STENDHAL et BICHAT par Jean THÉODORIDÉS Nous sommes en 1805. Un groupe de jeune

STENDHAL et BICHAT par Jean THÉODORIDÉS Nous sommes en 1805. Un groupe de jeunes gens, tous anciens condisciples de l'Ecole Céntrale de Grenoble maintenant disperses, lisent les auteurs les plus variés et se communiquent leurs impressions de lecture. Parmi les livres qu'ils parcourent, la plume á la main, figurent non seulement des ouvrages purement littéraires, mais également des écrits philosophiques et scientiíiques, notamment ceux des Idéologues : Helvétius, Destutt de Tracy, Cabanis, Bichat, Pinel. Qui sont ees jeunes gens ? Nous n'en retiendrons ici que quatre : Joseph- Désiré-Félix Faure (1780-1859), Fortuné Mante (1780-1826), Francois-Ignace Bigillion (1782-1827) et le plus célebre du quatuor, Henri Beyle (1783-1842), le futur Stendhal. L'importance de l'ceuvre de Bichat ne leur a pas échappé. Des le 27 juin 1805, Fortuné Mante écrivait á Beyle (1) : « J'ai lu en partie La Vie et la Mort. On me l'a enlevé avant que je l'eusse fini. Je t'en avais parlé. C'est tres bien á mon avis. » Le 17 novembre 1805, Faure écrit á Beyle (2) : « Bilon m'a porté Bichat ; je l'ai lu et relu ; je suis enchanté de cet ouvrage, de /a premiére partie surtout (de la vie), qui me parait lumineux. Au reste, dans ce genre la, n'ayant aucune connaissance physiologique, je suis obligé de prendre pour bon ce qu'il me donne pour tel et ce n'est que dans la partie de son livre qui se lie á la métaphysique que je puis vraiment l'admirer. Voilá pourquoi aussi la seconde partie m'a beaucoup moins intéressé. Je me felicite d'avoir commencé par lui. » Nous verrons plus loin qui était Bilon. Quant á l'ouvrage de Bichat, il s'agit des Recherches physiologiques sur la vie et la mort, dont la 3 e édition (1805) venait de paraitre. (1) Stendhal, Correspondance, édit. Pléiade, París, 1962. Tome I, p. 1108. (2) Ibid. p. 1141. 107 Une semaine aprés, le 24 novembre 1805, c'est Bigillion qui écrit á Beyle(3): « Faurc lit Bichat. II m'en a donné une idee. Je le lirai aussi. » Enfin, le 11 décembre de la méme année, Faure écrit á Beyle en parlant du Discours sur l'homme de Buffon(4) : « Sa théorie de la terre est belle; elle est presque vraisemblable, mais ce n'est qu'un systéme, et Bichat m'a dégoüté de toutes les idees systématiques. Voilá un obser- vateur! Un homme sage ! Des faits, rien que des faits, et s'arrétant toujours sur les limites des conjectures. Quel dommage qu'il ait été perdu si tót pour les sciences ! » Beyle n'avait pas attendu 1805 pour s'intéresser á Bichat. Une note de son Théátre, datant du debut de 1804, est significative á ce sujet. Travaillant á sa piéce en vers Les deux hommes, qu'il ne termina jamáis, le dramaturge en herbé note en effet(5): « Pour Chamoucy [un des personnages de la piéce] le style de Bilon, de mon oncle (6). toujours plein de figures, brillante (ce mot exprime bien mon idee). Coupé, point pério- dique. C'est le style de la conversation. J'emporte l'éloge de Bichat comme modele.» Et voici á nouveau prononcé le nom de Bilon et mentionné quelques lignes plus loin « l'éloge de Bichat ». II est temps maintenant de préciser qui était ce personnage. Né á Grenoble le 18 juin 1780, fils de Jean-Baptiste Bilon (7), maitre en chirurgie, et de Suzanne Bertier, Francois-Marie-Hippolyte Bilon (8) étudia la médecine á París oü il íüt l'éléve de Bichat et de Boyer. II soutint en 1803 sa thése de doctorat: Dissertation sur la douleur, et regagna la méme année Grenoble oü il fut nommé Professeur de Physiologie á l'Ecole de Chirurgie et de Physique au Lycée. II était tres estimé dans sa ville natale oü il mourut des suites d'une maladie de poitrine (tuberculose ?), le 29 octobre 1824. Parmi ses ceuvres assez nombreuses (cf. liste donnée in fine) figure un Eloge historique de Bichat. Et c'est précisément « l'éloge de Bichat » auquel fait allusion Stendhal qui connaissait bien Bilon, de la méme génération que lui et que ses amis (3) Ibid. p. 1148. (4) Ibid. p. 1153. (5) Théátre, édit. Diván, París, 1931, II, 393. (6) Romain Gagnon, frére de la mere de Stendhal. (7) On trouvera in fine la liste des travaux de ce chirurgien. (8) Rochas, Biographies du Dauphiné, París, Charavay 1856. Tome I, p. 139. Nous remercions notre ami A. Doyon qui a relevé pour nous ees renseignements. 108 Bigillion, Faure et Mante. Ajoutons que Bilon pére, chirurgien de l'hópital general et Professeur de Pathologie á l'Ecole de Grenoble, devait étre lié avec le Docteur Henri Gagnon (1728-1813), le grand-pére maternel de Stendhal, sur la tombe duquel c'est Bilon fils qui prononca un discours. Tout ceci renforca certainement encoré l'admiration portee á Bichat par Bey le et ses amis. Bilon fils est encoré l'auteur d'ouvrages dont les titres ont une résonance bien stendhalienne : Essai physiologique sur l'amour (an XIII), Essai sur le bonheur (1806). Son Eloge historique de Xavier Bichat fut prononcé le 5 frimaire an XI ( = 26 novembre 1802), á la séance publique de la Société de Médecine de Grenoble, plus de quatre mois aprés la mort de Bichat survenue le 3 ther- midor an X ( = 22 juillet 1802). II s'agit d'un opuscule de 23 pages in 8 o, imprimé á Grenoble chez J. Allier(9), qui semble assez rare aujourd'hui (il n'existe ni á la Bibliothéque Nationale, ni á celle des Facultes de Médecine de París et de Montpellier). Nous avons eu en communication l'exemplaire de la Bibliothéque de la Ville de Grenoble (cote 0/3725). Cet éloge que Stendhal voulait prendre comme modele est écrit dans le style pompeux et grandiloquent caractéristique du debut du siécle dernier. II s'agit d'un véritable dithyrambe du disparu par un de ses eleves qui retrace avec cceur sa vie et son oeuvre. Certains passages nous font sourire aujourd'hui; aprés avoir donné une citation de Bichat, Bilon écrit (op. cit. pp. 10-11) : « Je me borne, Messieurs, á cette citation, et maintenant je rougis presque de placer mon style á cóté de celui-lá ; mais vous aurez assez d'indulgence pour ne point établir de comparaison. Qui jetterait un regard sur la pauvre marguerite aprés avoir respiré le parfum de la rose, aprés avoir vu le port majestueux du lys ? » L'intérét principal de cette notice est d'avoir été rédigée par quelqu'un qui avait tres bien connu Bichat, et Bilon a notamment le grand mérite d'insister sur l'oeuvre physiologique de son maitre (op. cit. pp. 11-14) dont il dit fort justement ailleurs (p. 17) : « II se montre tour á tour anatomiste exact, physiologiste profond, chirurgien éclairé, médecin observateur, pro- fesseur analyste, et cependant Bichat ne compte que sa trentiéme année. » Tel est, briévement resume, l'intérét de cet ouvrage dont Stendhal nous apprend l'existence. Le nom de Bichat revient encoré á deux reprises dans des écrits stendhaliens ultérieurs. (9) Dont le descendant dirige toujours l'imprimerie sur les presses de laquelle sont edites la revue Stendhal-Club et les volumes de la Collection stendhalienne oü a paru derniérement notre ouvrage: Stendhal du cóté de la Science, 303 p., 8 planches h.-t., Aran (Vaud), 1972. 109 Une premiére ibis dans VHistoire de la Peinture en Italie oü Beyle écrit, dans le chapitre CLXXI consacré á Michel-Ange (10) : « Michel-Ange employa plus de douze ans á étudier la forme des muscles, un scalpel á la main. Une fois il faillit périr de la mort de Bichat. » Ces lignes laisseraient á penser que Stendhal croyait Bichat mort des suites d'une piqüre anatomique, alors que le fondateur de T« anatomie gené- rale » mourut d'une maladie mal définie (peut-étre méningite tuberculeuse). II est encoré mentionné dans un compte rendu donné au hondón Magazine (mai 1825) (11), de la piéce de Scribe, Le charlatanisme. Le journa- liste Rondón y fait le panégyrique d'un jeune médecin nommé Rémy, auteur d'un ouvrage sur le croup (diphtérie) dans lequel il « insiste sur l'habileté et les connaissances de ce jeune médecin qu'il proclame le successeur de Bichat ». Pour conclure cette courte communication, il nous a semblé opportun, á l'occasion du bicentenaire de Bichat, de rappeler l'intérét porté par Stendhal á ce grand pionnier, intérét partagé par ses condisciples grenoblois sur lesquels l'ceuvre du fondateur de l'histologie faisait une impression d'autant plus grande qu'elle était due á un novateur bousculant la tradition, et mort dans la fleur de l'áge. Cette ceuvre devait tout particuliérement plaire au futur Stendhal déjá épris de ciarte et de rigueur scientifique. Martineau l'a tres bien compris lorsqu'il écrit (12) : « Henri Beyle pour le moment enrichissait ses connaissances en confrontant tour á tour Bichat, Cabanis et Pinel. Ces médecins philosophes ne s'éloignent jamáis de l'observation méthodique du corps humain. Leurs systémes reposent sur des phénoménes controlables. Aussi, la curiosité de leur lecteur était-elle comblée... » Nous devons enfin á Stendhal la mention d'une biographie tres peu connue de Bichat, écrite par un de ses anciens eleves. Tout ceci nous a uploads/Sante/ bichat-stendhal-et-bichat.pdf

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  • Publié le Jul 12, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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