PHARMACOPÉE EXCRÉMENTIELLE DANS LES PAPYRUS MÉDICAUX DE L'ÉPOQUE PHARAONIQUE Cé
PHARMACOPÉE EXCRÉMENTIELLE DANS LES PAPYRUS MÉDICAUX DE L'ÉPOQUE PHARAONIQUE Cécile COUCHOUD L'utilisation des excréments, qu'ils soient humains ou animaux, était très fréquente dans la pharmacopée égyptienne. Cette pratique nous a semblé étonnante chez ce peuple pour qui la pire des abominations était d'être amené à manger ses selles et boire ses urines (Livre des morts). Notre travail a pour base les papyrus médicaux rassemblés dans les Grundriss der Medizin d'H. Grapow et un traité d'ophiologie édité par S.Sauneron. Ces manuscrits sur papyrus sont datés pour la plupart du Moyen Empire et du Nouvel Empire (deuxième millénaire avant JC) mais semblent souvent être des copies de documents plus anciens. Ils sont rédigés, pour la langue, en Moyen Égyptien, en écriture hiéra- tique. Les traitements consignés dans ces papyrus le sont sous la for- me de "recettes de cuisine" où les ingrédients sont cités les uns après les autres avec leur proportion. Nous nous sommes exclusivement in- téressé aux papyrus dont l'un des ingrédients pouvait appartenir aux excréments. LES URINES Trois mots égyptiens (mwyt, wsst, mtwt) tirés des papyrus médicaux sont à discuter dans ce concept. 1) mwyt Ce mot peut être traduit sans équivoque par "urines", il est utilisé dans ce sens dans tous les papyrus médicaux. Il semble également avoir été utilisé dans la littérature non médicale mais sous la forme mwy. Quinze papyrus mentionnent mwyt en tant que drogue. -25 - Les remèdes dont l'un des ingrédients est de l'urine servent pour des pathologies très diverses. On y trouve trois maladies externes loca- lisées : une enflure, une brûlure et une plaie; deux pathologies ocu- laires dont un trichiasis; une maladie du genou; un mal de dents; six maladies n'ont pas été identifiées avec précision. Ces remèdes sont exclusivement utilisés par voie externe sauf dans deux cas où le traitement est versé dans l'anus. Il peut s'agir d'une fu- migation, d'un lavage, d'une onction, d'un bandage ou de façon plus général d'une application. 2) wstt Ce mot n'est utilisé qu'une seule fois. Nous pouvons nous deman- der s'il ne s'agirait pas d'une erreur d'écriture pour un mot s'apparen- tant à wsst ("urine") ? Ou peut-être s'agit-il d'un terme plus général désignant "un écoulement". Le remède est appliqué en bandage sur une enflure. 3) mtwt Ce mot n'est également utilisé qu'une seule fois dans la pharmaco- pée. Classiquement, dans les textes non médicaux, ce terme désigne le "sperme" (verset 317 du Textes des Pyramides) ou un "poison" prove- nant d'un scorpion, d'un serpent {traité d'ophiologie ) ou d'un démon. Or, dans notre papyrus, il est précisé qu'il s'agit du mtwt d'un "jeune homme" et d"'une jeune fille". La traduction de ce terme est difficile et semble devoir rester à un terme général tel que "écoulement". Ce remède traite une épine qui est entrée dans un membre à l'aide de cet "écoulement" appliqué à l'emplacement de la lésion. A noter que, dans deux papyrus sur six traitant de la même affec- tion, le remède comporte l'utilisation de crottes (hsw) d'âne ou de mouche. -26- On relève l'absence dans les papyrus médicaux de l'utilisation du mot sfh qui dans les textes littéraires peut servir d'euphémisme pour désigner les urines. A noter également l'absence du mot wsst qui, classiquement, dé- signe les urines. LES FECES Quatre termes sont à discuter dans le contexte de cette recherche (hsw, s3w, k3yt, ryt). 1) hsw Ce mot fréquemment utilisé dans les papyrus médicaux, désigne les matières fécales. Il sera traduit par le terme de "selles". C'est le mot hsw qui est utilisé lorsqu'on parle de l'évacuation des selles et des urines. On le retrouve également dans les textes littéraires; hsw est men- tionné soixante et onze fois dans cinquante-neuf papyrus. Les matières fécales ainsi dénommées sont d'origine très variée puisque l'on compte vingt-deux origines différentes puisées essentiel- lement dans le monde animal. L'utilisation la plus fréquente revient aux crottes de mouche qui sont mentionnées quatorze fois. On peut s'étonner de la faible utilisation des urines animales com- parée à la fréquente utilisation des selles animales. Une explication, peut-être un peu simpliste, pourrait tenir compte de la difficulté du re- cueil des urines sur un animal sauvage, l'âne en revanche étant un ani- mal plutôt paisible et vivant proche des habitations humaines. A nouveau, les pathologies bénéficiant de cette drogue sont très va- riées. On retrouve dix-sept cas de maladie externe type plaie, brûlure, enflure et épine; onze cas de morsure de serpent; deux cas de problè- me gynécologie-obstétrique (une contraception; un avortement); cinq pathologies de l'œil; quatre cas de maladies touchant les vaisseaux; un calmant pour un enfant qui hurle et un traitement néonatal; quatre ma- ladies internes; trois affections des cheveux ou des poils; et sept cas de maladies non identifiées avec précision. -27 - Ainsi que pour les urines, les selles sont utilisées essentiellement dans des remèdes externes : bandage, onction, application externe, fu- migation. Mais, dans deux cas il s'agit d'un remède intravaginal et dans deux autres cas d'une boisson. 2)s3w La signification de ce mot est controversée, mais il nous semble qu'il s'agit également de selles, en particulier dans les papyrus médi- caux. Son emploi est beaucoup plus rare que hsw mais il intervient dans le même contexte de la pharmacopée. On note cependant qu'il n'est utilisé que pour désigner une drogue et non dans la description des maladies. s3w est mentionné dans cinq papyrus. Les indications thérapeutiques sont : deux pathologies externes (brûlure et plaie); deux pathologies obstétricales et un tremblement. L'utilisation de ces remèdes est toujours externe : application, ban- dage, fumigation. 3 )k3yt Ce mot est utilisé deux fois avec comme déterminatif la pustule. Sa traduction est également incertaine. Nous pouvons nous deman- der si son origine n'est pas dans k3w "nourritures". A noter que ce mot n'est jamais mentionné dans les papyrus médicaux en dehors de la pharmacopée. Dans un cas, le remède est appliqué sur la place d'un cil (trichiasis) qui a été enlevé afin qu'il ne repousse pas. Dans le deuxième cas, deux modes d'emploi sont proposés. L'un utilise un bandage de l'œil, l'autre l'instillation du remède dans l'œil (collyre ? ), ceci avec le tuyau d'une plume de vautour. La maladie vi- sée n'est pas clairement identifiée, car seulement qualifiée par le terme égyptien signifiant "trouble". Le mot h3ty serait à rapprocher de h3tyw η hh "halo d'une flamme"et de h3ti "obscurcissement du ciel". -28- 4) ryt La traduction exacte de ce mot est difficile à déterminer. Dans le cadre général des papyrus médicaux, il désigne le "pus" et est fréquemment mentionné dans diverses pathologies. Par contre, en tant que drogue, ce mot n'est utilisé qu'une seule fois. Sa traduction par "excrément" de chat tient compte d'un parallèle qui emploie des selles de chat (hsw miw). Doit-on le rapprocher du mot ryt désignant "l'encre, la couleur" ? Le remède est utilisé comme bandage pour repousser une obstruc- tion dans l'estomac. Trois mots rencontrés dans les textes littéraires peuvent être utilisés dans le sens de "selles" dans certains contextes : bwt signifiant "aver- sion"; hw33t signifiant "décomposition, pourriture" mais pouvant éventuellement être traduit par "selles" dans le contexte du Livre des Morts ; et htp-k.3 qui semble également être utilisé comme euphémis- me pour les "selles" dans le Livre des Morts. Ces mots ne sont pas utilisés dans le cadre des papyrus médicaux. APERCU HISTORIQUE Les papyrus que nous avons analysés plus haut datent du Moyen et du Nouvel Empire mais sont probablement d'inspiration plus ancien- ne. Nous retrouvons ici une des caractéristiques égyptiennes qui est l'extraordinaire conservation du savoir à travers 3000 ans d'histoire. Caractéristique qui a peut-être été l'obstacle à une évolution réelle- ment scientifique de la médecine. Trop de respect des ancêtres, pas as- sez d'esprit critique ? Toujours est-il que de ce fait, il n'y a pas ou peu de tentative d'explication des propriétés des différents ingrédients. A la même époque, la pharmacopée excrémentielle était également développée dans d'autres pays, en particulier en Mésopotamie. La première innovation de la médecine sur le sol égyptien semble venir des Grecs, en particulier de ceux qui se trouvaient à Alexandrie. Il est probable que le système égyptien et le système grec ont cohabi- té, mais on peut imaginer qu'il existait des échanges d'informations. -29 - D'autant que cette époque est marquée par une grande activité d'ex- ploration du passé médical de la part des médecins grecs. Qu'en est-il de l'utilisation des excréments dans la pharmacopée ? Cette pratique est attestée déjà dans la médecine grecque préalexandrine. Hippocrate (460-377 av. JC), par exemple dans "Des maladies des femmes, I", uti- lise de la bouse de vache pour faire venir les règles ou de la fiente de pigeon contre la calvitie. Mais il semble que cet usage se soit dévelop- pé au contact des Égyptiens ainsi que l'on peut le voir dans les écrits d'Hérophilus (330/320-260/250 av. JC). Nombreux sont les autres exemples de recettes grecques à forte inspiration égyptienne. Pour les Grecs, il semble que les urines et les selles correspondent au stade ul- time de uploads/Sante/ loret-0990-5952-1993-bul-7-p25-38.pdf
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- Publié le Sep 08, 2022
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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