1 Paru dans : A. Paré-Kaboré, F. Sawadogo, D. Legros (dir.), 2016, Processus d’
1 Paru dans : A. Paré-Kaboré, F. Sawadogo, D. Legros (dir.), 2016, Processus d’enseignement / apprentissage et contextes linguistiques et culturels, Paris : L’Harmattan, chap. 10, pp. 265-314. Situations d’apprentissage plurilingues et pluriculturelles : relations entre langues, cultures et cognition Colette NOYAU Univ. Paris Nanterre, UMR MoDyCo CNRS http://colette.noyau.free.fr 1. Introduction Dans cette rencontre finale du projet de recherche éducative « Processus d’apprentissage et contextes linguistiques et culturels », les préoccupations de chacun ont tourné autour d’une question commune : qu’est-ce qui caractérise les apprentissages dans un contexte multilingue et pluriculturel ? Cependant, chaque intervention l’a abordée selon un éclairage propre, à partir de plusieurs horizons théoriques et disciplinaires, et sur différents objets de recherche. Comme témoin externe des travaux du projet1, je souhaiterais contribuer aux réflexions en tant que linguiste de l’acquisition des langues et du bi-plurilinguisme, en espérant proposer un éclairage utile sur les processus d’apprentissage dans un système éducatif pluriel quant aux langues et aux cultures impliquées. Mon apport sera de nature théorique et méthodologique, et illustré par mes propres travaux sur les processus d’apprentissage en contexte subsaharien. Il débouchera en conclusion sur des implications de ces réflexions en ce qui concerne les apprentissages scolaires et la formation des enseignants. L’expression « contextes plurilingues et pluriculturels » renvoie à des langues et à des cultures. Mais comment structurer ces paramètres des situations éducatives ? Lorsqu’on rencontre des formules telles que « le contexte linguistique et culturel » (dans des travaux de psychologie), ou les « langues-cultures » (dans des travaux de didactique), langues et cultures sont souvent prises comme une variable unique, on est tenté de les considérer comme un bloc inanalysable. En témoigne l’usage répandu des sigles, qui à la fois présentent la notion comme relevant d’un horizon partagé, voire comme présupposée donc n’ayant pas besoin d’être définie ni justifiée, à tel point qu’on se contente alors d’un raccourci (le « CLC » = contexte-linguistique-et-culturel ; la « DDLC » = didactique-des-langues-cultures). Mais le risque est alors de réifier un conglomérat, puis par la vertu de la répétition d’en venir à la conviction qu’il constitue un objet de pensée unique, et enfin de ne plus être alors en mesure de réfléchir sur ce qui le compose et d’articuler ses composants internes. Il me semble de bonne hygiène théorique de veiller à garder active l’articulation entre langues et cultures dans les recherches éducatives. Nous partons de l’idée que tant les langues que les cultures ont à voir avec la cognition, et peuvent influer sur la cognition, notamment en situation d’apprentissage. Ce qui fondera ma réflexion, c’est de mettre en évidence les articulations diverses entre langues et cultures, pour ensuite revenir aux impacts des langues et à ceux des cultures sur la cognition, et notamment les apprentissages. 1.1. Déplier un conglomérat notionnel Qu’est-ce que « tenir compte du contexte linguistique et culturel » dans l’éducation ? D’abord, il apparait utile de déconstruire dans un premier temps le conglomérat notionnel 1 Je remercie l’équipe du projet « Processus d’apprentissage et contextes linguistiques et culturels » de m’avoir conviée à cette réflexion scientifique, et à expliciter mes points de vue de linguiste à leur propos. 2 ‘contexte linguistique et culturel’, qui semble admettre qu’une langue est porteuse d’une (et une seule) culture. Le contenu conceptuel ainsi étiqueté devient plus insaissable au fur et à mesure de son expression répétée par un sigle opaque. Ce conglomérat a certes été utile au départ pour ouvrir à un nouveau point de vue, sortir d’une conception neutre, implicitement universaliste mais biaisée, des savoirs et des apprentissages. Cependant, les recherches récentes - tant en linguistique qu’en psychologie - ont manié séparément pour les articuler les paramètres Culture et Langue. 1.2. Les langues et les cultures Tentons tout d’abord de délier ces deux paramètres. a) Une langue peut-elle être associée à plusieurs cultures ? Assurément oui : la langue française se trouve associée à des cultures différentes en Belgique, au Canada, en France, en Suisse, en Afrique, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie… b) Une culture peut-elle être associée à plusieurs langues ? La nation canadienne en est un exemple probant, la culture canadienne peut s’exprimer en anglais et en français. c) Enfin, on peut trouver dans un même espace n langues et n cultures associées entre elles, notamment dans les pays à fort multilinguisme comme le Burkina Faso. 1.3. Langues et cultures * cognition Les sciences de l’éducation sont par principe pluridisciplinaires (non forcément interdisciplinaires...), et les objets d’investigation y sont souvent exprimés en termes additifs : N et N’ (éducation et culture, langues et développement, …). Mais l’addition est un point de départ, reste ensuite à préciser la nature de l’interface qui fait que l’on souhaite les articuler, et à s’en donner les moyens méthodologiques. Le projet faisant l’objet de ce volume, « Processus d’apprentissage et contextes linguistiques et culturels » vise à scruter les processus cognitifs des apprentissages à la lumière des facteurs du contexte qui peuvent les faire varier, donc qui peuvent exercer une influence sur ces mêmes processus, les deux facteurs clé de ce contexte étant le culturel et le linguistique (cf. le rapport scientifique du projet de sept. 2014). Parmi les objectifs déclarés nous retiendrons pour notre propos : - « analyser la variabilité introduite dans le fonctionnement cognitif par les contextes locaux des apprentissages » ; - « analyser les approches pédagogiques mises en oeuvre pour tenir compte du contexte culturel et linguistique. » A partir de notre ancrage scientifique en linguistique de l’acquisition des langues et psycholinguistique du bi-plurilinguisme, nous proposons de contribuer à la réflexion engagée en soutenant les propositions suivantes : - le culturel d’une part, le linguistique d’autre part, influent sur la cognition, notamment sur les processus d’apprentissage ; - ces deux facteurs sont de nature différente et entraînent des effets de nature différente sur la cognition ; - ils ne jouent pas toujours ensemble, chaque facteur doit pouvoir être examiné indépendamment — même si dans certains cas on peut souhaiter les traiter comme solidaires. Pour aller vers cette clarification, nous allons proposer des exemples de démarches articulant les deux paramètres Langue * Culture. On peut ainsi mettre en évidence ce qu’il y a dans la Langue (chaque langue particulière) qui constitue un facteur influant sur la cognition et donc les apprentissages. De même on peut expliquer ce qu’il y a dans la Culture (les cultures particulières) qui constitue un facteur influant sur les apprentissages. 3 Les effets de la culture sur la cognition (donc en premier les apprentissages), sont à postuler comme différents des effets de la langue sur la cognition (et les apprentissages). 1.4. Culture et cognition Disons pour faire vite qu’il existe au moins deux conceptions de la culture, l’une, classique, orientée vers la transmission de savoirs associés à des valeurs, l’autre, anthropologique, tournée vers les pratiques d’organisation de la vie quotidienne et sociale (cf. Camilleri & Vinsonneau 1996), les deux étant aujourd’hui rassemblées dans un modèle constructiviste : chaque formation culturelle s’identifie par un modèle ou pattern, dont la logique confère cohérence et intelligibilité à l’ensemble des expériences du sujet : « tous les comportements du sujet et leurs produits, mais aussi tout ce qu’il reçoit et assimile, peuvent être informés par sa culture » (ibid. 12-14). Ajoutons que pour ce qui concerne le développement des individus dans leur éducation, « le culturel, par ses stimulations intériorisées au cours de la socialisation, n’est pas un ajout, mais une dimension intrinsèque du développement normal de ce qui est tenu pour la nature de l’homme » (ibid. 19), ce qui renvoie au concept de « niche développementale » de l’enfant proposé par Super et Harkness. Les cultures agissent donc sur les fonctions psychiques et les aptitudes des individus qui se construisent par leur socialisation dans leur contexte (ibid. 26 sq). 1.5. Langues, apprentissage des langues, et cognition La langue première ou L1 (celle de la première socialisation) – qui peut être plurielle en cas de développement du langage simultané en deux ou n langues (on dira alors les langues premières ou L1s) – possède un statut cognitif particulier, face aux autres langues que l’individu apprendra par la suite.2 La L1 est incarnée, liée aux expériences sensorielles et actionnelles de découverte de son environnement par le jeune enfant, elle est porteuse de l’expérience du monde dans lequel il grandit, elle constitue le support de son développement cognitif et social. La ou les langue-s seconde-s (L2, L2s) se construit sur la base de l’expérience langagière première. Un nouveau code linguistique : nouvelle forme d’exercice du langage, de nouveaux mots pour référer au monde, de nouveaux modes de construction du discours, se mettent en place sur la base des compétences en L1 déjà en place chez le jeune locuteur. Et c’est là que jouent les processus de transfert de la L1 à la L2, si importants dans une éducation bi-plurilingue : « on n’apprend pas à partir de rien, mais en s’appuyant sur ce qu’on sait déjà et qui peut prédisposer plus ou moins fortement aux nouveaux uploads/Societe et culture/ noyauc-koudougou-lguescultures-amp-cognition-ok.pdf
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- Publié le Fev 23, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
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