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C. R. Biologies 331 (2008) 903–918 http://france.elsevier.com/direct/CRASS3/ Revue / Review Les relations entre santé, développement et réduction de la pauvreté Jean-Claude Berthélemy a,b,∗ a Académie des sciences morales et politiques, 23, quai Conti, 75006 Paris, France b Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Maison des sciences économiques, 106, boulevard de l’hôpital, 75647 Paris cedex 13, France Disponible sur Internet le 1er octobre 2008 Présenté par François Gros Résumé Cet article part du constat d’une relation très forte, mais non-linéaire, entre progrès de santé et développement économique. Cette relation est interprétée comme le résultat d’une interaction réciproque entre ces deux variables, qui peut conduire une économie alternativement dans un piège de sous-développement ou dans une spirale vertueuse de décollage économique. Les pays émergents ont échappé à la misère à partir du moment où ils ont commencé à faire des progrès en matière de santé et d’éducation. Les pays africains sont restés très en retard, et leur retard s’est aggravé à partir des années 1980 suite à l’épidémie du VIH/SIDA. Cette analyse contribue à justifier l’attention qui est portée aujourd’hui aux politiques d’aide à la santé en Afrique. Toutefois, l’amélioration des conditions de santé, et la sortie du sous-développement, ne se feront pas simplement par augmentation des budgets d’aide à la santé. Il faut plutôt mettre l’accent sur les réformes nécessaires pour améliorer l’efficacité des politiques de santé, ainsi que leur équité. Pour citer cet article : J.-C. Berthélemy, C. R. Biologies 331 (2008). © 2008 Académie des sciences. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Relationships between health, development and poverty reduction. This article starts with the observation of a non-linear relationship between health progress and economic development. This relationship is interpreted as resulting from a bidirectional interaction between these two variables, which may lead a country to a poverty trap or, alternatively, to a virtuous circle of economic take-off. Emerging countries have pulled out of poverty after having made progress in health and education. African countries still lag behind in this respect, and their backwardness has been worsened by the HIV/AIDS crisis. This analysis contributes to justifying the current emphasis on aid policies to the health sector in Africa. However, improving health conditions, and escaping the poverty trap, cannot be done just by increasing health budgets. More emphasis should be put on necessary reforms to improve efficiency and equity in health policies. To cite this article: J.-C. Berthélemy, C. R. Biologies 331 (2008). © 2008 Académie des sciences. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : Développement économique ; Piège de pauvreté ; Politique de santé ; Équité Keywords: Economic development; Poverty trap; Health policy; Equity * Adresse pour correspondance: Université Paris 1 Panthéon Sor- bonne, Maison des sciences économiques, 106, boulevard de l’hôpital, 75647 Paris cedex 13, France. Adresse e-mail : jean-claude.berthelemy@univ-paris1.fr. 1. Introduction Le point de départ de cet article est une interrogation de nature historique. Plus précisément, quels facteurs ont différencié à partir des années 1950 les pays qui ont 1631-0691/$ – see front matter © 2008 Académie des sciences. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.crvi.2008.08.004 904 J.-C. Berthélemy / C. R. Biologies 331 (2008) 903–918 émergé des autres pays pauvres, quand les premiers ont commencé à décoller alors que les seconds stagnaient ? La littérature économique abonde d’hypothèses sur les facteurs qui pourraient expliquer le miracle asiatique comparé à l’échec du développement dans la grande majorité des pays africains. On a tour a tour consi- déré que c’était l’épargne, la culture, les institutions, qui pouvaient expliquer cette divergence. Beaucoup des hy- pothèses qui ont été émises à ce sujet sont infondées car mettant en avant des facteurs pour lesquels les pays émergents n’avaient pas d’avantage significatif par rap- port aux autres pays pauvres immédiatement avant leur décollage. En revanche, le capital humain ressort très nette- ment comme différenciant, dès les années 1950, les pays émergents des autres pays pauvres de cette époque, et, parmi les composantes du capital humain, la santé joue un rôle central. Notre conclusion est que, dans les an- nées 1950 et 1960, des améliorations dans la santé ont joué un rôle décisif pour aider les pays que l’on ap- pelle maintenant émergents à sortir de la misère dans laquelle ils étaient plongés peu de temps auparavant, au même titre que les pays africains. Cette conclusion empirique s’appuie sur une théorie de la croissance et du développement économique qui fait jouer un rôle central à la présence de processus cumulatifs entraînant des phénomènes d’équilibres multiples, connue sous le vocable de théorie des pièges de sous-développement ou des pièges de pauvreté. Comme nous essaierons de le montrer, cette conclusion permet d’aborder sous un angle nouveau les éléments d’une controverse récente entre économistes sur les effets de la santé sur la crois- sance économique, les uns lui attribuant un rôle central, d’autres lui déniant toute influence significative sur le progrès économique. Si elle ne donne pas nécessairement une recette uni- verselle pour identifier les initiatives de politique de dé- veloppement qui pourraient permettre aux pays pauvres de sortir à leur tour de la misère, cette conclusion permet de mettre l’accent sur le fait qu’une part non négligeable des pays africains est encore aujourd’hui, malgré les progrès recensés au cours des dernières décennies, dans une situation de pénurie extrême de capital humain, no- tamment en matière de santé. Cette pénurie est telle qu’il serait illusoire de vouloir aider ces pays à se dé- velopper sur le plan économique tant que ces facteurs de blocage n’auront pas été levés. La suite de cet article se penche alors tout naturelle- ment sur les éléments des politiques de santé en Afrique qui posent le plus de problèmes et sur les réformes qu’il serait souhaitable de mettre en œuvre pour résoudre ces problèmes. Beaucoup de commentateurs ont tendance à mettre en avant le manque de moyens financiers, et la nécessité d’augmenter l’aide. Dans le secteur de la santé, cette approche est de moins en moins pertinente, compte tenu de l’importance des efforts qui ont déjà été consentis pour accroître l’aide aux pays pauvres dans ce domaine. Au-delà de la contrainte financière, bien d’autres défis doivent être relevés : celui de la faiblesse des ressources humaines et des mécanismes d’incitation dans les services de santé publique ; ce- lui de la concentration des financements sur des grands programmes verticaux, notamment de lutte contre l’épi- démie du VIH/SIDA, au détriment d’autres dépenses ; celui de la nécessité d’une approche intégrative, inté- grant la santé, l’éducation et d’autres services publics de base dans une même stratégie, qui fait souvent défaut ; celui de l’absence de coordination de l’aide ; celui en- fin de l’insuffisante prise en compte des considérations d’équité dans les politiques de santé des pays africains. Dans un premier temps, nous discuterons des rela- tions d’interaction qui existent entre le développement économique et les progrès en matière de santé, pour montrer la place centrale qui peut être occupée, dans les pays pauvres, par ces interactions dans l’explication des pièges de pauvreté. Dans un second temps, nous étudierons les différents aspects des politiques de santé en Afrique qui peuvent participer au succès ou à l’échec des efforts entrepris pour améliorer la situation de ces pays dans ce domaine. 2. L’interaction dynamique entre progrès de la santé et développement économique 2.1. Les relations entre développement économique et progrès en matière de santé Les relations entre la croissance et les progrès en ma- tière de santé font l’objet d’une controverse à la fois théorique et empirique entre les économistes. On ob- serve assez naturellement qu’il y a une corrélation entre les niveaux de vie, tels que mesurés par le PIB en pa- rité de pouvoir d’achat et les niveaux de santé. Pour une part, les travaux de la Commission sur la macroé- conomie et la croissance présidée par Sachs [1], visant à montrer l’intérêt des investissements dans la santé pour le développement économique, avaient pour point de départ cette relation entre les performances écono- miques et l’amélioration de la santé. La Fig. 1 illustre cette corrélation, en ce qui concerne les taux de sur- vie des adultes (jusqu’à 60 ans) et des enfants (jusqu’à 5 ans). La Fig. 2, se rapportant aux espérances de vie et aux espérances de vie en bonne santé, révèle un profil identique. J.-C. Berthélemy / C. R. Biologies 331 (2008) 903–918 905 Fig. 1. Indicateurs de taux de survie par groupe de pays classés en quintile. Source : calculs de l’auteur d’après les données de l’OMS (indicateur de santé) et du Groningen Growth and Development Centre (PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat). Fig. 2. Indicateurs d’espérance de vie par groupe de pays classés en quintile. Source : calculs de l’auteur d’après les données de l’OMS (indicateur de santé) et du Groningen Growth and Development Centre (PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat). Bien que montrant clairement que les conditions de santé et le revenu par habitant évoluent dans le même sens, cette figure appelle immédiatement deux commen- taires. Tout d’abord uploads/Sante/ art-berthelemy-pauvrete-croissance-pdf.pdf

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  • Publié le Mai 04, 2021
  • Catégorie Health / Santé
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