Anuarul Inst. de Cercet. Socio-Umane „C.S. Nicolăescu-Plopşor”, vol. XVI, 2015,

Anuarul Inst. de Cercet. Socio-Umane „C.S. Nicolăescu-Plopşor”, vol. XVI, 2015, pp. 49–57 LES RELATIONS CULTURELLES FRANCO-ROUMAINES À L’ÉPOQUE COMMUNISTE – SOUS LE SIGNE D’UNE PERMANENTE NÉGOCIATION∗ Georgiana MEDREA∗∗ FRANCO-ROMANIAN CULTURAL RELATIONSHIPS IN THE COMMUNIST PERIOD UNDER THE SIGN OF A PERMANENT NEGOTIATION Abstract: This paper deals with the main mechanisms of bilateral cultural cooperation arrangements, objectives and the means employed to implement a common policy periodically redefined, according to the different stages of the diplomatic rapprochement between the two countries. Keywords: cultural history of international relations, Romania, France, communisme, cultural policy. La démarche historiographique spécifique à la diplomatie culturelle qui se trouve à l’origine de cette réflection est inspirée par le souhait d’analyser posément, sine ira et studio, la suite que le régime communiste entend concéder à la relation bilatérale la plus élaborée que l’élite roumaine ait jamais tissée. A la fin de l’Entre-Deux-Guerres, la politique culturelle initiée par la diplomatie française, solidement soutenue par le gouvernement roumain et bien accueillie par la population aboutissait à l’apogée de la diffusion de cette culture comme adjuvant de la progression de l’idée nationale et âpre bouclier des valeurs humanistes appelées au renfort pour garantir la justesse du progrès technique. Après l’occupation de la France, lorsque ces perspectives politiques furent renversées, les échanges culturels laborieusement maintenus par les deux parties allaient devenir un vecteur de résistance1. La «libération» dramatique du 23 août ∗ This work was cofinanced from the European Social Found through Sectorial Operational Programme Human Resources Development 2007-2013, project number POSDRU 159/1.5/S/140863 Competitive Researchers in Europe in the Field of Humanities and Socio-Economic Sciences. A Multi-regional Research Network. ∗∗ Chercheur postdoctoral, Université de Bucarest; Email: georgiana.medrea_estienne@yahoo.fr 1 Ana-Maria Stan, Relaţiile franco-române în timpul regimului de la Vichy (1940-1944), Cluj- Napoca, Argonaut Éditeur, 2006, passim. Georgiana Medrea 50 1944 ouvre la série du déclin vertigineux des relations avec l’Occident. Néanmoins, jusqu’en 1989, ces deux pays réussissent à accorder plus ou moins leurs objectifs de coopération culturelle, étroitement liées à l’évolution de leurs relations politiques. Notre but ici est de souligner le rôle, la stratégie et les résultats des mesures de coopération progressivement mises en œuvre sur la base de protocoles, d’accords et de commissions mixtes par l’Institut Roumain de Relations Culturelles avec l’Etranger (IRRCE) avec la contribution plus modeste de l’Association France-Roumanie (AFR) d’une part et par la Bibliothèque Française de Bucarest d’autre part. Il s’agit d’une relation à temporalités et attentes décalées: si l’IRRCE et l’AFR sont déjà opérationnelles en 1948, le dispositif français passe par une longue phase de déconstruction jusqu’en 1970, année où la Bibliothèque Française est à nouveau ouverte. Les sources primaires consultées aux Archives nationales historiques centrales de Bucarest, ainsi qu’aux Archives diplomatiques de Courneuve, de Nantes et de Bucarest ont été complétées par des instruments et des ouvrages spécialisés particulièrement utiles, signés, par exemple, par Gavin Bowd, Dan Berindei2, Ana-Maria Stan, Constantin Mâţă3, Catherine Durandin4, Vladimir Tismăneanu. Pour commencer, il ne s’agit plus vraiment d’une coopération entre deux Etats, puisque les communistes se réservent l’initiative et le ton de ces relations, selon le modèle soviétique. Ainsi adoptent-ils deux types de mesures: créer leurs propres leviers de coopération, tout en détruisant en parallèle les dispositifs mis sur pied par les puissances occidentales avant la Seconde Guerre mondiale. L’IRRCE est fondé 12 mars 1947 sous une dénominaison prudente: Institut de Culture Universelle. Cette institution directement financée par le parti se fortifie rapidement, tout en requérant une tâche bien définie, celle d’assurer la propagande à l’étranger5. A partir du 11 octombre 1948, la vocation principale de l’IRRCE est celle de mettre en œuvre les mesures prévues par les accords et les conventions culturelles signées par la Roumanie avec l’étranger. Son activité se diversifie progressivement, en comprenant dans son programme des échanges de publications, de films, l’organisation d’expositions. Pour ce qui est de l’organisation interne, l’IRRCE est composé de deux directions principales: Documentation et Etudes. Chacune fonctionne selon un plan 2 Dan Berindei, Legături şi convergenţe istorice româno-franceze, dans «Revista de istorie», 32e tome, n° 3, mars 1979. 3 Constantin Mâţă, Relaţiile franco-române în perioada 1964-1968: dialog în perioada destinderii, Iaşi, Université Alexandru Ioan Cuza Éditeur, 2011, passim. 4 Catherine Durandin, Istoria românilor, Iaşi, Institutul European Éditeur, 1998, passim. 5 Le Service des Archives Nationales Historiques Centrales (à citer SANIC), Institutul Român pentru Relaţii cu Străinătatea 1947-1969, Inventaire 1774. Les relations culturelles franco-roumaines à l’époque communiste … 51 d’actions établi par une assemblée générale qui élit également un comité de direction, c’ést-à-dire un président, sept vice-présidents et un secrétaire général. A partir de 1951, c’est le Ministère des Affaires étrangères qui établit le plan d’actions de la signature des conventions culturelles. Leur conclusion émane d’abord de la volonté de procéder à une ouverture politique spécifiquement orientée vers les pays du bloc communiste: si en 1949, seulement neuf pays capitalistes sont compris dans le programme de coopération, leur nombre s’élève à 58 en 1951. La coopération culturelle est strictement subordonnée aux objectifs de la propagande, devant lesquels l’histoire s’estompe, dans le meilleur des cas. En fait, les mêmes matériaux sont distribués sans distinction dans tous les pays visés. Pendant les dix premières années du régime communistes’, imaginer préserver la francophonie et la francophilie profondément enracinées dans la société roumaine relevait du domaine du défi. Au dernier Congrès de la Mission Universitaire Française en Roumanie (MUF), le 23-25 avril 1948, les professeurs constatent devoir restreindre leur intervention à l’enseignement de la littérature classique et romantique, car la diffusion d’œuvres contemporaines non- communisantes posait problème. Roland Barthes s’assure ainsi d’exposer les volumes de Marx dans la collection de la Bibliothèque de l’Institut Français6. Mais le régime ne s’en contente guère. Le 12 mai, le ministre de l’Enseignement Grigore Vasilichi refuse la demande de l’Ambassade française de maintenir la MUF, au pretexte de la réquisition de l’Ecole roumaine de Fontenay-aux-Roses. Il reproche de même au représentant de l’ambassade de subventionner des universitaires comme Basile Munteanu ou Petru Sergescu, tenus responsables pour la situation désastrueuse de la culture des masses en Roumanie7. D’ailleurs, à l’automne 1948, la Roumanie renonce aux 65 bourses accordées par la France, en privilégiant dorénavant la formation de ses élites à Moscou. Le dispositif français est ensuite rapidement mis en pièces: les contrats des professeurs étrangers sont brutalement arrêtés le 23 juin, les biens des congrégations enseignantes passent le 3 août dans la possession de l’Etat, et le 19 novembre, l’accord culturel signé avec la France à la veille de la Seconde Guerre Mondiale est unilateralement dénoncé. Bien que la Bibliothèque Française demeure fonctionnelle, la raffle du 3mars 1950 y sème la terreur: trois fonctionnaires sont arrêtés et battus et des lecteurs roumains emprisonnés à Jilava. Le bloquage diplomatique français qui s’ensuit naturellement dure jusqu’en 1955, lorsque la partie roumaine se voit dans l’obligation de proposer la reprise des relations culturelles dans le cadre des négociations pour la reconduite de l’accord commercial. Ainsi, les Journées de l’amitié franco-roumaine sont organisées au mois de novembre dans la capitale roumaine. Le Quai d’Orsay estime à juste titre que ni l’exposition au Musée National, ni les conférences, ni les concerts 6 Gavin Bowd, La France et la Roumanie communiste, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 91. 7 Ibidem, p. 92. Georgiana Medrea 52 radiodiffusés ne peuvent compenser la fermeture de l’Institut Français de Bucarest, la censure de la diffusion du livre sur le marché et du français dans l’enseignement. Tout en refusant le partenariat avec l’Association France-Roumanie, qui patronait l’événement, les diplomates français obtiennent de communiquer directement avec les personnages officiels et ils acceptent ainsi de participer aux fêtes, en choisissant néanmoins attentivement les manifestations politiquement neutres. La question des échanges culturels s’impose dans l’actualité en étroite relation avec l’évolution des objectifs de rapprochement politique. Il y a là, semble-t-il, une constante spécifique aux relations des pays satellites avec l’Occident, propre aussi à la période d’après-guerre, lorsque la politique culturelle des différents pays européens est reformulée selon les priorités du développement des relations économiques et favorise implicitement les échanges en matière de sciences exactes et techniques. Après le 29 juillet 1958, lorsque l’IRRCE est habilité à conclure de accords et des conventions internationales, cette institution se manifeste notamment dans la création et le maintien des liens avec l’UNESCO et d’autres organisations internationales. Réciproquement, en pleine période de «destalinisation formelle»8, Paris abandonne sa réserve de rétablir des liens culturels en la faveur d’une véritable ouverture diplomatique. La stratégie de négociation avec l’UNESCO bénéficie d’ailleurs du concours bienveillant des fonctionnaires français attachés à la question roumaine, dont Michel Dard, ancien membre de la MUF, qui facilite, de l’intérieur, les premiers contacts, en initiant même le projet de déplacement officiel à Bucarest pour préparer l’adhésion9. Au fur et à mesure de la reconstruction des relations officielles, les manifestations proposées par l’IRRCE évoluent des expositions minimalistes de propagande rudimentaire, discrètement hebergées par des instituts ou des centres de formation du Parti Communiste Français vers des événements d’envergure, à visibilité grandissante, organisés avec l’appui de différents ministères français, sous le patronage de la Direction des Relations Culturelles du Quai d’Orsay. Les uploads/Societe et culture/ les-relations-culturelles-franco-roumaines-a-l-x27-epoque-communiste.pdf

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