Insaniyat n°s 57-58, juillet - décembre 2012, p. Algérianité et onomastique. Pe
Insaniyat n°s 57-58, juillet - décembre 2012, p. Algérianité et onomastique. Penser le changement : une question de noms propres ? Farid BENRAMDANE* Nous proposons de penser le changement à partir des données onomastiques. L’onomastique est la science des noms propres ; ses domaines de recherche les plus connus restent la toponymie (les noms de lieux) et les anthroponymes (les noms de personnes), auxquels nous pouvons associer les noms de tribus, de peuplement, de cultes, de reliefs, de voies de communication, etc. Parler des noms propres, c’est ressusciter des rapports historiques, réveiller et renaître des ressorts culturels, symboliques, identitaires enfouis et intériorisés dans la mémoire collective. C’est, en même temps, attribuer, de manière consciente ou inconsciente, une dimension très socialisée, voire historicisée, à un espace et à une population, forgés du point géographique et événementiel, par de forts re/positionnements historiques, géopolitiques et identitaires, de colonisation/ décolonisation/ recolonisation, donc, d’occupation/ libération/ réoccupation des lieux et des territoires, et par conséquent, de leurs re/dé/nominations. Nous rattacherons cette thématique à la problématique du changement de la question culturelle dans ses déclinaisons symboliques, institutionnelles et fonctionnelles, aussi bien économiques, administratives, commerciales que sécuritaires, au travers de lectures d’un type de représentations mentales onomastiques façonnées par la praxis historique ainsi que par un mode d’intervention langagier structurant : une société à tradition orale, plurilingue et multilingue du point de vue synchronique et diachronique. * Université Ibn Badis - Mostaganem, chef de division « Toponymie » / Unité de recherche RASYD, CRASC, Oran. Farid BENRAMDANE Quel est le degré de pertinence référentielle des institutions nationales par rapport à la continuité spatio-temporelle de l’identité onomastique véhiculée par les noms propres, la connaissance patrimoniale et l’intelligence des principes de réinterprétation des faits de culture, de société et de dé/ nomination, et de leur intégration dans un processus de changement du pays ? En effet, les champs de l’activité humaine, pour leur simple identification, sont tissés par des millions de noms dits « propres », qu’il s’agisse de patronymes, de prénoms, d’ancêtres éponymes, de télécommunications, de médias étrangers, de sécurité aérienne et maritime, d’état civil, de banques, de renseignements, de cartographie, de transport international, de tourisme, que d’œuvres de fiction, littéraire ou filmique, de sobriquets ou de pseudonymes, de noms de compte ou de mots de passe. Le domaine des noms propres et sa gestion n’ont pas un intérêt uniquement scientifique ou culturel, mais ils relèvent de la plus haute importance pour le fonctionnement et la gestion d’une société. Ils relèvent, à la fois, d’enjeux « quantitatifs » et « qualitatifs »1, que ce soit, aussi bien, dans la pérennité des faits de société et de culture que dans l’insertion des entités nommées dans le concert mondialisé des hommes et des biens. Les dimensions transfrontalière et transnationale se heurtent, en dépit d’un processus d’anglicisation des dénominations autochtones dans les carrefours de l’information, aux propriétés patrimoniales et identitaires de l’onomastique, et de la toponymie, « reflet et mémoire des sociétés qui l'ont produite et conservée2 ». Effectivement, si on interroge l’identité algérienne et/ou maghrébine, dans une perspective de changement, à partir des données onomastiques, la question de la formation des noms propres et notamment, celle des noms de famille (ou patronymes), est inévitable, actuellement, eu égard au degré de dysfonctionnements linguistiques, sources de dérèglements généralisés à l’échelle de la société, dont souffrent jusqu’à présent aussi bien les concitoyens que les institutions de ce pays3. La numérisation des documents d’identité, à traitement biométrique, donnent une dimension exponentielle à cette problématique. Quant à la toponymie et à sa normalisation internationale, elle relève, depuis une quarantaine 1 Dorion, H. (1994), (avec la collab.) de Poirier, J., Vallières, A., et Richard, M., « La toponymie : un patrimoine menacé ? » in Langue nationale et mondialisation : enjeux et défis pour le français, Actes du Séminaire, Québec, Éditions du Conseil supérieur de la langue française. . 2 Ibidem. 3 La presse écrite rapporte de manière régulière le nombre de requêtes de modifications formulées par les citoyens quant à l’écriture de leurs noms. Algérianité et onomastique. Penser le changement: une question de noms propres ? d’années, de la négociation entre Etats4, en raison des enjeux qu’elle renferme sur le plan géopolitique et géostratégique, notamment sur le plan sécuritaire. Nous soumettons à notre réflexion, dès lors, les enjeux, les actions, les projections liés à la conception de la diversité linguistique et culturelle de l’Algérie et ses implications sur son développement durable, à partir d’un questionnement sur la réalité ou le degré de réalité d’une modalité linguistique précise (la dé/nomination) dans ses dimensions aussi bien anthropologiques qu’institutionnelles au travers de ses déclinaisons les plus fonctionnelles. Quelle est la place et l’importance des ancrages territoriaux et à leurs diversités référentielles culturelles, par rapport aux dis/continuités spatiotemporelles de type identitaire à dominante onomastique dans la conception d’une « modernité autocentrée5 ». Ce type de précaution méthodologique devient incontournable, dès lors qu’interroge la pertinence de l’objet que nous estimons analyser, et la position du problème que nous tenterons de construire au travers des concepts usités, des ancrages de type linguistique et anthropologique et leur relative temporalité : « il faut donc englober, dans notre problématique, les justifications et les pratiques qui découlent des approches patrimoniales ; on constate, par exemple, que ce souci de défense du patrimoine peut à la fois justifier une politique libérale qui ignorerait les processus antérieurs d’imposition d’une langue et les politiques de récupération linguistique6 ». L’objectif de la réflexion sur le changement, dans ce domaine, est la difficulté de restituer à travers notre approche des faits de langue et de dé/nomination, un visée spécifiquement historique, à l’effet de réunir deux domaines, à la fois de connaissance et d’intervention, dans le traitement de l’onomastique locale, « où il n’existe ni données pures, ni données parfaitement objectives. Seul l’examen du cadre épistémologique limite le risque de confusion entre données perceptives et données du problème7 ». 4 Bulletin GENUNG (Groupe d’experts des Nations Unies sur les noms géographiques), New York, Imprimé aux Nations Unies, Organisation des Nations Unies, 2001. 5 Djeghloul, A. (1984), Éléments d’histoire culturelle, Alger, ENAL, p. 145. 6 Guillorel, H. (2008), (dir.), Toponymie et politique. Les marqueurs linguistiques du territoire, Bruxelles, Éd. Bruylant, p. 5. 7 Siblot, P. (1999), « Appeler les choses par leur nom. Problématique du nom, de la nomination et des renominations », in Akin, S. (dir.), Noms et re-noms. La dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires, (Coll. Dyalang), Rouen, Publications de l’Université de Rouen-CNRS, p. 14. Farid BENRAMDANE Modernité onomastique et refoulé historique Deux types d’entrées sont possibles : - Celle d’une perception du changement dans une optique institutionnelle, et l’on verra l’Etat civil, à titre d’exemple, comme un simple service administratif, - Ou celle qui privilégie une approche multidimensionnelle, et on verra cette institution comme étant le dépositaire de la généalogie d’une société, dont « la filiation est établie depuis la plus haute antiquité »8. Forcément, l’on évoquera un système de nomination traditionnel au travers des noms de lieux, de tribus, de personnes, de saints, etc., à leurs lignages et à leurs lointaines généalogies, séculaires, voire plusieurs fois millénaire, pour montrer en fin de parcours, la gravité du déficit identitaire contenu dans les noms de famille, conséquences in /conscientes et dévastatrices, opérées par la pense coloniale française. « Il nous semble que, dans une société en crise comme la nôtre, il s’agit moins prioritairement de s’attarder à penser un futur, à (ré) inventer une modernité que de réactualiser des tranches du passé « refoulé ». Question cruciale, périlleuse diront d’autres, néanmoins incontournable si nous imaginons un instant que l’état civil actuel continue la représentation mentale de la filiation coloniale française. Il est même la représentation symbolique de la non-filiation, cristallisée par deux paradigmes de refondation, à la même période, de la personnalité algérienne par l’administration et l’armée françaises coloniales, la Terre et la Personne : le Senatus Consulte et la loi sur l’Etat civil (1882)9 ». Deux faits méritent d’être soulignés. Premièrement, la nomination dans cette région du monde l’Algérie et/ou le Maghreb (l’Algérie est une unité politique, le Maghreb est une unité anthropologique) restitue une totalité irréductible de données de fonds sociologiques, démographiques, symboliques et linguistiques structurant une société dans la pluralité de son patrimoine historique et de ses parcours identitaires et culturels (libyque, berbère, punique, latine, arabe, espagnole, turque, française etc.), de ses croyances religieuses et mystiques (païenne, juive, chrétienne, musulmane), de ses dimensions africaines aussi. 8 Lacheraf, M. (1998), Des noms et des lieux. Mémoires d’une Algérie oubliée, Alger, Casbah Éditions, p. 178. 9 Benramdane, F. (2000), « Qui es-tu ? J’ai été dit. De la destruction de la filiation dans l’état civil d’Algérie ou éléments d’un onomacide sémantique », in Insaniyat, n° 10, p. 79. Algérianité et onomastique. Penser le changement: une question de noms propres ? Deuxièmement, l’observation, sur la très longue durée, de ces faits de culture, au travers de ses noms propres, témoins fidèles et irrécusables, nous apprend à nuancer les certitudes du jargon politique dominant de ce qu’il uploads/Societe et culture/ algerianite-et-onomastique.pdf
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- Publié le Dec 02, 2022
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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