327 L’Autre qui n’existe pas et ses Comités d’éthique Éric Laurent Jacques-Alai

327 L’Autre qui n’existe pas et ses Comités d’éthique Éric Laurent Jacques-Alain Miller Dix huitième séance du séminaire (mercredi 21 mai 1997) *** Jacques-Alain Miller : - J'entrerai plus avant aujourd'hui dans le concept actuel du symptôme, je dis actuel parce que c'est celui que nous nous efforçons de construire, le concept actuel du symptôme dans ses rapports doubles avec la pulsion et avec ce que nous appelons, après Lacan, l'Autre, le grand Autre, quasi mathème qui n'a pas qu'une signification, et qui est un usage. Si je parviens au terme, de ce que je veux dire aujourd'hui, j'aurai donné un éclairage nouveau, précis, et à certains égards capital, à ce à quoi nous nous référons, sous le nom lui aussi chiffré de l'objet petit a. Et après, je suppose dans une séance ultérieure, j'en viendrai au développement qu'appelle ce que j'ai esquissé comme la théorie du partenaire. J'aurais voulu aujourd'hui donner la parole pour commencer à la jeune collègue, qui reçoit en cure la patiente aux personnalités multiples, que j'ai évoquée la dernière fois en dialoguant avec Eric Laurent et après que celui-ci avait utilisé l'ouvrage de Ian Hacking sur le sujet. Malheureusement cela n'est pas possible vu que cette jeune collègue est sur le point d'accoucher et doit limiter ses déplacements. Donc je dirai un mot bref du cas en attendant que cette collègue soit en mesure de nous le présenter elle-même, peut-être avant la fin de cette année. La patiente donc dispose de personnalités multiples, ayant chacune leur prénom et leurs traits de caractère. Elle se présente volontiers munie de la liste de ces personnalités, afin que l'Autre auquel elle a affaire soit en mesure de s'y retrouver. Deuxième symptôme, après la mort de son père est apparue une pratique d'automutilation sous la forme de coupures produisant des saignements. Le père est certainement au centre du cas, c'est depuis sa mort que la patiente se coupe, auparavant elle se contentait de se cogner la tête contre un mur. Les personnalités multiples semblent se rapporter à la pratique incestueuse du père, ce qui a été isolé, classiquement, comme la cause traumatique du trouble. Je précise que les coupures sont toujours le fait d'une personnalité E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique n°18, 21/5/97 328 et la patiente s'en considère comme la victime. En effet, la multiplicité des personnalités n'annule nullement la fonction d'une identité centrale, qu'elle reconnaît comme la sienne, et qui se distingue par le fait de se plaindre des autres et de disposer de leur liste. Cette identité centrale qu'elle reconnaît comme la sienne, elle la désigne d'ailleurs par le second prénom de son état civil, pas le premier. Notre collègue note que les personnalités la remplacent à chaque état d'absence. La patiente connaît des états d'absence et, à ce moment-là, se présente une personnalité. Plus précisément on peut dire que ces personnalités apparaissent et pratiquent à l'occasion des coupures, en réponse à un déplaisir que lui cause l'attitude de l'Autre, le psychiatre, l'infirmière, la thérapeute. Donc la personnalité empruntée au registre du multiple surgit quand elle peut se sentir méconnue, non entendue, mal entendue, contrainte, abandonnée ou laissée tombée. La demande d'amour ou de reconnaissance est ainsi parfaitement isolable ainsi qu'un désir de maîtrise qui se fait jour de façon assez joueuse. Visiblement, elle déroute l'Autre, elle force son attention, elle démontre son impuissance, elle se joue de lui, elle le force, comme elle dit, à capituler. Autant de traits qui inviteraient à faire du cas une forme sévère d'hystérie, si la pratique de l'auto mutilation n'empêchait d'exclure la psychose. Sur la direction de la cure, j'ai dit rapidement la dernière fois l'essentiel, considérer l'apparition de la personnalité comme parasitaire et comme constituant un mode d'expression symptomatique à la disposition du sujet. Donc, inciter le sujet à renoncer à ce mode d'expression et à la jouissance qu'il comporte, comme au bénéfice afférent. Pour ce faire, surtout ne pas se passionner pour les personnalités, manifester quelques négligences aimables à cet endroit, c'est la position que je qualifiais de " benigne neglect (?) ", de négligence bénigne, mettre l'accent sur la situation qui déclenche l'apparition des personnalités, pour obtenir sa formalisation langagière. L'interprétation, à mon sens, est permise à ce niveau seulement, sous la forme " vous avez voulu faire comprendre que ". Autrement dit, elle consiste à tenter d'inscrire petit s de grand A, s(A) le signifié de l'Autre dans le symptôme combiné, personnalité multiple, coupure. Elle consiste à faire passer le symptôme au registre du signifié de l'Autre. Donc ça, dans toute sa généralité, avec cette formule:   s(A) qui nous ouvre d'ailleurs une perspective plus générale sur le symptôme. Dans la mesure où le symptôme est jouissance, on peut E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique n°18, 21/5/97 329 dire qu'il est rapport au plus-de- jouir, que c'est une formule fermée de type autistique et donc on pourrait, au symptôme considéré sur ce versant, affecter une formule construite sur le modèle du fantasme. Et d'une certaine façon ce que j'indique ici est une retranscription de ce qui figure bien connu sur le graphe de Lacan, ceci, (S  a)  s(A) sauf que, évidemment, quand il s'agit du symptôme, on suppose déjà présent le sujet du signifiant, alors que dans les formes extrêmes, autistiques si je puis dire, du symptôme, c'est bien ce qui est problématique.Donc c'est en quelque sorte ici une fonction qui déborde et même peut-être s'oppose à l'existence ainsi marquée du sujet du signifiant. S Voilà en tout cas ce que je voulais dire sur le cas que j'évoquais la dernière fois. Eric Laurent : - Oui, en clarifiant ça, on voit bien l'opposition de la façon de faire recommandée par Hacking qui est " laissez faire l'invention et surtout ne jamais énoncer qu'il ait à renoncer à la moindre jouissance que ce soit, au contraire la faire reconnaître. La façon dont ils veulent inscrire quelque chose dans le signifiant, c'est faire reconnaître simplement cette jouissance là, la jouissance de ses personnalités, en rajouter dans ce registre. Jacques-Alain Miller : - Encourager le sujet dans son invention symptomatique, ce que Lacan appelait nourrir le symptôme. Eric Laurent : - Nourrir le symptôme étant avec cette reconnaissance sociale, son prolongement, de tous ces groupes d'intérêts multiples, aussi multiples que les personnalités en question, si l'on veut, et en effet cela ça oppose clairement deux façons de traiter, deux façons de faire... Jacques-Alain Miller : - C'est évidemment pratiquement très opposé, de savoir si, quand une personnalité se présente, de l'accueillir avec une grande satisfaction, l'interroger sur ses traits particuliers afin de compléter le tableau des personnalités multiples, ou s'ennuyer un petit peu et attendre que l'identité centrale revienne et ne pas établir, ne pas penser que l'investigation clinique ici serait neutre.Se passionner pour la personnologie délirante de la patiente et au contraire marquer ce qu'il faut de distance pour que, au lieu que cette production soit floride, elle devienne un peu plus sèche.On peut dire que - là il faudrait vraiment interroger la collègue - il semble tout de même que le recours à la personnalité multiple ne fasse plus l'essentiel de l'existence de la patiente mais ça reste pour elle, en cas de difficulté E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique n°18, 21/5/97 330 avec l'Autre, le recours le plus prompt. Eric Laurent : - Alors, autre point, là, c'est ce que tu apportes en effet avec ces formules, sur l'interrogation, sur la nature autistique du symptôme, ça permet de réordonner toute une série d'interrogations, dans le mouvement psychanalytique contemporain, à la suite des travaux spécialement des kleiniens, sur l'autisme, soit chez Meltzer ou de Frances Tustin qui voyait avec une forme un peu trop réaliste ou plus exactement trop naturaliste de l'autisme, des noyaux autistiques partout, alors que la véritable question qu'ils posaient, à partir de là s'ordonne, parce que l'effet clinique qu'ils détectaient n'est pas sans intérêt mais, avec cette conception naturaliste de l'autisme, ça donne une sorte de vision un peu comme dans Shine, le film sur ce pianiste autiste, une sorte de généralisation, justement, parmi vos personnalités multiples, il y a un autiste. Ce n'est pas la meilleure façon évidemment de réordonner ces faits. Jacques-Alain Miller : - Alors je voulais dans le fil, disons, que je commence à tendre à partir de la dimension autistique du symptôme, évoquer ce que nous avions pu dire, avec Hugo Freda en particulier, des drogues. Pourquoi est-ce que nous nous y intéressons, parce que c'est un mode de jouir où apparemment on se passe de l'Autre, qui serait même fait pour qu'on se passe de l'Autre et où on fait seul. Bien entendu réservons, mettons de côté, sans l'oublier, qu’en un certain sens le corps lui- même c'est l'Autre, avec un grand A. Mais enfin je crois que je fais saisir quelque chose si je dis simplement, si je répète avec d'autres que c'est uploads/Sante/ cours18.pdf

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  • Publié le Aoû 15, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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