Prise en charge nutritionnelle du patient hospitalisé dans le service des soins

Prise en charge nutritionnelle du patient hospitalisé dans le service des soins intensifs à l'hôpital Erasme Jean-Charles Preiser, Marianne Devroey, Olivier Lheureux Université Libre de Bruxelles, hôpital Universitaire Erasme, service des soins intensifs, route de Lennik 808, 1070 Bruxelles, Belgique Correspondance : Jean-Charles Preiser, Université Libre de Bruxelles, hôpital Universitaire Erasme, service des soins intensifs, route de Lennik 808, 1070 Bruxelles, Belgique. Jean-Charles.Preiser@erasme.ulb.ac.be Disponible sur internet le : 27 novembre 2019 Mots clés Agression Réanimation Stress Nutrition médicale Déglutition Résumé La prise en charge métabolique et nutritionnelle du patient de réanimation fait partie des priorités et nécessite une collaboration multidisciplinaire systématisée et facilitée par l'utilisation d'arbres décisionnels. Notre politique prévoit une augmentation progressive des apports nutritionnels, selon la tolérance du patient, au vu des effets délétères d'apports excessifs en phase aiguë. La gestion de la glycémie et le dépistage des troubles de déglutition sont réalisés selon une procédure de routine. L'enseignement des altérations métaboliques et nutritionnels est réalisé au travers de cours, séminaires pratiques et via l'édition d'ouvrages didactiques. La recherche clinique comporte un volet d'évaluation des pratiques par audit local ou international, des tests et validation de nouveau matériel et la participation à des études interventionnelles multicentriques et à des études physiopathologiques. Keywords Stress Intensive care Critically ill Medical nutrition Swallowing Summary Nutritional management of the patient hospitalised in the department of intensive care of the Erasme university hospital in Brussels The metabolic and nutritional management of the critically ill patient hopitalised in an intensive care unit is a priority and requires a systematic multi-disciplinary collaboration supported by decision trees. Our policy implies a progressive increase of the nutritional intakes according to the patients' tolerance to prevent excessive intakes during the acute phase of critical illness. The management of blood sugar and the screening of swallowing disorders are routinely performed using a standardised approach. The teaching of the metabolic and nutritional aspects of critical illness is performed via seminars and educational books. The clinical research includes local and international audits of clinical practice, assessment and validation of new equipment and participation in large multi-centre interventional and pathophysiological studies. tome 6 > n81 > janvier 2020 https://doi.org/10.1016/j.anrea.2019.10.006 © 2019 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 54 Article spécial Anesth Reanim. 2020; 6: 54–58 en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/anrea www.sciencedirect.com Introduction L'intérêt pour la nutrition des patients hospitalisés en soins intensifs ou en réanimation est actuellement croissant, notam- ment en raison des résultats inattendus d'études intervention- nelles, qui ont fait grand bruit. À l'hôpital Erasme, la nutrition et de manière plus générale les répercussions métaboliques de l'agression ont toujours suscité un intérêt de la part de tous les soignants. Historiquement, le service des soins intensifs a tou- jours été actif au sein de l'équipe de nutrition de l'hôpital (équivalent des unités transversales de nutrition des hôpitaux français) créée dans les années 1990 à l'initiative du Professeur André Van Gossum, gastro-entérologue et pionnier dans le domaine de la nutrition. Un ou deux médecins « intensivistes » (= réanimateurs) et au moins un infirmier ont toujours participé aux réunions de ce groupe dont la coordination est actuellement assurée par le Professeur Jean-Charles Preiser. Depuis le début des années 2010, le bon sens populaire, appuyé par les données d'études observationnelles qui démontrait une corrélation positive entre apports calorico-azotés et devenir du malade [1–3], reposait sur le raisonnement : « plus = mieux ». Les associations décrites par différents groupes entre accroisse- ment des complications et dette calorique (apports – dépenses) et/ou protéique cumulées au cours du séjour appuyaient les recommandations d'apports caloriques et protéiques élevés aussi tôt que possible, en vue de limiter cette dette et d'atténuer la négativité du bilan calorico-azoté. Ces notions ont été récem- ment contredites par de grandes études prospectives randomi- sées contrôlées qui ont démontré un accroissement de l'incidence de complications chez des patients qui recevaient des apports nutritionnels plus importants en phase aiguë [4–6], alimentant controverses et discussions passionnées [7]. Les données expérimentales et pré-cliniques concordent à démon- trer un effet délétère d'apports calorico-azotés de plus de 70 % des dépenses ou pertes via différents mécanismes [7,8]. Ces éléments cliniques et expérimentaux se sont traduits par des modifications et adaptations des pratiques au chevet du malade. Au chevet du patient En pratique, tout patient admis dans le service des soins inten- sifs est évalué selon l'acronyme « FAST-HUG » [9]. En particulier, le F (feeding) implique un questionnement systématique sur la capacité du patient à s'alimenter [10]. Si la réponse est positive (patient conscient, pas de problème de déglutition, pas de contre-indication à la nutrition orale), un plateau-repas lui est apporté et l'assistance d'un aide-soignant ou de la famille est éventuellement sollicitée. Le service de diététique assure la transmission de la commande et la conformité au régime ali- mentaire habituel du patient. Le passage du diététicien est quotidien en semaine. Le week-end, c'est l'infirmier respon- sable du service qui transmet les commandes de repas en cuisine. Si le patient n'est pas capable de s'alimenter, nous appliquons une prise en charge systématique [10]. En l'absence de contre- indication, une nutrition entérale précoce (démarrée au cours des 48 premières heures de l'admission) est instaurée et le débit est adapté progressivement selon la tolérance du patient. Cette approche a fait l'objet d'une validation par une étude de pra- tique « avant-après » [9]. La position du patient (élévation de la tête du lit à 45 8) est vérifiée, notamment à chaque changement de service infirmier [9]. Nous utilisons préférentiellement des sondes naso-gastriques en polyuréthane de petit calibre afin de limiter le risque d'inconfort et de lésion de la sphère ORL. La voie oro-gastrique est rarement utilisée. Nous utilisons systémati- quement des pompes volumétriques pour l'infusion de la solu- tion, et la stratégie d'un débit de rattrapage après interruption de la nutrition entérale n'est pas couramment appliquée. Le mode de perfusion continu est privilégié au début de l'hospi- talisation, puis un mode cyclique nocturne est parfois utilisé plus tardivement, lorsque le patient récupère la capacité à s'alimen- ter. Nous proposons également des compléments alimentaires lorsque les ingesta sont jugés insuffisants. Le choix des solutions de nutrition entérale est volontairement limité, et nous utilisons en première intention une solution polymérique normocalorique et modérément hyperprotéinée. L'utilisation de solutions hypercaloriques/hyperprotéinées est réservée à la phase de convalescence, afin de réduire le volume infusé en cas de trouble de la vidange gastrique. L'utilisation de solutions semi-élémentaires est réservée aux cas d'insuffisance pancréatique exocrine ou biliaire. Lorsque nous anticipons une durée de nutrition entérale de plus de quatre semaines, nous demandons la pose d'une gastrostomie percutanée par voie endoscopique, avec extension jéjunale en cas de trouble de vidange gastrique. Grâce à la collaboration fructueuse et à l'ef- ficacité des endoscopistes, la pose est en général réalisée rapidement, sous anesthésie locale ou générale. La perfusion de la solution entérale est débutée en général le lendemain de la pose, après test par perfusion d'eau pendant 24 heures. En cas d'intolérance persistante à la nutrition entérale sous forme de vomissements, nous instaurons des prokinétiques (alizapride en première intention, ajout d'erythromycine si insuffisant). La prescription d'une nutrition parentérale seule ou de complément est réservée aux situations d'intolérance persistante ou de contre-indication à la nutrition entérale, d'une durée supérieure à cinq jours. De même, nous interrom- pons les nutritions parentérales des patients qui en recevaient dans leur service d'origine, au vu de la balance risque/bénéfice probablement défavorable en situation d'agression aiguë. Nous utilisons des poches de nutrition parentérale « all-in-one » et les oligo-éléments, électrolytes et vitamines sont ajoutées sous flux laminaire dans une unité dédiée de la pharmacie. En cas de nutrition parentérale exclusive, nous prescrivons de la glu- tamine sous forme de dipeptide intraveineux pour une durée de cinq jours consécutifs. Prise en charge nutritionnelle du patient hospitalisé dans le service des soins intensifs à l'hôpital Erasme tome 6 > n81 > janvier 2020 55 Article spécial Le contrôle de la glycémie fait l'objet d'une attention particulière (voir paragraphe « activités scientifiques et de recherche »). Au chevet du patient, nous utilisons un schéma dynamique d'insu- linothérapie intraveineuse, avec une cible glycémique de 90– 150 mg/dL (5–7,8 mmol/L). Ce schéma développé localement est accessible via le réseau informatique au lit de chaque patient, propose un débit d'insuline et un délai avant contrôle glycémique suivant. Les glycémies sont mesurées via l'analy- seur de gaz sanguins, à partir d'un échantillon artériel ou vei- neux central. Le traitement par insuline est administré par voie sous-cutanée une fois que le patient se réalimente. Les troubles de déglutition et les problèmes de dysphagie sont fréquents et souvent sous-estimés. En effet, la mise en place des dispositifs destinés à protéger les voies respiratoires (sonde d'intubation, canule de trachéotomie, sonde nasogastrique) lors de la ventilation mécanique modifie le déroulement de la déglu- tition. Les altérations les plus souvent rapportées sont le retard au déclenchement du réflexe de déglutition, le défaut d'élévation laryngée, une perte d'efficacité de la toux. Ces perturbations peuvent entraîner un retard à uploads/Sante/ pec-nutritionelle.pdf

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  • Publié le Dec 07, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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