269 Le rôle de l’enseignement de tamazight en France dans l’aménagement de la l
269 Le rôle de l’enseignement de tamazight en France dans l’aménagement de la langue M. SEKHI Djilali Enseignant de Tamazight, Magister en langue et culture amazighes Utilisant le terme tamazight, nous faisons déjà un choix. Les noms prolifèrent pour les pays comme pour les langues. La langue tamazight tire son nom de celui du peuple qui la parle. Parler de cette langue en ces termes, c’est donc faire un choix d’un terme global. Cette appellation est, selon nous, la seule à être retenue. Le vocable berbère n’est pas commode, lorsque l’on sait d’où il tire son existence, dont il n’est pas interdit d’user notamment en France. La situation sociolinguistique de la France est différente de celle de l’Algérie et du Maroc. Le nombre d’Amazighophones en France est inconnu, car les statistiques ethniques y sont interdites. De plus, les statistiques de langues sont inexistantes. Si l’on ignore aujourd’hui ce nombre, on peut avancer, sans en être certain, que deux à trois millions d’Amazighs sont présents sur le territoire français. L’enseignement de tamazight est l’un des moyens d’assurer, par une standardisation, le développement de la langue. Cet enseignement devrait être mis en place par le Ministère français de l’Education nationale. Car, chaque année, de nombreux candidats, de nationalité française ou autre, passent l’épreuve facultative de tamazight au baccalauréat. La proposition faite aux élèves de choisir cette langue comme deuxième langue facultative n’est guère assumée par ceux qui sont derrière cette initiative. En effet, proposer un sujet d’examen au Bac, dans quelque matière que ce soit, sans la moindre préparation, c’est non seulement anti-pédagogique, mais c’est aussi ne pas assumer son rôle et faillir à sa tâche. Les associations amazighes demandent que leur langue soit prise en charge par ce ministère en assurant son enseignement dans un cadre officiel, notamment à l’école publique. En l’absence de cela et afin d’y remédier, celles-ci ont initié et 270 entrepris son apprentissage dans un cadre culturel en dispensant des cours à destination de ces élèves, ainsi qu’à d’autres désirant l’apprendre. Ces cours sont suivis, grosso modo, par des Kabyles. Nous proposons dans cette contribution notre expérience personnelle d’enseignant de tamazight en France assurant, entre autres, la préparation de candidats qui passent cette épreuve au Bac. Comme tout enseignant, notre premier but est de répondre aux attentes de nos élèves. Pour ce faire, il est important d’identifier celles-ci de manière à pouvoir y apporter des solutions adéquates. Nous avons donc organisé un parcours d’apprentissage propre à cette situation. Ceci en sélectionnant les contenus à enseigner et en organisant une progression. Une démarche pédagogique est ainsi mise en place pour faciliter l’acquisition de tamazight et susciter la motivation du public concerné. Identifier les besoins des apprenants, c’est se poser la question du statut de la langue à enseigner dans le pays concerné. Le tamazight, en France, est une langue minoritaire, il est utilisé dans des situations informelles et dans la sphère privée. Dès lors, la situation dans laquelle nous sommes amené à enseigner, nous a contraint à prendre appui sur le répertoire langagier des élèves et à chercher à savoir les représentations qu’ils se font de leur langue d’origine. Nous apporterons donc des éléments de réponse aux questions suivantes : - dans la mesure où la langue que nous enseignons n’est ni la langue officielle du pays, ni maîtrisée par les élèves, quelles actions concrètes à entreprendre pour surmonter les obstacles rencontrés et les difficultés liées à ce statut difficile et marginal; d’autant plus que « l’agressivité » des nouveaux moyens de communication, comme les réseaux sociaux, dominés par le français et l’anglais, n’arrangent ni les familles kabyles ni leur langue ? - quel rôle peut jouer cet enseignement dans l’aménagement de la langue tamazight ? Les associations culturelles amazighes Depuis l’ouverture du droit associatif aux immigrés, avec l’assouplissement de la législation en 1981, beaucoup d’associations culturelles amazighes se sont créées en France. Ces associations jouent un rôle très important dans la sensibilisation des Amazighs, notamment ceux de la deuxième génération, à la langue et à la culture amazighes. L’augmentation, d’année en année, du nombre de 271 candidats inscrits à l’épreuve facultative de tamazight au baccalauréat en est un indice quantifiable. Dès lors, la dimension amazighe suscite de plus en plus l’intérêt des chercheurs, autres que kabyles, travaillant sur l’immigration dite maghrébine. Dans la suite de la revalorisation linguistique amazighe, des Amazighs du monde associatif et universitaire multiplient les rencontres avec les responsables du ministère de l’Education nationale pour demander la prise en charge de l’enseignement de la langue amazighe. Le mouvement associatif amazigh joue un rôle important dans l’intégration des Amazighs au sein de la société française, en établissant et renforçant les liens d’amitié, partant de confiance entre ceux-ci et le reste de la société. A ce jour, on dénombre plus d’une centaine d’associations culturelles amazighes en France. On peut en relever d’autres à caractère professionnel comme l’association des Chauffeurs de taxis kabyles et d’autres politiques tels que l’association des Blessés du Printemps noir 2001 de Kabylie, le Collectif des femmes du Printemps noir, etc. Elles sont, pour la majorité, organisées autour de la Coordination des Berbères de France (CBF), une organisation nationale amazighe impulsée par la deuxième génération. Avec des centaines d’adhérents, celle-ci a une large activité : la célébration des fêtes amazighes, conférences, rencontres artistiques, etc. Elle coordonne depuis sa création en 2003 les actions des associations qu’elle fédère. Elle joue un rôle dans la construction des représentations que les amazighophones se font de leur langue et culture d’origine. Ce que l’on constate, c’est que le nombre d’associations amazighes est en constante progression. L’intérêt porté à la langue et la culture amazighes est l’une des caractéristiques et un objectif essentiels des associations créées ces dernières années. Alors qu’à l’arrivée de la première génération d’immigrés, l’activité principale des associations d’alors était centrée sur l’apprentissage, bien que minimum, de la langue française afin d’assurer l’intégration dans le pays d’accueil. Cette dernière se limite généralement à l’intégration fonctionnelle. Autrement dit, l’immigré travailleur se contente juste d’apprendre les mots relatifs à son travail. Ces associations, avec l’espace qu’elles occupent, sont un lieu privilégié de la pratique de la langue amazighe. La tendance au retour à cette dernière s’y manifeste. Le seul lieu de l’expression de la langue et de la culture chez la première génération est le café. C’est dans 272 celui-ci que l’on se rassemble pour écouter les chanteurs kabyles qui s’y produisent. En revanche, l’investissement de la deuxième génération, dans les domaines de la langue et de la culture amazighes, va au-delà de cet unique espace. La deuxième génération Pendant longtemps, les immigrés amazighs (Kabyles) en France ont été exclusivement des travailleurs. L’immigration familiale n’est intervenue qu’au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. Malgré une présence très ancienne et importante, les Amazighs n’étaient pas visibles. Considérée comme l’une des communautés d’origine étrangère les mieux intégrées à la vie sociale française1, la deuxième, voire la troisième génération, amazighe est de plus en plus touchée par le mouvement de revendication identitaire amazighe. Néanmoins, la maîtrise de la langue d’origine est fragile et n’est pas toujours certaine. Le constat qui fait "que les jeunes issus de parents immigrés sont de plus en plus unilingues"2, et la vision qui admet "qu’au fur et à mesure que les immigrés se fixent dans un pays donné, l’usage de leur langue maternelle disparaisse dès la deuxième génération"3, semblent avoir aidé à la formation de la prise de conscience identitaire. Les jeunes manifestent de plus en plus un intérêt à la langue et à la culture de la région d’origine. La langue cristallise la symbolisation de l’identité collective. Contrairement aux premiers immigrants, qui vivaient dans des conditions socio-économiques difficiles, ceux issus de l’immigration, ou plutôt de la diversité comme on a tendance à les appeler ces dernières années, vivent dans des conditions meilleures. Cette situation favorable joue un rôle important dans la prise en charge de leur langue et culture d’origine. On rencontre aussi cette amélioration chez les immigrés kabyles qui arrivent ces dernières années sur le sol français qui, en majorité, sont des étudiants. La deuxième génération se revendique d’une double identité pour éviter une sorte de repli identitaire, elle adopte dès lors une position mitoyenne. En effet, elle revendique la langue tamazight au même titre que la langue française. L’usage du français symbolise l’intégration à la société française et, naturellement, à la modernité. Le tamazight, quant à lui, est une expression d’une certaine spécificité linguistique et culturelle, une volonté de réhabiliter la langue maternelle de leurs parents. Celle-ci est le critère d’identification à 273 leur pays d’origine et non la nationalité. Dès lors, elle assume sans complexe cette langue et cette culture. Elle organise par conséquent des luttes pour reconnaître celles-ci à travers, notamment, le mouvement associatif en donnant une nouvelle dimension à la participation sociale. Elle ne veut surtout pas vivre sa culture à l’intérieur de l’espace familial ou du café qui lui sont habituellement réservés, comme c’était le cas pour leurs parents. Elle l’exporte et exploite d’autres espaces, jusque-là non investis et uploads/Societe et culture/ le-role-de-l-x27-enseignement-de-tamazight-en-france-dans-l-x27-amenagement-de-la-langue 1 .pdf
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- Publié le Nov 30, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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