ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL RENÉ GUENON et l'actualité de la pensée traditi

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL RENÉ GUENON et l'actualité de la pensée traditionnelle Sous la direction de René ALLEAU et Marina SCRIABINE (Cerisy-la-Salle : 13-20 juillet 1973). NADJMOUD-DINE BAMMATE DISCOURS INAUGURAL Pour René Guenon, la vérité s'impose par elle-même, de par sa propre évidence intellectuelle. Aucune place n'est laissée à la force persuasive d'un individu, à l'habileté dialectique d'un auteur. Rien ne doit ternir le clair miroir de ce qui est. La pensée, non pas de Guenon, mais qui passe à travers lui, ne reconnaît en fait pas d'auteurs, à peine des interprètes. Elle procède par transmission exacte et rigoureuse. C'est en cela même qu'elle est traditionnelle. Guenon se voulait non pas un penseur mais un porte-parole. Il entendait non pas édifier son œuvre, mais s'effacer derrière la transmission la plus fidèle. De même, cette pensée n'a pas à être actuelle, pas plus d'ailleurs qu'elle n'a besoin d'être située dans l'histoire, mais elle est de tout temps, pareille à elle- même, et peut s'actualiser, à tout moment, en l'être qui la perçoit. En ce sens, ce n'est pas le langage, l'élaboration d'une doctrine, qui est œuvre personnelle et acte de création, mais l'expérience même de la vérité en celui qui l'intériorise. Et en ce point nous sommes hors de tout discours. Les positions par lesquelles Guenon récuse toute qualité de philosophe, d'orientaliste ou d'écrivain qu'on serait tenté de lui attacher, rejette par avance toute appréciation subjective et s'efface comme individu devant la métaphysique, rendent notre discussion d'aujourd'hui plus que paradoxale. Nous voici donc réunis pour traiter de René Guenon. Déjà on peut voir poindre les thèmes classiques : l'interrogation sur l'homme, sa psychologie, ses rapports à l'œuvre. Une telle critique, périmée en soi, apparaîtrait ici hors de propos ; plus encore elle serait un contre-sens. II n'en reste pas moins que cette vie sans événements extérieurs et retirée, comme gommée du monde, se présente comme l'une des grandes aventures spirituelles de notre temps. Et cette œuvre sans auteur, ésotérique dans tous les sens du mot, est une des forces agissantes, en profondeur, de cette époque. C'est pourquoi, malgré le paradoxe, et sans mêler ce qui doit demeurer distinct, certains parleront ici de métaphysique et aussi de Guenon. Avant d'entrer dans le vif du débat, je voudrais non pas vous présenter René Alleau mais vous dire les liens qui, partant de René Guenon, m'unissent à lui. Un de nos amis communs, Albert Gillou, m'avait demandé une photographie où je me trouvais aux côtés de René Guenon, le dernier jour où je l'ai vu. C'était dans son jardin, au moment du départ, Guenon nous fit revenir dans la maison, appela sa femme et ses proches dire la prière traditionnelle musulmane de protection pour les voyageurs. II me dit de revenir. Je suis revenu le jour de son enterrement. Il ne m'a jamais quitté. Cette photographie a fixé un moment qui m'est cher. L'homme qui me l'a demandée est celui par lequel j'ai pris contact avec René Alleau. La rencontre avec Alleau, par une chaîne d'amitiés et de transmissions rejoint donc pour moi cette journée de la dernière bénédiction reçue de René Guenon. Je passe la parole à René Alleau sachant qu'au-delà des idées et connaissances, il y a un lien profond, ressenti par la seule intuition, qui nous rattache. Nous savons également qu'il est particulièrement qualifié au sens plein, au sens......................... Discussion N. BAMMATE. — Avant d'engager le débat, je voudrais remercier au nom de tous René Alleau pour une entrée aussi lucide et compréhensive dans le vif du sujet et j'aimerais également mettre en évidence deux points de son exposé qui me paraissent se référer l'un à la méthode à suivre dans les discussions à venir, l'autre à leur finalité. En ce qui concerne la méthode, j'ai été impressionné, comme beaucoup d'entre vous certainement, par le fait que M. Alleau s'est placé immédiatement au niveau central des principes. Et c'est à partir d'une position synthétique, méthode tout à fait guénonienne, que l'on pourra par la suite rayonner vers les applications particulières. C'est le concept même de tradition auquel M. Alleau a consacré son introduction et à partir duquel les aspects particuliers des traditions diverses, leurs différentes formes, leurs différentes applications vont être discutées. C'est donc une prise de position essentielle à laquelle il nous invite, et j'espère que le débat maintiendra le point de référence ainsi fixé. Il est remarquable que dans cette introduction, le nom de René Guenon lui-même ait été à peine prononcé. Ceci est également très guénonïen : l'individu s'efface derrière l'être, derrière la vérité traditionnelle. En commençant ainsi par le principe même de la tradition, on se trouve véritablement placé de la manière qui convient pour aborder ces quelques jours de réflexion à propos de René Guenon. Deuxième point qui, lui, se rapporte non pas à la méthode mais aux finalités de cette réunion : M. Alleau, en fait, nous propose un dépassement encore plus hardi que je ne l'imaginais. Il ne s'agit pas seulement de comprendre, mais d'opérer. C'est-à-dire qu'il nous invite non seulement à comprendre la signification du message métaphysique de René Guenon, mais également à en évaluer la portée, la signification et les possibilités opératoires sur le monde moderne. S'il est un fait évident, c'est que les événements qui sont intervenus depuis que Guenon a écrit ses dernières lignes, n'ont fait que confirmer ses analyses critiques de la société moderne. Donc il ne s'agira pas seulement dans les journées qui viennent d'un acte de piété, d'un acte de foi, de la reconnaissance d'une œuvre qui nous a nourris, mais il s'agira également de s'interroger — et c'est ce à quoi nous a invité M. Alleau — sur ses possibilités traditionnelles dans la situation actuelle du monde moderne. C'est dire que chez M. Alleau, le cognitif est étroitement lié à l'opératoire, auquel il nous invite. Après ces deux remarques initiales, je voudrais également rappeler que nous avons une série de questions déjà posées, de manière très lucide et pénétrante, par Marina Scriabine dans son texte de présentation du Colloque. Il faudra les garder à l'esprit dans la suite de ces entretiens. J.-P. LAURANT. — Identifiez-vous ésotérisme et tradition? R. ALLEAU- — Je pense qu'on peut séparer les deux termes. N'y a-t-il pas transmission d'une influence spirituelle, dans l'idée de Guenon? J.-P. LAURANT. — Dans l'idée de Guenon, oui. R. ALLEAU. — J'ai lu l'«Ésotérisme chrétien» d' Antoine Faivre, dans l'Histoire des religions de la Pléiade, et, à mon avis, subsistent des points d'interrogation, justement sur la signification de l'ésotérisme. On ne peut se contenter d'approches classiques, (antérieur opposé à extérieur), c'est un peu sommaire. Il y a certainement une recherche à entreprendre en commun, d'abord à partir de ce que dit Guenon, ensuite à partir de nos propres réflexions. On a réduit l'ésotérisme à un contenu, et on a fait la critique du contenu non pas en se plaçant au point de vue ésotérique, mais dans une perspective philosophique. Une erreur que commettent de nombreux auteurs : faire une critique de l'histoire de la philosophie en croyant faire une critique de l'ésotérisme. Cela n'a aucun rapport, parce que la tradition ésotérique ne sépare pas l'idée du «transmetteur» de l'idée. C'est une herméneutique totale, vivante et vécue, ce n'est pas une interprétation seulement intellectuelle. S'il en était ainsi, on ne voit pas à quoi servirait une nouvelle naissance, une initiation. On ne voit pas comment une expérience profondément ontologique, dans le sens de l'être total, serait nécessaire s'il ne s'agissait que de l'acquisition intellectuelle d'un système. On arrive ici au domaine du caché, de l'enseignement qui n'est pas donné mais «re-créé», domaine qui se rapproche de la vie profonde et secrète. Le vrai secret est incommunicable, car la plénitude n'est pas communicable intellectuellement. M. Jean-Pierre Teste me pose une question sur «les groupes de métiers itinérants, la tradition, le passage du nomadisme à ce qu'on a appelé le nomadisme dévié». S'agit-il, répondrai-je, par exemple de ta situation de la communauté des forgerons africains, qui se tient en général à l'extérieur des autres groupes, tenue à l'écart et en même temps liée à tout ce qui touche à la vie magique, à la fois admirée et redoutée. S'agit-il d'un nomadisme dévié? Je me suis toujours posé la question. On peut aussi prendre l'exemple de la sorcellerie : le sorcier, personnage ambivalent, craint et envié à cause de ses pouvoirs. On ne le tue pas toujours, on se contente parfois de le persécuter. J'ai l'impression qu'en Afrique, d'après ce que j'ai observé au Cameroun chez les Pygmées, une partie des métallurgistes d'autres groupes ethniques et certaines sociétés secrètes liées aux forgerons, avaient des traditions profondément archaïques, plus anciennes que les communautés africaines superposées à celles-là. C'est ce qui peut expliquer non pas un nomadisme dévié, mais un nomadisme ressenti comme une certaine menace, menace presque permanente pour l'équilibre de la communauté. Passons à une question de Mile James : «Vous avancez que la notion guénonienne de tradition se limite à l'aspect sacré. Il ne faut pas oublier que pour uploads/Societe et culture/colloque-cerisy-1973-rene-guenon-et-l-x27-acualite-de-la-pensee-traditionnelle.pdf

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