Emmanuel Tlodd L'illusion ,. economlque COLLECTION FOLIO/ACTUEL Emmanuel Todd L
Emmanuel Tlodd L'illusion ,. economlque COLLECTION FOLIO/ACTUEL Emmanuel Todd L'illusion 7. economlque Essai sur la stagnation des sociétés développées Gallimard @ Éditions Gallimard, 1998 et 1999 pour la préface. Emmanuel Todd, né en 1951, est diplômé de I'Institut d'études politiques de Paris et docteur en histoire de I'université de Cam- bridge. Pour Nicolas Je tiens à remercier Georges-François Leclerc pour sa relecture amicale et critique du manuscrit. PRÉFACE L'illusion économique, sans nier l,existence de lois spécifiquement économiques, montre que celles-ci ne peuvent s'exprimer qu'à I'intérieur d'un cadre beau- coup plus vaste, culturel et anthropologique. Des for- ces profondes, telles que la stratification éducative et son mouvement, les rythmes démographiques ou les valeurs familiales héritées d'un passé trés lointain, définissent un univers de possibilités et de buts hors duquel I'activité de l'homo æconomicus n'a aucun sens. La vie économique est consciente, la structura- tion éducative subconsciente et le système familial inconscient. À I'occasion de la publication en collection de grande diffusion de ce livre, un peu moins de deux a1s après sa première parution, il n'apparaît guère nécessaire de << mettre à jour > ce qui -Concernè les shates profondes, subconscientes et inconscientes, éducatives et familiales, pour lesquelles deux années écoulées ne représentent qu'une durée dérisoire. Leur évolution s'inscrit dans des périodes de temps allant de la génération, dans le cas de l'éducation. àu millé- naire dans celui des valeurs familiales. Il apparaît en tr L'illusion économique revanche utile de commenter I'accélération de la crise mondiale au niveau superstructurel et conscient de l'économie, ainsi que d'expliquer I'apaisement tem- poraire de la vie sôciale et politique française par la petite reprise économique de 1998. - La tendance à la stagnation mondiale diagnostiquée pn L'illusion économique a êté largement confirmée par les événements récents. Il y a deux ans, la mon- àiafisation était encore considérée coûlme un phéno- mène efficace, I'essence même de la modemité économique. Elle était critiquée pour ses implications inégalitaires et ses atteintes à la cohésion sociale. Mais le débat entre apologistes et critiques était de nature morale plutôt qu'économique, les uns et les autres admettant la logique de < l'égalisation du coût des facteurs >, le fait que la mise en concurrence des populations actives de tous les pays aboutisse à I'in- iroduction, dans les sociétés avancées, des inégalités de revenu existant à l'échelle planétaire et installe, dans les villes américaines comme dans les banlieues européennes, des morceaux de tiers-monde. Le dynamisme américain dans la déflation mondiale Personne n'oserait plus, en 1999, considérer la mondialisation comme simplement efficace et mo- deme. Les fluctuations boursières et monétaires met- tent en scène l'âme inquiète des possédants, tandis que les variables profondes de l'économie réelle décrivent le mouvement lent mais inexorable d'une onde de stagnation, qui, partie d'Asie, s'étend, par la baisse du prix des nr-atières premières et qes produits manufacturés, à la Russie, à I'Amérique du Sud' pour Préface finalement menacer les taux de croissance européens. Tandis que la presse parisienne célébrait, avec un bel esprit de clocher, la mini-reprise temporaire du bloc franco-allemand, la presse économiqué anglo-saxonne a consacré I'année 1998 à une description lucide du développement de la crise mondiale, citant avec de plus en plus de naturel Kelmes, commentateur de la dépression de 1929. La première moitié de 1999 ne représente, dans le développement de la crise, qu'une pause incertaine, marquée d'un côté par la rélative stabilisation, en régime de sous-produôtion, des éco- nomies asiatiques, mais aussi par I'entrée en crise du cæur industriel de l'Europe, allemand et italien. Le 5 septembre 1998, en pleine crise russe, Zfte Economist ouwait une analyse inquiétante de la situa- tion par une citation de Keynes datant de 1931. <<Nous sommes aujourd'hui au cæur de Ia plus grande catastrophe économique du monde moderne... on pense à Moscou que ceci est Ia crise dëcisive et Jïnale du capitalisme et que l'ordre social n'y surti- vra pas. >> - Les élites anglo-saxonnes sont redevenues keyné- siennes, admettant un problème planétaire d,insufli- sance de la demande. Leur perception est réellement f globale ) puisque le problème ne se pose pas aux Eats-Unis où le crédit nourrit une vériablie surconsom- mation. Coupés de leurs approvisionnements en biens indus- triels, les Etats-Unis auraient plutôt un problème de sous-production, leur secteur manufacturier ne met- luot à I,u disposition des consommateurs que 95 % des biens dont ils ont besoin. Les difficultéi des chaînes de production de Boeing ont trahi de manière ponc- W L'illusion économique tuelle mais spectaculaire I'atrophie du secteur secon- daire américâin, au point qu'on finit par se demander ce que signifie < le plus long cycle d'expansion ja- mais w dans I'histoire de l'économie américaine >. Le PIB devient un concept mystérieux, promis dans les années futures à une révision déchirante. La déflation entretient désormais une erreur de perspective: les pays disposant d'une forte capacité induitrielle, comme le Japon ou I'Allemagne, voire I'Italie, se révèlent naturellement les plus touchés par le ralentissement des échanges mondiaux et sont dé- crits comme < moins dynamiques > que les pays à secteur industriel atrophié. Les Etats-Unis, qui consa- crent une part plus importante de leur activité à des services n'ayant pas de valeur internationale à propre- ment parler, sont partiellement à I'abri de la crise' L'excédent de capacité industrielle n'explique cepen- dant pas à lui seul les difficultés particulières de pays coûrme le Japon, I'Allemagne ou I'Italie. La dépres- sion démographique, impliquant en elle-même une insuffisance de la demande, est un facteur aussi im- portant. Une immigration plus forte et une fécondité plus élevée coxtribuent au maintien de I'activité éco' nomique des Etats-Unis. La surconsommation américaine a débouché en 1998 sur un déséquilibre des échanges de biens et ser- vices de 235 milliards de dollars, chiffre qui devrait atteindre, en 1999, 300 milliards. L'Amérique n'en finit effectivement pas de battre des records. Les im- portations américaines constituent désormais le prin- ôipal facteur de dynamisme de la demande à l'échelle m-ondiale. Peut être doit-on parler d'un keynésianisme impérial: ce déficit courant d'une nation dominante Préface représenterait une sorte de déficit budgétaire pour I'ensemble du monde. Une telle représentation impliquerait que I'on con- sidère les États-Unis moins cômme une èconomie ou une - société que cornme un État, pour la planète entière, avec peut-être, de façon menaçante, son mo- nopole wébérien de la violence légitime. Tel est le non-dit politique de la mondialisation: I'existence d'un pouvoir central que certains percevront comme pacificateur et d'autres comme piédateur. La force relative du dollar, au printemps 1999, dans une pé- riode incluant simultanément une aggravation du dèn- cit commercial américain et la guerre aérienne menée par l'Otan contre la Serbie, conforte I'hypothèse d'une spécialisation militaire des États-Unis. Là capa- cité de bombardement de I'US Air Force fait désbr- mais autant ou plus pour la valeur du dollar que le < dynamisme > du secteur tertiaire. Reste que te Cefr- cit américain, politiquement inquiétant, esf économi- quement insuffisant pour combler le retard structurel de la demande mondiale, révélé par la déflation. Lucides sur le diagnostic de sous-consommation planétaire, les économistes, joumalistes et hommes politiques de I'establishment anglo-saxon ne peuvent 9.9qendan1 admettre, sans abandonner une croyance libérale devenue pour eux identitaire, que le iibre- échange est la cause de la sous-consommâtion. Du libre-échange à I'insulfisance de la demande Dans le cadre des économies nationalement régu, lées d'après-guerre, il y avait une complémentarité entre production et consommation. Les entreprises M L'illusion économique avaient le sentiment, lorsqu'elles augmentaient les salaires, de créer de la demande pour l'économie en général. En régime de libre-échange, chaque entre- prise considère que la plupart des consommateurs sont dans d'autres pays et traite les salaires comme un coût pur. Si toutes les entreprises de tous les pays du monde s'installent dans une logique de compression du coût salarial, nous obtenons, au terme de quelques décennies, un retard systémique de la consommation, une tendance à la stagnation. A ce processus s'oppo- sent d'autres forces, dynamiques, comme le progrès technique, moteur d'un investissement autonome. Mais le jugement dernier de la croissance zêto est iné- luctable. Il n'est bien entendu pas question de considérer cette mise en évidence d'une tendance à la sous- consommation par écrasement des salaires comme une contribution originale à la science économique. Il ne s'agit que d'un rappel, à l'échelle d'une économie mondiâlisèe, de la contradiction fondamentale du capitalisme, étudiée par d'innombrables auteurs du dix-neuvième ou de la première moitié du vingtième siècle. L'intéressant est d'ordre sociologique : com- ment a-t-on pu, en une génération, oublier, refouler cette proposition si simple et si bien vérifiée par l'histoire ? Je note que lors de la première parution de L'illusion économique, aucun de mes critiques n'a osé affronter ce problème, sans doute trop banal. Voici donc revenu le vieux monde capitaliste d'avant Ford et Keynes, dans une version effective- ment globalisée. Chaque pays se bat pour I'obtention des débouchés extérieurs rendus nécessaires par la compression de sa propre demande intérieure. Devenu maniaque, I'effort économique s'identifie à la recher- Preface che de I'excédent commercial, c'est-à-dire de la sous- consommation nationale. La liste des excédents uploads/Societe et culture/ l-x27-illusion-economique.pdf
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- Publié le Mar 06, 2021
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