185 Académie des Sciences et Lettres de Montpellier Séance publique du 2 mai 20

185 Académie des Sciences et Lettres de Montpellier Séance publique du 2 mai 2011 Alimentation et santé dans l’histoire humaine : paradoxes et incertitudes de notre siècle par Claude JAFFIOL MOTS-CLÉS Alimentation - Histoire - Maladies de la nutrition - Agriculture biologique - Compléments alimentaires. RÉSUMÉ L’alimentation est connue depuis la plus haute antiquité comme une compo- sante essentielle de la santé. A partir du XIXe siècle, les sciences fondamentales et les progrès technologiques ont suscité de remarquables progrès en nutrition, agronomie, transformation, transport et commercialisation des aliments. Malgré ce, de nouveaux problèmes émergent liés à des phénomènes de société, à l’industriali- sation de l’alimentation et aux incertitudes concernant les propriétés et les risques sanitaires de nombreux produits destinés à l’alimentation humaine ou animale. L’abondance de l’offre alimentaire dans les pays industrialisés coexiste avec deux situations différentes : 1°) la persistance de carences liées à la paupérisation crois- sante ou à des problèmes psycho sociaux et existentiels ; 2°) le développement extensif de pathologies nutritionnelles, obésité, diabète, hypertension, source de multiples complications affectant la durée et la qualité de vie, générant des dépenses croissantes de santé. Un deuxième paradoxe oppose des contrôles de plus en plus sévères de la chaine alimentaire à la persistance de pathologies infectieuses ou toxiques majoritairement liées aux pollutions agricoles ou industrielles. Un troisième paradoxe met face à face les remarquables progrès de la recherche et les nombreuses incertitudes qui pèsent sur l’intérêt ou les risques sanitaires de divers nutriments et technologies alimentaires, OGM, produits de l’agriculture biologique, compléments alimentaires, etc. En l’absence de certitudes, une grande prudence s’impose pour des choix difficiles souvent pollués par des prises de position passionnelles tandis que les efforts de recherche doivent être activement encouragés. Traiter des rapports entre alimentation et santé est toujours un exercice périlleux. Les données expérimentales sont fluctuantes et les études épidémiolo- giques souvent polluées par une multitude de facteurs confondants. Cette situation crée un climat où l’incertitude scientifique ouvre la porte à l’irrationnel offrant un terrain favorable aux spéculations les plus hasardeuses. La recherche de la nourriture a été une constante préoccupation pour l’homme car l’aliment est indispensable pour le maintien de la vie. Les observations des médecins d’autrefois, les représentations artistiques et les œuvres de nombreux écrivains et historiens permettent de se faire un jugement sur les conséquences des habitudes alimentaires des siècles passés. Plus près de nous, l’extraordinaire développement technologique et scientifique explique les profondes mutations apparues dans l’alimentation humaine. La santé en a bénéficié surtout dans les pays industrialisés, mais, paradoxalement, l’abondance alimentaire n’a pas résolu tous les problèmes et notre siècle est confronté à l’émergence de diverses pathologies où l’alimentation est impliquée. Cette situation ne peut être correctement analysée si les effets de la nutrition sur la santé humaine sont pris en compte d’un seul point de vue biochimique ou épidémiologique. En fait, le problème doit être considéré d’une manière beaucoup plus large ; l’alimentation ne doit pas être envisagée comme une entité isolée mais comme l’élément d’un ensemble incluant la production et les techniques agricoles, la qualité des produits, leur conservation, les circuits commer- ciaux, l’environnement et la susceptibilité de chaque individu vis-à-vis de tel ou tel nutriment en fonction de son capital génétique. En outre, un regard purement scien- tifique conduit à une impasse si l’on ignore la dimension psychologique, sociétale et culturelle de l’alimentation. Ces remarques préalables paraissent fondamentales pour mieux aborder sous leur aspect multidimensionnel les paradoxes et les incertitudes qui caractérisent les rapports entre l’alimentation et la santé à notre époque. I – Etapes décisives de l’histoire de l’alimentation et de ses rapports avec la santé (1-2-3-4) I.1 – Le paléolithique : les cueilleurs chasseurs Cette période est la plus longue dans l’histoire de l’humanité estimée à trois millions d’années depuis l’apparition des premiers hominidés découverts en Afrique de l’Est. L’alimentation était fondée sur la chasse, la pêche et la cueillette au hasard des déplacements ; une étape capitale fut la maitrise du feu, il y a environ 400.000 ans, permettant la cuisson des aliments. Quelques petits groupes sociaux en Tanzanie et au Kala- hari ont de nos jours un mode de vie comparable à celui des civilisations du paléolithique ce qui a permis d’approcher les usages alimentaires de cette époque reculée. Ces données confrontées à l’analyse des stries dentaires laissent penser que l’équilibre alimentaire de ces groupes primitifs était proche des recommandations nutritionnelles actuelles. La viande représentait une part importante mais il s’agissait de gibier, pauvre en graisse avec une proportion importante d’acides gras polyinsa- turés. De nombreux végétaux sauvages étaient consommés apportant un lot consé- quent de fibres. Les apports sodés étaient beaucoup plus faibles et ceux de calcium plus élevés qu’aujourd’hui. La charge en fer, vitamines et micronutriments était satis- faisante voire supérieure aux consommations actuelles. Il est intéressant de constater que les maladies de pléthore si fréquentes dans notre civilisation sont très rares chez les peuples chasseurs- cueilleurs d’Afrique et d’Australie. Il est tentant de rapprocher ce fait de leurs habitudes alimentaires. Communications présentées en 2011 186 I.2 – Le néolithique : la naissance de l’agriculture et de l’urbanisation Dix mille ans BC, une mutation survient dans l’histoire de l’humanité carac- térisée par la sédentarisation, le regroupement des populations en îlots, et le passage d’une alimentation de survie à une alimentation organisée autour de l’élevage et de la culture de plantes sélectionnées. C’est la naissance de l’agriculture. Progres - sivement, on assiste à une diversification des espèces, principalement les céréales, la domestication des animaux, l’usage d’outils pour le travail de la terre. Cette révolution née au proche orient va essaimer progressivement autour du bassin méditerranéen. I.3 – L’antiquité et la période historique (tableau I) L’antiquité est dominée par les civilisations, phénicienne, égyptienne, grecque et romaine qui virent se développer une riche diversification alimentaire avec des différences liées aux spécificités culturelles et à la plus ou moins grande productivité agricole de chaque contrée. L’alimentation des grecs était réputée pour sa frugalité particulièrement sévère à Sparte où l’orge était la céréale la plus consommée. Lait et laitages étaient largement utilisés. Le vin était une boisson courante, celui d’Arcadie était supposé rendre les femmes fertiles. La diététique s’imposait pour les malades ; Hippocrate recommandait une décoction d’orge dans les états fébriles ; les athlètes suivaient un régime spécial riche en viandes selon Pausanias. En Egypte, la fertilité des alluvions du Nil explique la plus grande diversité de l’alimentation et la prééminence de la bière comme boisson quotidienne. L’empire romain par sa puissance et son étendue bénéficiait d’une grande richesse avec des aliments produits dans toutes les parties du monde connu. La complexité et la diversité des recettes culinaires recensées par Apicius (Re Coquimeria) sont le reflet de cette situation d’abondance dont profitait seulement une classe privilégiée. C’est aussi l’âge d’or de la médecine qui, avec Hippocrate à Cos, Galien à Rome, s’intéressa à la nutrition perçue comme un élément capital pour la santé des bien portant et des malades. L’aliment devait participer à maintenir un équilibre entre les quatre éléments, eau, terre, air, feu, les quatre tempéraments, mélancolique, lymphatique, sanguin, colérique, la santé dépendant du respect de ces équilibres. Ces conceptions prêtent à sourire mais l’on doit retenir l’importance toujours actuelle du principe d’équilibre qui a acquit un gage scientifique depuis la découverte du milieu intérieur par Claude Bernard. Dès cette époque, des groupes recommandaient les régimes végétaliens sur des bases morales ou philosophiques, (Empédocle, certains pythagoriciens) Plus tard, les médecins perses et arabes soulignèrent à leur tour l’importance de l’alimentation pour le maintien de la santé. Rhazès, à Bagdad, enseignait : “Tant que tu peux soigner avec des aliments, ne soignes pas avec des médicaments”, reprenant un principe énoncé par Hippocrate, “Que l’aliment soit ton premier médicament”. Ibn Butlan, mort en 1068, publia un traité sur les aliments, “Kitab Takwîh As Sihha”, traduit en latin, “Tacuinum Sanitatis”, livre richement illustré décrivant les propriétés de nombreux aliments ainsi que des conseils d’hygiène de vie. L’école de Salerne issue des traditions grecques et judéo arabes produisit un traité sur l’alimentation “Flos medicinae vel regimen sanitatis salernitanum”. Arnaud de Villeneuve (1240-1311) enseignant à la faculté de médecine de Montpellier publia le Regimen sanitatis avec des règles de diététique. Académie des Sciences et Lettres de Montpellier 187 A Montpellier, Rondelet, contemporain de Rabelais, souligna la transmission héréditaire de plusieurs affections métaboliques. Au moyen âge considéré à tort comme une période stérile et obscurantiste, l’agriculture et l’industrie connurent une expansion sous l’impulsion des monastères qui possédaient de grandes propriétés, une main d’œuvre bon marché et une connais- sance des fondements de l’agronomie. Ce sont eux qui développèrent les moulins à eau, les marteaux fouloirs, le tissage des étoffes et contribuèrent à la sélection des espèces en particulier de la vigne. Toutefois, les aliments étaient loin d’apporter une garantie de fraicheur et l’eau était souvent contaminée. Cela explique la fréquence des intoxications alimen- taires et les épidémies de choléra qui ont fait des ravages jusque au XIXe siècle. La contamination des céréales par l’ergot de seigle fut à l’origine de uploads/Sante/ alimentation-et-sante-dans-l-x27-histoire-humaine.pdf

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  • Publié le Aoû 05, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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