AMADOU HAMPATE BA, UN TEMOIGNAGE Bintou Sanankoua Résumé Amadou Hampaté Ba est

AMADOU HAMPATE BA, UN TEMOIGNAGE Bintou Sanankoua Résumé Amadou Hampaté Ba est une figure majeure de traditionaliste et d’humaniste africain du XXème siècle. Ce texte, écrit essentiellement à partir de souvenirs personnels et de conversations directes avec lui et certaines personnes de son environnement familial, montre le parcours atypique et le combat secret d’un homme hors du commun, à la recherche de ses racines. Ecrivain, homme politique et diplomate, chef spirituel et religieux, philosophe, traditionaliste, le texte montre comment Amadou Hampaté Ba est devenu tout cela à la fois, comment il a vécu les violences et l’injustice du colonialisme français et comment il a retrouvé ses racines grâce à la tradition orale. C’est la tradition orale qui le réconcilie avec lui-même, lui permet de se réinsérer, selon les normes, dans une société peule d’où l’avaient éjecté les violences des guerres coloniales. Le texte montre comment ce parcours fait de lui le défenseur acharné des cultures, traditions et langues africaines qui a su admirablement utiliser la tribune de l’UNESCO à cet effet. AMADOU HAMPATE BA, UN TEMOIGNAGE Ma présentation n’est pas une communication à proprement parler, comme le souhaitaient les organisateurs, mais plutôt un témoignage. Je témoigne ici en tant que fille, au sens africain du terme. Je suis arrivée chez A. H. Ba à son domicile bamakois de Médine en 1958, et je n’en suis jamais pratiquement partie, malgré une carrière professionnelle et une vie de famille indépendantes à partir de 1970. Je l’ai côtoyé de très près pendant toutes ces années, vécu avec lui dans toutes ses résidences, beaucoup discuté avec lui sur des sujets divers. Pendant mes années de collège, nous étions trois adolescentes chez lui 1 auxquelles il s’intéressait particulièrement. Coumba Cissé, qu’il appelait Napoléon, était la fille de son ami Ousmane Cissé. Forte personnalité, en rébellion constante contre les conventions traditionnelles, elle trouvait toujours une oreille attentive et compréhensive auprès de A. H. Ba. Il appelait Gabdo Thiam, la fille de son frère Sékou Thiam, la reine d’Angleterre. Gabdo Thiam était très belle et particulièrement choyée par Kadidia que tout le monde appelait Poulo1, la mère de A. H. Ba et sa grand’mère, qui lui passait toutes ses caprices. Il m’appelait moi, la fille de son ami médecin Mamadou Sanankoua, la reine de Hollande. Je n’ai jamais pensé à lui demander pourquoi. Sur les trois filles qu’il avait à l’époque, Kadia Ba, l’aînée de tous ses enfants, Fanta Ba et Ami Ba, seules les deux dernières ont été scolarisées, mais très vite déscolarisées. Il s’intéressait particulièrement aux filles sous sa tutelle qui partaient à l’école. Il aimait dire à ses visiteurs non africains qu’il avait des reines chez lui. Je ne sais toujours pas pourquoi il m’a toujours appelé la reine de Hollande. Un heureux hasard me donne l’opportunité de parler de lui ici en Hollande. Le fait que je sois la seule fille de sa maison à faire des études universitaires a sans doute contribué à faire de moi sa « fille préférée ». Je témoignage ici en tant que telle. La source de tout ce que je dirai sera tirée de mes conversations avec lui, des archives en ma possession que j’ai directement obtenues de lui ou d’Hélène2, ou des conversations avec mon frère Thierno Ba, son fils marabout, homonyme de son maître vénéré, Thierno Bokar Saliou Tall. Je pense que ce témoignage de tradition orale a sa place dans notre workshop. 1 C’est à Bougouni, que les Bamanan ont appelé Kadidia Poulo, en référence à son ethnie peule. Cette appellation lui restera même après son retour chez elle. Nous l’appellerons dans ce texte indifféremment Kadidia ou Poulo. 2 Hélène Heckmann que nous appelions à la maison tantie Nouria, était pour nous la femme toubab de A.H.Ba. Elle habitait 5, rue Impasse Thoréton dans le 15ème arrondissement à Paris, où il habitait quand il venait en France. C’est elle qui servait d’interlocuteur à ceux qui s’intéressaient à ses travaux. Il la désigne son légataire testamentaire pour l’ensemble de sa production intellectuelle. C’est elle qui fait publier à titre posthume AMKOULLEL, L’ENFANT PEUL, et OUI MON COMMANDANT dont les manuscrits étaient déjà prêts, chez Actes Sud en 1992 et 1994. Elle contribuera à travers conférences, débats, interviews et Le Cercle des Amis de A.H.Ba, l’association qu’elle à créée avec d’autres amis à honorer et perpétuer sa mémoire. 2 Parler de A. H. Ba est une entreprise à la fois facile et difficile, dans tous les cas, importante pour moi. Facile parce que l’homme lui-même a beaucoup parlé, parlé à beaucoup de personnes de milieux divers, parlé sur beaucoup de sujets, parlé de lui-même, donné beaucoup de conférences et d’interviews, beaucoup écrit, y compris sur lui-même. Beaucoup d’auteurs et de chercheurs ont écrit sur lui ou l’ont commenté. Ses biographies existent. Les sources le concernant sont donc abondantes et disponibles. En même temps c’est très difficile de percer la ou les différentes personnalités de A. H. Ba. Il est le produit et la synthèse des différentes expériences qui ont été la sienne et qu’il est très difficile de décloisonner. C’est un homme au parcours atypique, un ““informel’’ en quelque sorte. L’histoire personnelle de A. H. Ba est un concentré de l’histoire de l’occupation toucouleur du Macina, marquée par des guerres fratricides et des drames familiaux. Le Macina est cette zone du delta du Niger où les Peuls ont fondé en 1818 la Dina, un état théocratique, créé au nom de Dieu et régi selon les prescriptions islamiques. Hamdallaye en était la capitale. L’Etat peul est attaqué et vaincu par El Hadj Oumar Tall, un Toucouleur du Fouta Toro qui avait levé l’étendard de la guerre sainte. Il occupe Hamdallaye en vainqueur en 1862 et fit construire de force une impressionnante fortification, un tata. Les Peuls, exaspérés par la dureté de l’occupation entrent en rébellion et assiègent Hamdallaye fortifiée, avec l’aide d’une armée des Kounta, les représentants de la qadiriya dans la région. El Hadj Oumar envoie Tidiani3, son neveu, chercher du renfort auprès des Dogons. A son retour, Tidiani trouve Hamdallaye en flammes, désertée par El Hadj Oumar. Une furie destructrice s’empare de lui. Il ordonne l’exécution de tous les mâles (y compris les enfants) des grandes familles apparentés à Sékou Amadou, le fondateur de la Dina. Hampaté Ba, le père de A. H. Ba, aurait dû être tué en même temps que les quarante membres de 3 Tidiani finit par vaincre la coalition Peul-Kounta, devient le successeur de El Hadj Oumar, installe la capitale des Toucouleurs à Bandiagara et mène une répression terrible contre les Peuls. 3 sa famille exterminés. Il a eu la vie sauve parce qu’il était absent. Il avait douze ans et dut vivre caché sous l’identité d’un fils de boucher. Il échappe une seconde fois à la mort quand Tidiani, poursuivant toujours sa politique de vengeance contre les Peuls, décide de l’épargner après avoir découvert sa véritable identité. Comme un homme prédestiné ou destiné à mettre au monde un prédestiné, Hampaté Ba survécut à toutes les vicissitudes de l’occupation toucouleur. Il se marie avec une femme peule et donne naissance à trois enfants, une fille et deux garçons. Amadou H. Ba, le benjamin, est le seul qui atteindra l’âge adulte. L’aînée, la fille, Gabdo, meurt à six mois. Le puîné, Hamandoun, sera brutalement arraché à la vie à quinze ans. Les deux garçons deviennent orphelins de père quand Amadou n’avait que trois ans. Leur mère, Kadidia, épouse en secondes noces un Toucouleur, Tidiani Amadou Thiam, qui deviendra chef de la province de Louta4 à la mort de son père. Dans la tradition peule, l’enfant appartient à sa famille paternelle et ne doit la quitter sous aucun prétexte. Le destin décide autrement pour le jeune Amadou. L’extermination de toute sa famille paternelle le prive de cette protection qui sera assurée par Beydari, un captif de Hampaté Ba qui jouera le rôle de père pour ses deux orphelins. C’est cette situation particulière qui permet à Kadidia, la mère de Amadou de l’amener avec elle chez son nouveau mari, Tidiani Amadou Thiam, un Toucouleur, c’est à dire le vainqueur impitoyable des Peuls. Ils partaient de surcroît loin de Bandiagara, la ville paternelle. Contrairement à toute attente et à la tradition, son père5 le désigne comme successeur, malgré son jeune âge. Situation inacceptable et inexplicable en dehors des effets perturbateurs de la colonisation sur les sociétés africaines. Par un autre pied de nez du destin, la trajectoire de A. H. Ba sera tout autre. Tidiani Amadou Thiam est destitué de la chefferie à la suite d’une révolte populaire dont l’administration coloniale le rend responsable. Il est jugé selon des dispositions 4 Province située à l’ouest de Bandiagara, dans une zone qui se trouve aujourd’hui dans le nord est du Burkina Faso. 5 Chaque fois que nous parlerons du père de A. H. Ba sans autre précision, il s’agira de Tidiani Amadou Thiam, le second mari de sa mère qui l’aima et l’élèvera comme son vrai fils. 4 coloniales, condamné à l’exil et à une peine uploads/Societe et culture/ amadou-hampate-ba-4.pdf

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