Pôle de Recherche 1 Assistante : Chrystel CONOGAN - chrystel.conogan@collegedes
Pôle de Recherche 1 Assistante : Chrystel CONOGAN - chrystel.conogan@collegedesbernardins.fr – 01.53.10.41.95 «Les épidémies : dimensions culturelles et religieuses» Mots clés : épidémies, maladies infectieuses, systèmes de santé, mode de propagation, culture, religion Le docteur Christophe Paquet, médecin épidémiologiste, praticien de santé publique, est aujourd’hui responsable de la division Santé à l’Agence française de développement. A travers la description d’épidémies majeures répandues survenues à travers les siècles, il a analysé le lien entre sociétés et épidémies, et a essayé de décrire le rôle de la culture et de la religion dans l’appréhension et la compréhension de ces phénomènes. I. Intervention du Dr Christophe Paquet L’épidémie, étymologiquement, est une « visite au peuple », elle ne touche donc pas – dans sa définition – l’individu, mais un peuple entier. Cette définition, on le verra plus tard, remet en cause notre appréhension de l’individu, qui n’est plus vu seulement comme victime, mais aussi comme vecteur de la propagation, portant donc une part de culpabilité à l’événement… 1. Epidémies dites modernes - Le SRAS (syndrome respiratoire aigu) Maladie totalement nouvelle, causée par un virus d’origine animale, le SRAS émerge en 2003 dans un pays moderne du sud-est de l’Asie et se propage très rapidement dans les pays les plus développés, conduisant à une alerte mondiale de l’OMS : 37 pays seront touchés sur les 5 continents, la propagation coïncidant avec la carte des routes aériennes. L’impact sanitaire s’est révélé relativement minime (8000 cas déclarés pour 800 décès) ainsi que le coût direct de la prise en charge des malades ; mais les coûts indirects (50 milliards USD), conséquence de la panique mondiale, ont eu un impact majeur sur les économies asiatiques (tourisme…). Cet épisode a montré que le progrès n’a pas exclu les épidémies, que celles-ci ne sont pas un phénomène du passé, et que chaque situation environnementale et sociale est en mesure de générer ses propres épidémies. - La légionellose Elle se transmet par une bactérie qui se déplace par les systèmes réfrigérés et de climatisation. Si le germe existait dans la nature, sa diffusion dans les sociétés humaines a été rendue possible par l’émergence de techniques modernes. C’est le progrès technologique qui a créé cette épidémie. Département EHS Séminaire 2014 - 2016 « Le développement à l’épreuve des cultures et des religions » Séance du 18 novembre 2014 Intervenant : Dr Christophe Paquet Compte - rendu : Véronique de Waru Pôle de Recherche 2 Assistante : Chrystel CONOGAN - chrystel.conogan@collegedesbernardins.fr – 01.53.10.41.95 - La « vache folle » Son germe franchit la barrière des espèces animales vers l’homme ; son émergence est directement liée aux nouvelles pratiques d’élevage intensif et surtout de nutrition, qui emprunte au cannibalisme. Le prion est une création du nouvel environnement du monde moderne et pose la question de la course à la productivité. 2. Les déterminants de la dynamique des maladies infectieuses (Triptyque) Les trois acteurs de la dynamique des maladies infectieuses : l’Agent (germe, microbe), l’Hôte (l’homme) et l’environnement ne sont jamais en équilibre stable. Ils se modifient en permanence : mutations, acquisitions de résistance pour les germes, immunité, vaccination, comportements alimentaires, toxicomanie pour l’hôte, promiscuité, techniques pour l’environnement. La rupture de ces équilibres va créer et favoriser l’émergence de nouveaux microbes. Ces trois éléments sont connus (ou approchés) depuis l’Antiquité mais le germe n’a été identifié qu’à la fin du XIXème siècle par Pasteur. L’absence de ce chaînon manquant a longtemps favorisé toutes les interprétations et en particulier celle du rôle divin dans les épidémies, « Dieu » agissant contre le Mal (purification) ou punissant le pécheur. 3. La Grande Peste du Moyen Age La Grande Peste reste un marqueur symbolique et un évènement majeur des civilisations occidentales. Cette épidémie arrive d’Orient en Europe en 1350 par les routes commerciales, se diffuse très rapidement et fera entre 20 et 30 millions de morts en Europe en seulement 5 ans, soit la moitié de la population européenne de l’époque, entrainant une déstabilisation profonde des sociétés et des modes de production. Cette épidémie, récurrente pendant 400 ans jusqu’à sa dernière apparition en 1720, a donc été un élément majeur pour ces sociétés et a souvent entrainé même parmi les plus grands savants une référence première à la Bible (Lévitique) et à la volonté divine de punition. La peste est alors considérée comme une maladie corruptrice du corps et donc du corps social. Elle a également entrainé, face à une propagation très rapide, une organisation progressive de la société européenne et de nouvelles approches de contrôle de la population. On est passé, à cause du changement d’échelle, d’une logique d’exclusion (face à la lèpre) à une logique de surveillance. Ce sont ces mêmes mécanismes mis en place en Asie au moment de l’épidémie de SRAS qui ont permis un contrôle aussi rapide qu’efficace. 4. Le Sida L’éradication définitive de la variole en 1976, première dans l’histoire de l’humanité, a fait croire, grâce aux progrès des antibiotiques et de la vaccination, à la fin des maladies infectieuses. Au contraire, les premiers cas d’Ebola ont été détectés à cette date et c’est dès 1981 que sont identifiés aux Etats-Unis des malades de ce qui allait être appelé le Sida, initialement dans la communauté homosexuelle et dans d’autres groupes « à risque » (toxicomanes par voie intraveineuse, puis prostitution). Les symptômes de cette maladie, la peur qu’elle provoquait et l’issue quasi-inévitable à cette époque vers la mort ont stigmatisé cette maladie considérée comme corruptrice du corps social. La discrimination des malades en raison de la peur engendrée par cette maladie démontre les difficultés à aborder correctement la prévention et révèlent les fragilités de nos sociétés. Même 30 ans plus tard, et malgré la bonne connaissance de ses modes de transmission, des positions de principe comme celles de l’Eglise (notamment en Afrique, cf Benoît XVI en 2009) ou du plan de lutte américain PEPFAR, sont toujours un frein aux mesures de prévention les plus efficaces. A contrario, l’absence de blocages sociétaux dans certaines parties du monde (Thaïlande) a permis la mise en place de politiques de prévention très pragmatiques et y a empêché une épidémie massive. Susan Sontag a beaucoup théorisé sur « Le Sida et ses métaphores » en opposant les maladies corruptrices comme le sida ou le cancer à d’autres, comme la poliomyélite et les maladies cardiaques, dont les symptômes observés ne sont pas ceux de la corruption du corps et, à ce titre, n’ont pas de charge symbolique aussi négative. Pôle de Recherche 3 Assistante : Chrystel CONOGAN - chrystel.conogan@collegedesbernardins.fr – 01.53.10.41.95 5. Le Béribéri Cette maladie n’est pas infectieuse, mais résulte d’une carence en vitamines B1 dans le lait maternel qui peut entraîner la mort des nouveaux-nés. La conjonction entre maintien de pratiques traditionnelles après l’accouchement et introduction de changement dans l’alimentation (riz blanc sans écorce) a conduit à des épisodes graves observés à Mayotte en 2004. Alors qu’une supplémentation en vitamines B1 résolvait le problème, dans le cadre d’une politique décennale de promotion d’une alimentation plus équilibrée des jeunes mères, l’arrêt de cette supplémentation relance l’« épidémie », montrant la difficulté à faire disparaître des pratiques culturelles pourtant mortifères. 6. Ebola La moitié du continent africain est concernée par Ebola mais l’épidémie actuelle se développe exclusivement (sous réserve d’inventaire ultérieur) dans trois pays, Libéria, Sierra Leone et Guinée, plus particulièrement dans une zone transfrontalière appelée le « Triangle Kissi ». Les Kissi sont une ethnie qui vit essentiellement à l’intérieur de ces trois pays, à l’exclusion des voisins (notamment pas dans la Côte d’Ivoire contigüe). Ce peuple forestier de religion animiste pratique un rituel funéraire très codifié qui met en contact très directement et abondamment les vivants avec les corps des défunts. L’OMS estime ainsi que plus de 60% des origines de contamination d’Ebola proviennent des pratiques funéraires de ces populations ; cette situation et son caractère très sensible rendent difficile, et parfois dangereuse, la diffusion de pratiques de sépulture ou de crémation capables d’enrayer ces contaminations. On mesure ainsi l’impact de ces pratiques culturelles sur la capacité d’une société à contrôler ou non ces épidémies. En conclusion de son exposé, Christophe Paquet a rappelé les points communs de ces épisodes : Toute société a eu, a ou aura ses épidémies intrinsèquement liés à sa culture. De nouvelles maladies vont continuer à apparaitre quels que soient les progrès techniques et technologiques ; au contraire, certains de ces progrès continueront de créer eux-mêmes de nouveaux phénomènes épidémiques. Parmi ceux-ci, l’économie productiviste aggravera une situation dans laquelle 75% des épidémies humaines sont d’origine animale. Les épidémies révèlent la fragilité des sociétés. Les maladies qui corrompent le corps individuel comme la peste, le sida ou Ebola sont particulièrement perçues comme corruptrices du corps social et renvoient à des phénomènes de rejet surtout lorsqu’elles touchent des groupes sociaux marginalisés et des pratiques réprouvées et dans ce cas on n’est jamais loin de l’idée ancestrale d’une punition divine. Le contrôle d’une épidémie impose souvent aux sociétés de modifier leurs pratiques et, quand celles- ci sont de uploads/Sante/ 2014-11-18-ehs-developpement-cr.pdf
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- Publié le Apv 10, 2022
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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