 1999 : 14) :l’inventaire (connaissance des milieux), la recherche spécialisée (exploitation des ressources) et la recherche à fonction de service (santé, alimentation…) se retrouvent dans l’organisation de l’archéologie dans les pays colonisés. Joseph Chamonard (1920 : 89-90), décrivant la mise en place sous l’égide de la France mandataire du Service des Antiquités de Syrie, fait ainsi état de trois missions principales : inventaire des monuments, protection (exploitation des ressources) et création de musées (recherche à fonction de service). Cette politique de transfert et de maîtrise des institutions s’illustre particulièrement en Tunisie, vitrine de l’action culturelle française, où la France a mis en place à la veille de la seconde guerre mondiale une administration complexe qui associe recherche, enseignement universitaire, musées et services de monuments historiques et des Antiquités (Gran-Aymerich, 2005). 2 Rayonnement et diffusion Avec les indépendances, c’est la demande des ex-pays colonisés qui justifie l’intervention culturelle et scientifique de la France. Aux États qui « expriment un besoin de science et de technique, de systèmes techno-scientifiques » dans un objectif de développement économique, de modernisation et d’indépendance (Balandier 1994 : 15), la France répond par une politique de rayonnement et de diffusion de sa culture. Inquiète à la fin de la Seconde guerre de sa perte d’influence dans le monde, le pays affiche sa volonté de retrouver un « rang », une « position », mais aussi de capter la demande des partenaires en protégeant ses intérêts culturels et scientifiques dans les ex-pays colonisés, en maîtrisant les flux de biens et de services, y compris culturels, programmes de recherche, affectation des moyens ou orientation des mobilités. Cette politique d’expansion est portée au ministère des Affaires étrangères par la Direction générale des relations culturelles, créée en 1945 qui intègre l’archéologie. Elle s’élargit en 1956 à la formation des élites et à la promotion du français en devenant Direction générale des affaires culturelles et techniques, puis à la uploads/Science et Technologie/ nouvelles-de-l-x27-archeologie-version-revue-msh.pdf

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