Revue du monde musulman et de la Méditerranée Les mozarabes. Etat de la questio
Revue du monde musulman et de la Méditerranée Les mozarabes. Etat de la question Mikel De Epalza Citer ce document / Cite this document : De Epalza Mikel. Les mozarabes. Etat de la question. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°63-64, 1992. Minorités religieuses dans l'Espagne médiévale. pp. 39-50; doi : 10.3406/remmm.1992.1537 http://www.persee.fr/doc/remmm_0997-1327_1992_num_63_1_1537 Document généré le 07/06/2016 Mikel de Epalza LES MOZARABES État de la question I. Les mozarabes une minorité chrétienne dans al-Andalus Les historiens de la péninsule Ibérique (Espagne et Portugal actuels) entendent par mozarabes des chrétiens d'origine pré-islamique, qui se maintinrent dans la société islamique d'al-Andalus, et leurs descendants. "Mozarabe" est un terme arabe qui, dans cette langue, signifie "arabisé", "qui semble arabe sans l'être réellement", "qui présente l'apparence d'un arabe ou qui prétend l'être". Son emploi, tant en arabe qu'en espagnol, a connu quelques variations que l'on précisera plus loin ; il faut aujourd'hui en nuancer le sens en fonction des réalités chrétiennes qu'il recouvre, face à l'arabe ou face à l'Islam. Les mozarabes forment la première et la plus importante minorité religieuse de l'histoire médiévale de la péninsule Ibérique - ou de l'Hispanie - depuis celle que constituèrent les juifs de l'Espagne wisi- gothique (dans cette société, les païens n'avaient pas d'existence légale). Quand l'Islam s'installe en Hispanie au début du vnf siècle, les chrétiens, qui formaient démographiquement la majorité de la population du pays, devinrent selon la loi islamique, une minorité religieuse. Leur statut, plus encore que celui des juifs de la société wisigothique, fut le modèle, dans l'histoire médiévale de la Péninsule, d'une minorité religieuse légalement reconnue et socialement intégrée ; les juifs possèdent d'ailleurs le même statut, dans la société musulmane. Il inspirera ensuite les statuts que posséderont, dans la société chrétienne du bas Moyen Age, les juifs comme les musulmans mudéjares. Les mozarabes présentent aussi une importance particulière pour la société chrétienne péninsulaire dans la mesure où ils font le hen social entre une population hispanique pré-islamique et cette population chrétienne qui s'accroît pendant tout le Moyen Age, dans les royaumes chrétiens de la Péninsule, RE.M.M.M. 63-64, 1992/1-2 40 / Mikel de Epalza jusqu'à former l'Espagne et le Portugal actuels. L'existence des mozarabes donne toute sa légimité à la revendication historique des Etats chrétiens qui s'opposent à un pouvoir politique musulman considéré comme étranger et usurpateur ; au contraire, l'existence de chrétiens hispaniques convertis à l'Islam depuis la première heure apparaît comme un des titres de la légitimité politique du pouvoir islamique s'établissant dans la péninsule. Les mozarabes ont une autre caractéristique commune avec les autres minorités religieuses médiévales : c'est une "minorité disparue". En effet, ses effectifs diminuèrent rapidement à partir du vnf siècle ; ils sont minimes au xf siècle et disparaissent de la société islamique au XIIe siècle ; ils s'intègrent cependant à la société chrétienne à la fin du xf siècle (à Tolède) et au début du xn" (en Aragon) puis se maintiennent comme minorité à part, dans la société tolédane, jusqu'au xnT siècle et comme une survivance résiduelle noble jusqu'à nos jours. II. Etudes récentes les plus importantes et nouvelles recherches Les travaux concernant cette minorité religieuse se sont enrichis, depuis 1958 (travaux de Fattal et Francke), de plusieurs publications importantes qui, cependant, n'apportent pas une vision totalement nouvelle du sujet. On trouvera une bibliographie de ces études en fin d'article. Dans ce second paragraphe, on présentera surtout quelques nouvelles orientations de travail, personnelles ou suivies par Maria Jésus Rubiera Mata, ou par tous les deux, ensemble. Ce sont des exemples concrets des possibilités d'étude de cette minorité religieuse (M. de Epalza, 1965). 1. Minorités et tolérance L'étude des mozarabes s'inscrit très souvent - comme c'est le cas avec ce numéro spécial de la Revue du Monde musulman et de la Méditerranée - dans le cadre d'un intérêt social porté aux minorités et aux mécanismes juridiques permettant leur juste intégration dans la société moderne. L'histoire médiévale hispanique présente un important exemple de diversité sociale, avec des minorités fortement différenciées par la religion et démographiquement solides. La société musulmane d'al- Andalus, tout comme la société chrétienne des royaumes du bas Moyen Age offrent diverses formules pour leur intégration. Mieux encore, la prospérité de ces sociétés peut être en partie attribuée - d'une manière qui paraît mythique mais qui est bien réelle - à cette diversité sociale, ainsi qu'à la tolérance pratiquée envers ces minorités, à leur harmonieuse intégration et à leur collaboration dans divers domaines du savoir et de la technique. Al-Andalus s'est ainsi converti en un mythe de tolérance, aussi bien pour les musulmans modernes (dans leurs problèmes avec les Occidentaux, avec les juifs d'Israël et avec leurs propres minorités) que pour les Espagnols (dans leur vision de "l'Espagne des trois religions" ou "des trois cultures", contre le monolithisme catholique ou "l'Unité nationale" du Franquisme). On peut ainsi étudier les limites de cette tolérance - politiquement intolérable pour la société moderne parce qu'elle suppose une différenciation juridique et sociale pour raisons religieuses - et sa valeur positive comme mythe de la convivialité malgré la diversité ; ceci détermine la reconnaissance d'un droit à la différence et la concrétisation de cette reconnaissance en formules juridiques et sociales efficaces, au moins pour cette époque (M. de Epalza, 1983 et 1991 -a). Ces thèmes de "minorité" et de "tolérance" peuvent s'étudier non seulement dans le cas mozarabe mais aussi dans celui des mudéjares et des morisques de la société chrétienne hispanique (M. Les mozarabes, état de la question/ 41 de Epalza, 1984-a et 1991-a). On verra qu'en réalité il n'y a pas trois cultures placées sur un plan d'égalité, mais deux cultures dominantes (la musulmane et la chrétienne, chacune dans ses fiefs politiques respectifs) et des cultures minoritaires de juifs, de chrétiens et de musulmans, vivant au sein des sociétés majoritaires (il s'agit fondamentalement de la langue et de la religion, le reste participant de la culture majoritaire). 2. Origines du statut de mozarabe Concernant cette minorité mozarabe, ou de chrétiens dans la société musulmane, on a beaucoup étudié les droits que confère son statut, selon les canons du droit islamique et la documentation historique qui fait référence aux mozarabes. En revanche, on n'a pas beaucoup pris en compte ni la diversité d'origine de ces chrétiens dans la société musulmane, ni celle de leurs statuts. Il paraît donc nécessaire et éclairant, pour comprendre cette minorité mozarabe, de préciser la diversité de ses origines. Les mozarabes sont, avant tout, des chrétiens d'origine wisigothique, qui restent chrétiens dans la société musulmane d'al-Andalus. Il y a aussi, dans cette société, des chrétiens d'origine étrangère, provenant des royaumes chrétiens de la péninsule, de terres d'outre-Pyrénées, de terres arabes qu'elles soient maghrébines ou orientales. On les voit parfois mentionnés comme militaires, commerçants, esclaves, chanteurs (ou chanteuses), diplomates, religieux, chercheurs de reliques, etc., la perméabilité de la société prospère d' Al-Andalus et l'attraction qu'elle exerce l'expliquent aisément. Bien qu'eux aussi soient "arabisés", leur statut social n'est pas toujours identique à celui des mozarabes d'origine wisigothique ; déjà, différence fondamentale, leur présence n'implique pas la permanence, depuis la conquête du viif siècle, d'une communauté chrétienne. Lorsqu'ils forment un groupe important et influent - ce qui est le cas des commerçants - ils peuvent assez facilement prendre un clerc à leur service et, ainsi, constituer une communauté chrétienne au sein de la société musulmane. Il faudrait les appeler "néo-mozarabes" (M. de Epalza et E. A. Llobregat, 1982 ; M. de Epalza 1985-86). Existent aussi des chrétiens d'origine musulmane qui passent parfois pour mozarabes. On connaît quelques cas de conversions, parmi lesquelles celle d'un prince omeyyade (E. Teres, 1952 : 83). Ceux-ci ne peuvent s'intégrer facilement à la société musulmane qui condamne à mort le renégat, ou "murtadd" - voyez le cas de quelques uns des martyrs de Cordoue - bien qu'existent quelques textes autorisant l'intégration (J. F. Simonet : 424). H y a cependant, dans la société chrétienne, le cas de conversions en masse de musulmans : ceci apparaît déjà en Galice au vC siècle (J. F. Simonet : 217) et, surtout, dans la région de Tolède à la fin du xf, comme l'a démontré M. J. Rubiera Mata (1989-a et 1991). On les appelle mozarabes alors qu'en toute logique, il faudrait les qualifier de "nouveaux mozarabes", ou de premiers "conversos" ou de "nouveaux chrétiens". Il est important de les différencier des mozarabes d'origine wisigothique, surtout s'il s'agit de comprendre les caractères particuliers de la société tolédane ou du centre de la péninsule, au Moyen Age et à une époque plus récente (M. J. Rubiera Mata, 1989, 1991 et sous presse). Bien qu'on ne les appelle pas "mozarabes", les Etats chrétiens naissants, cantabriques et pyrénéens, sont très souvent considérés par les contemporains, au moins jusqu'au début du xf siècle, comme intégrés à la société musulmane d'al-Andalus. Ce sont les "chrétiens rebelles" des sources arabes (et de quelques sources chrétiennes), qu'il faut parfois considérer comme tels pour comprendre leur politique face au pouvoir central cordouan (M. de Epalza, 1984-c, 1991-b et 1992). Finalement, il faut uploads/Societe et culture/ les-mozarabes-etat-de-la-question.pdf
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- Publié le Dec 14, 2022
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