Cahier du « Monde » No 22764 daté Mercredi 21 mars 2018 - Ne peut être vendu sé

Cahier du « Monde » No 22764 daté Mercredi 21 mars 2018 - Ne peut être vendu séparément Burn-out, violences sociales, anxiété… quantité de troubles psychiques sont aujourd’hui assimilés à la dépression. Mieux comprise pour certains, trop médicalisée pour d’autres, cette affection est difficile à circonscrire. Maladie ? Souffrance psychique ou sociale ? Le débat anime psychiatres et sociologues MANUELE GEROMINI catherine mary D épression. C’est le terme utilisé par la médecine contemporaine pour dési- gner cette plongée dans la souffrance psychique que les médecins antiques nommaient mélancolie. Une maladie complexe qui se manifeste par un état de rupture avec l’état habituel de la personne, se traduisant par des troubles psychiques et physiques dont l’insom- nie, l’angoisse, la perte d’appétit ou encore les pen- sées suicidaires. Dans les formes les plus sévères, elle fait peser un risque vital sur la personne, notamment par suicide ou arrêt d’alimentation. Elle touche une personne sur cinq au cours de son existence et l’Organisation mondiale de la santé estime à plus de 300 millions le nombre annuel de dépressifs. Mais si ce nombre n’a cessé d’augmenter (+ 18 % entre 2005 et 2015), des voix s’élèvent pour questionner la légitimité de la médecine à détenir seule un droit de regard sur la maladie. En cause, ses frontières, qui englobent l’ensemble des états dépres- sifs face auxquels le traitement médical – principale- ment les antidépresseurs et les psychothérapies – s’impose comme l’unique réponse. « La dépression est une notion dépassée. De plus en plus, on va vers une déconstruction de ce qu’est ce trouble », affirme le sociologue Xavier Briffault, du Centre de recherche en médecine, sciences, santé, santé mentale et société du CNRS. « Ce qui ressort depuis une dizaine d’années, c’est que le concept de dépression lié à une cause biologique sous-jacente n’existe plus. Différents éléments de la per- sonne incluant des facteurs biologiques, psychologi- ques et environnementaux entrent en compte. Ces éléments interagissent entre eux pour créer un cercle vicieux qui aboutit à la dépression », poursuit-il. Et c’est justement sur cette dimension sociale des troubles dépressifs qu’insistait le sociologue Alain Ehrenberg, en octobre 2016, dans son discours d’inauguration à la tête du Conseil national de la santé mentale. « Les problèmes de santé mentale ne sont plus seulement des problèmes spécialisés, de psy- chiatrie et de psychologie clinique, ils relèvent égale- ment de problèmes généraux, de la vie sociale, qu’ils traversent de part en part. Nous savons bien que, en psychiatrie, l’expression “santé mentale” ne fait pas consensus, mais quel que soit le jugement qu’on porte sur cette situation et l’interprétation sociopolitique qu’on peut en faire, c’est là un fait social », déclarait-il. Il est l’auteur de La Fatigue d’être soi, un livre publié en 1998 (Odile Jacob), qui marqua un tournant dans la prise en considération de ce fait social. Mais sa nomi- nation symbolique n’a pas suffi. En janvier 2018, le Conseil national de la santé mentale a été dissous pour être remplacé par un comité stratégique, dont la composition n’a pas encore été annoncée. →LIRE LA SUITE PAGES 4-5 Dépression Un mal flou à redéfinir Les réfugiés en bonne santé à leur arrivée en Allemagne Des données épidémiologiques montrent que le sida ou l’hépatite B ne sont pas plus fréquents chez les migrants au moment de leur accueil que chez les Bavarois. PAGE 3 Bouger la tête aide à localiser les sons Une expérience allemande montre comment l’évaluation de la distance entre deux sour- ces sonores dépend des mouve- ments de notre corps. Un effet de parallaxe comparable à celui de la vue, en moins performant. PAGE 2 Portrait Sébastien Carassou, un ex-complotiste attiré par les Lumières Ce jeune docteur en cosmologie s’est tourné vers la vulgarisation scientifique après s’être longtemps nourri d’ésotérisme. PAGE 8 2| ACTUALITÉ LE MONDE· SCIENCE & MÉDECINE MERCREDI 21 MARS 2018 Bouger son corps, la clé pour entendre les distances NEUROSCIENCES - Pour identifier le point d’émission d’un son, l’humain ne peut se passer des mouvements de sa tête V ous avez sans doute déjà fait l’expé- rience : fermez un œil et tentez d’allumer une cigarette. Si tout se passe bien, vous échouerez lamen- tablement ; dans le pire des cas, vous vous brûlerez le nez. La raison en est assez simple : pour bien apprécier les distances, nous avons besoin de nos deux yeux. En pointant un même objet, ils permettent à notre cerveau d’évaluer la distance. Rien de similaire avec les oreilles. Si les chats, les chevaux, les cerfs… et les ratons laveurs peuvent bouger leurs organes auditifs, nous autres humains en sommes incapables. Pas question, donc, de viser une source sonore. Comment, dès lors, déterminer la distance d’émission d’un son ? Une équipe allemande vient de répondre à la question dans les Proceedings de l’ Académie des sciences américaine (PNAS). Au terme d’une étude minutieuse, elle a montré qu’il nous suffit de bouger notre corps et plus particulièrement notre tête pour y parvenir. Ainsi énoncée, l’affirmation peut sembler sinon évidente, du moins assez intuitive. Puisque les oreilles ne peuvent pas se déplacer seules, aidons- les. La replacer dans son contexte en donne pour- tant une tout autre portée. Depuis les premiers travaux de John William Strutt (1842-1919), alias Lord Rayleigh, les spécialistes de l’audition ont tenté de mettre en évidence les indices binau- raux, autrement dit ces informations que nous pouvons percevoir indépendamment de la nature du son. Par exemple, nous pouvons dire qu’un son vient de notre gauche parce qu’il par- vient à notre oreille gauche avant d’atteindre notre oreille droite, et avec un volume plus fort. « Nous avons de bons indices binauraux pour la latéralité, mais beaucoup moins pour la distance », explique ainsi Victor Bénichoux, chercheur en neuroscience de l’audition à l’Institut Pasteur. A l’entendre, nous serions donc incapables de per- cevoir les distances sonores. Etrange… Ne distin- guons-nous pas au contraire, sans mal, si notre interlocuteur nous parle de près ou de loin ? « C’est parce que nous connaissons le volume normal de la parole à une certaine distance – 60 décibels à 1 mètre de nous, par exemple, poursuit le scientifi- que. Même chose avec le son d’une ambulance ou tout autre bruit familier. Mais, sans point de repère, si la nature de la source n’est pas clairement définie, nous n’y parvenons pas. » Impossible ainsi de faire la différence entre une émission forte et lointaine et une source faible et proche. L’équipe de l’université Louis-et-Maximilien à Munich a parié sur l’usage du phénomène de parallaxe. Expliqué par Lutz Wiegrebe, le coordi- nateur de l’étude, le principe est assez simple : « Lorsque vous déplacez votre tête sur le côté, la position apparente d’un objet proche bouge davantage que celle d’un objet lointain. » Il a donc voulu voir si, à lui seul, le mouvement d’un audi- teur pouvait lui permettre de détecter la distance de la source sonore. A lui seul… La précision est d’importance. Car notre système auditif dispose d’un indice caché : le ratio entre l’énergie directe et l’énergie réverbérée, autrement dit entre le son émis par la source et celui réfléchi par les murs. « Ce rapport-là, nous le percevons bien », souligne Victor Bénichoux. La seconde énergie, qui résulte des réflexions sur toutes les surfaces réverbéran- tes d’une pièce, est peu dépendante de la distance d’émission. La première y est directement liée. En analysant ce ratio, nous sommes capables d’éva- luer la distance d’une source sonore. Les scientifiques allemands se sont donc placés dans une salle sans aucune réverbération. Et ils ont commencé leur manipulation. Sept sujets ont été ainsi affublés de lunettes noires et instal- lés face à deux sources sonores, l’une aiguë, l’autre grave, afin qu’ils puissent les distinguer. Ils devaient indiquer laquelle leur semblait la plus proche. Immobiles, ils s’en sont révélés inca- pables. Les expérimentateurs leur ont ensuite permis de bouger le haut de leur corps. En pla- çant la source la plus proche à 30 cm et l’autre 16 cm plus loin, les personnes interrogées ont fourni la bonne réponse dans 75 % des cas. Et ce taux n’a cessé de monter tandis qu’augmentait l’espace entre les deux sources. Les chercheurs ont voulu aller plus loin, avec deux expériences supplémentaires. Dans la pre- mière, les sujets ne bougeaient pas eux-mêmes, mais étaient déplacés par les expérimentateurs. Dans ce cas de figure, la distance minimale entre les sources permettant la distinction est repous- sée de 4 cm. Pour la seconde expérience, ce sont les sources qui étaient bougées et non plus l’observateur. Cette fois, la distance minimale de perception est repoussée de 40 cm supplémentai- res. « Certains sujets n’ont pas pu du tout remplir la tâche », soulignent les auteurs de l’article. Bien en deçà de nos capacités visuelles Ces résultats représentent une moyenne. Le meilleur sujet, libre de ses mouvements, est ainsi parvenu à distinguer deux sources séparées de seulement 7 cm. Une performance auditive toute- fois bien en deçà de nos capacités visuelles. L’arti- cle indique en effet que, dans uploads/Sante/ ench.pdf

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  • Publié le Apv 24, 2022
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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