J.-P. Faguer A propos de L'amour de l'art de P. Bourdieu et A. Darbel. In: Revu

J.-P. Faguer A propos de L'amour de l'art de P. Bourdieu et A. Darbel. In: Revue française de sociologie. 1968, 9-3. pp. 413-417. Citer ce document / Cite this document : Faguer J.-P. A propos de L'amour de l'art de P. Bourdieu et A. Darbel. In: Revue française de sociologie. 1968, 9-3. pp. 413- 417. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1968_num_9_3_1414 Bibliographie Notre résumé s'est proposé d'être fidèle dans les mots mêmes que nous avons en général employés. Avons-nous réalisé une réduction de ce livre de 342 pages ? Non. C'est plutôt une sélection de ce qui nous a paru essentiel au terme d'une analyse comprehensive. Il serait nécessaire à présent de faire l'analyse critique de cet ouvrage d'un point de vue explicite qui, pour nous, serait celui d'une sociologie active du développement culturel. De ce point de vue : des confusions de vocabulaire (masse-media avec ou sans l'école) , des ambiguïtés de concepts, de schématisation dans l'analyse des déterminants sociaux, des simplifications excessives dans la problématique, seraient à mettre à jour. Il faudrait s'expliquer au fond sur les conditions de pertinence d'un modèle (qui est en dernière analyse mécaniste) pour résoudre des problèmes de choix, de décision culturelle, de sujets sociaux agissant sur les zones d'indé termination. Mais ceci nous conduirait dans un dialogue trop complexe qui nous entraînerait à situer l'effort conceptuel et technique de Moles dans l'évo lution des sciences de la communication de masse vers une science pluri disciplinaire de développement culturel des sociétés de masse. Après avoir entamé ce dialogue avec lui dans un séminaire du Centre d'Etudes Sociolo giques, nous le poursuivrons par écrit à une place autre que dans une revue bibliographique. Nous ne voulons aujourd'hui qu'affirmer l'importance à nos yeux de cet effort, en grande partie novateur, de conceptualisation pour trans former le développement culturel d'une société de masse en problème à la fois de recherche scientifique et d'action rationnelle, quels que soient les critères retenus par le pouvoir. Nous ne connaissons pas de livre équivalent dans la littérature scientifique internationale. J. Dumazedier. A propos de l'Amour de l'Art Parce que sa publication faisait suite à celle des Héritiers, cet ouvrage a d'abord été lu dans la même perspective. On s'est plu à en dégager les thèmes identiques, en particulier la dénonciation des idéologies de l'élite cultivée qui posent la question de l'accès à la culture dans le langage de la grâce, en oubliant de voir que le goût, loin d'être une disposition innée, est un produit de l'éducation. En fait, l'Amour de l'art répondait à un autre objectif, celui de mettre au clair certains problèmes abordés dans les Héritiers, mais auxquels ce livre ne répondait pas. L'ignorer conduit à en donner des interprétations défor mantes, dont la plus pernicieuse paraît être l'interprétation populiste qui, tout en restant fidèle à l'essentiel des faits présentés, en fausse la signification. De la description de la complicité existant entre la culture savante et celle des classes supérieures, on a volontiers déduit une mise en question du système scolaire, le souhait d'un changement de fonction et de méthodes de celui-ci, et de la disparition progressive des inégalités culturelles. Mais ne prêter aux auteurs de l'Amour de l'art que des intentions éthiques ou politiques, c'était leur imposer une problématique dont l'objet même de ce livre prétendait se libérer. En effet, * Bourdieu, P., Darbel, A. L'amour de l'art. Les musées et leur public. Paris, Editions de Minuit, 1966. 413 Revue française de sociologie il répondait en premier lieu à une fonction épistémologique, celle de dégager les éléments d'une théorie de la diffusion culturelle dans une société stratifiée qui fût valable pour l'ensemble des domaines de la culture. C'est du moins par référence à ce projet qu'il a paru opportun de situer l'actualité de cet ouvrage. H est peut-être utile d'en rappeler les données essentielles. L: 'Amour de l'art, dont le propos est de définir les principales caractéristiques du public actuel des musées français, à partir d'une série d'enquêtes menées par le Centre de Sociologie européenne de 1964 à 1966 sur un échantillon représentatif, a d'abord le mérite de nous présenter une analyse empirique du mécanisme social de la diffusion culturelle. Ces résultats, qui font l'objet de la première partie, mettent en lumière l'aspect cumulatif de l'appropriation culturelle. L'analyse des données statistiques permet de dégager l'existence d'une « classe cultivée » composée d'individus qui bénéficient de tous les avantages aussi bien en matière d'éducation que de fréquentation et de familiarité avec les œuvres d'art. L'étude des différentes variables et de leur poids relatif conduit à affirmer que « les relations observées entre la fréquentation du musée et des variables telles que la catégorie socio-professionnelle, l'âge ou l'habitat se réduisent presque tot alement à la relation entre le niveau d'instruction et la fréquentation » (p. 44) . C'est donc l'instruction ou, si l'on préfère, la culture scolaire d'un individu telle qu'on peut la mesurer à partir des diplômes qu'il possède, qui apparaît comme la condition sine qua non de l'existence du besoin culturel. C'est à partir de ces résultats que les auteurs de l'Amour de l'art sont amenés à se demander pourquoi le contact avec les œuvres d'art ne peut exercer d'attraction que sur des personnes déjà en possession d'une certaine culture. En d'autres termes, û s'agit de comprendre par quel mécanisme la culture ne peut être effectivement accessible qu'à ceux qui sont déjà cultivés. C'est à cette question que la seconde partie s'efforce de donner une réponse en se situant dans la perspective de la théorie de l'information, ce qu'elle justifie en se fondant sur les analyses de la perception esthétique empruntées à Panofsky. L'œuvre d'art n'est pas un simple objet matériel. En tant qu'objet culturel, elle est l'expression immédiate d'une signification. Elle est en effet le produit d'une culture particulière, et c'est la connaissance que nous avons de celle-ci, plus exactement la familiarité que nous avons avec elle, qui lui donne son sens. Nous percevons, par exemple, dans un tableau, au-delà des objets sensibles qu'H représente, un ensemble de traits tels que le choix des couleurs ou des motifs, la manière de les mettre en forme, l'emploi de techniques parti culières, c'est-à-dire l'ensemble des caractéristiques qui définissent un style et dont la connaissance est la condition essentielle de tout jugement esthétique. C'est elle qui permet tout à la fois de rattacher une œuvre à une école ou à un auteur particuliers, tout en la distinguant de toutes les autres œuvres de cet auteur ou de cette école. En n'oubliant pas qu'il ne peut s'agir que d'une allusion métaphorique, mais qui a du moins le mérite de faire sentir l'aspect conventionnel des institutions culturelles, on peut affirmer que la perception esthétique est semblable à l'acte de la compréhension linguistique dans le sens où Saussure nous rappelle que « dans la langue, il n'y a que des différences ». Si « ce qui importe dans le mot — comme nous pouvons le lire dans le Cours de linguistique générale — , ce n'est pas le son lui-même, mais les différences phoniques qui permettent de distinguer le mot de tous les autres, car ce sont elles qui portent la signification », il en est de même de l'œuvre d'art; ce n'est en effet que par la saisie de différences entre des traits culturels que nous pouvons percevoir « l'originalité » d'un morceau musical, d'un film ou de l'écri- 414 Bibliographie ture d'un roman. On peut concevoir ainsi la perception esthétique comme le déchiffrement d'un message qui présuppose la maîtrise préalable du code qui en organise la lecture. En être dépourvu, c'est se condamner à être « noyé » devant l'œuvre qu'on est censé apprécier, ne saisissant en elle qu'une accu mulation de couleurs, de sons ou de phrases. La culture, au sens subjectif, est donc le code capable de donner à une œuvre la cohérence d'une forme, cohé rence qui, en donnant sens à chacun des éléments qui la composent, permet d'en dégager le caractère singulier. Définir cependant le goût comme « l'art de faire des différences » peut conduire à des interprétations déformantes du processus de la diffusion culturelle si on oublie que, dans ce cas du moins, il s'agit d'acquérir la maîtrise moins d'une « grille » de perception que de schemes de pensée. L'existence d'une institution telle que le Musée, plus précisément la manière dont les œuvres y sont présentées, suppose de la part des visiteurs plus que de simples connaissances artistiques. C'est le lieu par essence de la reconnaissance, ce qu'il ne peut être que "si les visiteurs sont des personnes déjà cultivées. On ne peut attacher de valeur aux objets rassemblés dans un musée que dans la mesure où ceux-ci sont l'expression d'un monde familier. Cela suppose qu'on ait été soumis par l'éducation à un apprentissage progressif dont chaque moment correspond à un état particulier qu'il faut avoir parfaitement intério risé pour être à même de percevoir des distinctions plus complexes. Dans la citation suivante, extraite de La Prisonnière, Proust montre clairement que l'accès à la culture suppose de notre uploads/Societe et culture/ bordieu-l-x27-amour-de-l-x27-art.pdf

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