1 2 GENE BREWER K-PAX : L’HOMME QUI VIENT DE LOIN Traduit de l’américain par Hé
1 2 GENE BREWER K-PAX : L’HOMME QUI VIENT DE LOIN Traduit de l’américain par Hélène Prouteau L’Archipel 3 Un patient traité avec succès, c’est comme une partie de soi-même qui nous est révélée. Sylvano Arieti 4 Prologue En avril 1990, j’ai reçu un appel du Dr William Siegel du Long Island Psychiatric Hospital. Bill est un vieil ami et un éminent collègue. En l’occurrence, il s’agissait d’un appel professionnel. Bill traitait un patient hospitalisé depuis plusieurs mois. Le patient avait une trentaine d’années ; les policiers de New York l’avaient découvert, penché sur la victime d’une agression au terminal des bus de Port Authority, à Manhattan. D’après leur rapport, ses réponses à leurs questions étaient « bizarres ». Ils l’avaient donc arrêté puis envoyé à Bellevue Hospital. Bien qu’il fût assez maigre, l’examen médical n’avait révélé aucune anomalie organique, la pensée était cohérente, pas d’aphasie ou d’hallucinations auditives, à première vue il paraissait normal. Il était cependant la proie d’un étrange fantasme : il se prenait pour un habitant d’une autre planète. Après quelques jours d’observation, on le conduisit à l’hôpital de Long Island où il passa quatre mois. Bill ne put pas faire grand-chose pour lui. Bien qu’il se montrât alerte et coopératif pendant toutes les phases des différents traitements, le patient ne réagissait pas aux drogues les plus puissantes. Il s’obstinait à prétendre qu’il était un visiteur en provenance de « K-PAX ». Pire, il finit par convaincre de sa provenance extra-terrestre bon nombre des malades qui l’entouraient. Des membres du personnel commençaient même à lui prêter une certaine attention. Sachant que les fantasmes en tous genres étaient une de mes spécialités, Bill me demanda de me charger de cet individu. Cela tombait très mal. Directeur suppléant du Manhattan Psychiatric Institute, j’étais débordé de travail et, depuis le mois de janvier, je traitais de moins en moins de malades. Mais ce cas m’intéressait, et par ailleurs j’étais redevable à Bill d’un ou deux services. Je lui demandai donc de m’envoyer une copie du dossier de ce garçon. Je reçus le dossier alors que j’étais encore plongé dans des tâches administratives, et le découvris quelques jours plus tard 5 sous une pile de paperasse sur mon bureau. Fatigué à l’avance à l’idée de traiter un nouveau patient, je le parcourus néanmoins. Il racontait une histoire qui sortait de l’ordinaire. Bien que notre « homme de l’espace » fût assez lucide, cohérent, conscient du temps et de l’endroit où il évoluait, il était incapable de donner des informations crédibles sur ses origines et son milieu social. En bref, non seulement il vivait dans son fantasme, mais il était totalement amnésique ! J’appelai Bill et lui demandai de transférer dans mon hôpital cet homme qui n’avait pas de nom – et s’attribuait celui de « prot » – écrit en lettres minuscules. Il arriva début mai. Notre premier entretien eut lieu le mercredi suivant, la semaine même où je devais me consacrer à la préparation de ma conférence, à l’université de Columbia, sur « les principes de la psychiatrie ». Ensuite, nous nous vîmes régulièrement pendant plusieurs mois. Je me pris d’une grande curiosité et d’une grande estime pour ce patient, comme ce récit, je l’espère, en témoignera. Bien que certains de ces entretiens aient été rapportés dans des revues scientifiques, j’ai écrit ce livre non seulement parce qu’il peut intéresser le public, mais aussi, en paraphrasant le Dr Arieti, en témoignage de ce que « prot » m’a appris sur moi- même. 6 1 Quand on me l’amena dans mon cabinet, il me donna l’impression d’un athlète – un joueur de football ou un boxeur. Les cheveux épais et noir corbeau, il était un peu en dessous de la taille moyenne, râblé et le teint mat. Il portait des pantalons en velours, une chemise en jean et des espadrilles. Au cours de nos premières rencontres, je n’ai pas vu ses yeux : malgré un éclairage assez tamisé, il ne quittait jamais ses lunettes noires. Je le priai de s’asseoir et il s’exécuta sans un mot. Son comportement était paisible, son pas léger et bien coordonné. Il semblait détendu. Je renvoyai les garçons de salle. J’ouvris son dossier et écrivis la date sur un carnet jaune. Il m’observait avec attention et réprima un sourire. Je lui demandai si tout allait bien, s’il désirait quelque chose. Il me surprit en demandant une pomme. Sa voix était douce, mais claire, sans trace d’aucun accent régional ou étranger. Je sonnai notre infirmière en chef, Betty McAllister, et lui demandai de me trouver une pomme dans les cuisines. En attendant son retour, je passai en revue son dossier médical : d’après notre chef de clinique, le Dr Chakraborty, la température, le pouls, la pression sanguine, les analyses de sang et l’électro-encéphalogramme étaient parfaitement normaux. Aucun problème dentaire. Normaux, les examens du système nerveux (force des muscles, coordination, réflexes, tonicité). Discrimination droite-gauche normale. Aucun problème d’acuité visuelle, d’audition, de reconnaissance du chaud et du froid, du toucher, bonne description d’images, bonne copie de dessins. Aucune difficulté pour résoudre des puzzles et des problèmes complexes. Le patient était vif, observateur, logique et, à l’exception de son fantasme et de son amnésie, apparemment sain. Betty arriva avec deux grosses pommes. Elle me jeta un coup d’œil ; je hochai la tête et elle les offrit au patient sur un petit plateau. — Des Starking, s’exclama-t-il, celles que je préfère. 7 Il nous proposa d’y goûter, mais nous déclinâmes l’offre, et il mordit dans une pomme à pleines dents. Je renvoyai mon assistante et regardai prot dévorer les fruits. Je n’avais jamais vu quelqu’un prendre autant de plaisir à ce qu’il faisait ; il mangea tout, y compris les pépins. Quand il eut terminé, il dit : « Merci, merci beaucoup », et attendit, les mains posées sur les genoux comme un petit garçon bien sage. Les entretiens psychiatriques ne sont normalement pas enregistrés, sauf au MPI car on s’en sert pour l’enseignement et la recherche. Ce qui suit est la transcription de cette première séance, avec quelques observations de ma part ajoutées après coup. — Pouvez-vous me dire votre nom ? — Oui. Humour ou réponse naïve ? — Comment vous appelez-vous ? — Prot. C’était un O fermé comme dans « Paule » et non un O ouvert comme dans « Tom ». — Est-ce votre prénom ou votre nom ? — Je n’ai qu’un seul nom : prot. — Savez-vous où vous êtes, monsieur prot ? — Prot, juste prot. Oui, bien sûr, je suis au Manhattan Psychiatric Institute. — Bien. Vous savez qui je suis ? — Un psychiatre, je suppose. — Exact. Je suis le docteur Brewer. Quel jour sommes-nous ? — Ah ! Vous êtes le directeur suppléant. Mercredi. — Quelle année ? — 1990. — Combien de doigts voyez-vous là ? — Trois. — Parfait. Et maintenant, monsieur… excusez-moi… prot, savez-vous pourquoi vous êtes ici ? — Bien sûr : vous me prenez pour un fou. — Je préfère le terme de « malade ». Croyez-vous que vous soyez malade ? — Non, mais j’ai un peu le mal du pays. 8 — D’où êtes-vous originaire ? — K-PAX. — Kaypacks ? — K, trait d’union, P, A, X. K-PAX. — Avec un K majuscule ? — En lettres capitales. — Ah, K-PAX. C’est une île ? Il sourit, visiblement conscient que je savais déjà d’où il prétendait arriver, mais il dit simplement : — K-PAX est une planète. Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas l’intention de jaillir de votre poitrine ! Je souris. — Je n’étais pas inquiet. Où se trouve K-PAX ? Il poussa un soupir désabusé et secoua la tête. — À environ sept mille années-lumière d’ici, dans ce que vous appelez la constellation Lyra. Je devais rapidement me rendre compte que prot mettait des majuscules aux planètes, étoiles, etc., mais pas aux noms de personnes ou d’institutions. J’ai donc choisi dans ce livre d’adopter son point de vue quand je rapporte ses propos. — Comment êtes-vous arrivé sur Terre ? — C’est assez difficile à expliquer… Je notai sur mon carnet qu’à ma grande surprise, et bien que nous n’ayons passé que quelques minutes ensemble, la condescendance de ce patient commençait à m’exaspérer. — Mettez-moi à l’épreuve, prot. — Il s’agit de maîtriser l’énergie de la lumière. Cela peut vous sembler difficile à croire, mais on opère avec des miroirs. Ma première réaction fut qu’il se fichait de moi. Je trouvai la plaisanterie assez drôle. — Vous voyagez à la vitesse de la lumière ? — Oh ! Non, bien plus vite : si elle n’était multipliée par des multiples de C, je serais âgé d’au moins sept mille ans. Je grimaçai un sourire forcé. — Très intéressant. Mais d’après Einstein, rien ne peut voyager plus vite que la lumière, c’est-à-dire 300 000 kilomètres par seconde, si mes souvenirs sont exacts. 9 — Vous n’avez rien compris à Einstein. Il a dit que rien ne peut uploads/Sante/ brewer-gene-k-pax-1-k-pax-l-x27-homme-qui-vient-de-loin-1995-ocr-french-ebook-alexandriz.pdf
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- Publié le Sep 13, 2021
- Catégorie Health / Santé
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