Un exemple de Texte oral de soutenance d'une thèse Monsieur le Président, Monsi

Un exemple de Texte oral de soutenance d'une thèse Monsieur le Président, Monsieur le Directeur de recherche, Messieurs les membres du jury, Mesdames et messieurs [1 – Origine du questionnement et résumé synthétique de l’objet de la recherche] La thèse que je présente aujourd’hui se propose d’étudier l’émergence d’un nouveau courant musical où la danse prend une part toute aussi importante que la musique. Phénomène complexe, le renouveau de la musique traditionnelle tel qu’il peut s’observer en Gascogne entre 1975 et 1985, nous donne à voir un processus de renouvellement de la pratique et des goûts musicaux qui prend forme dans une revalorisation du monde rural comme milieu privilégié pour repenser la société et le monde et remettre en cause un modèle culturel français dominant. Cette réappropriation de la culture rurale s’opère sur un mode identitaire où les projets individuels sont tout aussi importants que les enjeux collectifs. C’est pourquoi la tradition dont se réclame ce courant musical est autant réinterprétée comme source d’inspiration que comme legs du passé offrant des clés de compréhension pour vivre le temps présent. [2 – Mon rapport au terrain] Puisque l’ethnologie, qui a pour vocation d’étudier les sociétés et les groupes humains, prône une nécessaire distanciation de l’observateur à son objet, je vais en premier lieu, préciser quel rapport j’ai entretenu avec mon terrain et mon objet d’étude. Mon désir de travailler sur la musique traditionnelle et sur la notion d’invention de la tradition est né d’un questionnement lié à mon implication professionnelle dans une association à vocation régionale oeuvrant à la promotion de la musique et de la danse occitane. Salariée du Conservatoire occitan fondé en 1971 et bien connu de la plupart des acteurs du renouveau gascon, je ne pouvais prétendre à la neutralité. Mon arrivée en 1989 dans cette association coïncide avec le moment où elle a été labellisée par l’Etat Centre des musiques et danses traditionnelles en Midi-Pyrénées. Elle était ainsi amenée à participer activement à la phase d’institutionnalisation de ce mouvement. Autant dire que j’ignorais tout de l’histoire de ce renouveau. Loin d’être une entrave, le fait de n’avoir ni vécu ni connu la période étudiée m’a permis au contraire d’exercer un regard critique et distancié. Pour limiter les interactions qu’aurait pu susciter ma présence au sein d’une association bien repérée, il me fallait en revanche être claire quant à ma démarche et rappeler qu’elle n’était dictée par aucune mission institutionnelle mais menée dans le cadre d’un travail personnel de recherche. Ce regard neuf porté sur une époque qui appartient désormais à l’histoire proche, m’incitait à m’intéresser à la genèse d’un mouvement dans lequel j’étais désormais impliquée. Dans le cadre du DEA et avec l’étude du processus de relance de la cornemuse des Landes de Gascogne, j’avais surtout été fascinée par les stratégies d’innovation et d’adaptation en matière de fabrication d’un instrument de musique dit traditionnel. C’est d’ailleurs ce désir de comprendre, doublé de la nécessité professionnelle d’acquérir des connaissances, qui a en partie engendré la reprise d’études initialement commencées en sociologie, puis réorientées en ethnologie à partir du DEA. En même temps qu’elle me permettait de découvrir de nouveaux champs de recherche et des méthodes d’investigations spécifiques, l’approche ethnologique me paraissait particulièrement appropriée pour étudier les représentations, les phénomènes collectifs ainsi que les stratégies individuelles à l’œuvre dans la construction d’un nouveau courant musical. Etre en charge du centre de documentation du Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles m’a permis d’accéder à un poste placé au carrefour de diverses ressources et par conséquent propice à l’observation. D’une part, je devenais moi-même actrice de ce courant musical, pouvant ainsi me livrer à l’observation participante des pratiques lors de manifestations festives, bals et festivals organisés à l’échelle régionale ou nationale. D’autre part, mon métier m’offrait un accès privilégié à la documentation. J’ai ainsi pu exploiter un fonds spécialisé comprenant entre autres des documents inédits et rares car souvent autoproduits par le secteur associatif. J’ai surtout pu consulter des fonds d’enregistrements sonores, et plus rarement audiovisuels, qui ont été confiés à mon organisme professionnel dans le cadre de sa mission régionale par des associations et des collecteurs gascons décrits dans la thèse. Ces collections uniques dont il n’existe qu’un exemplaire sont le fruit des différentes opérations de collectage menées pour la plus grande partie entre 1975 et 1985. Professionnellement, je me suis progressivement spécialisée dans le traitement de ces documents spécifiques et notamment dans leur analyse de contenu précise et normalisée. Cela m’a permis d’observer de près et de comprendre une activité qui, bien qu’accomplie, était rendue vivante grâce à la technologie de l’enregistrement sonore. L’écoute longue et répétée de ces voix fixées sur la bande magnétique et livrées de manière brute, c’est-à-dire sans aucun montage, a progressivement formé mon oreille à une lecture ethnologique de documents dont l’aspect humain est restitué efficacement par le son. Confrontée directement aux voix, j’ai ainsi pu entendre de la bouche des personnes interrogées les silences, les hésitations, les rires gênés exprimant ce qui ne pouvait être dit explicitement, c’est-à- dire le dénigrement, l’oubli ou le refoulement de savoirs autrefois sus ou pratiqués. J’ai également repéré chez certains d’entre eux un ton peu à peu enjoué qui dit la confiance retrouvée et la requalification des savoirs rendue possible par le regard et l’oreille bienveillantes des jeunes collecteurs. Les inflexions de la voix laissent aussi deviner la fierté d’être promu au rang de porteur et de transmetteur de la tradition. J’ai pu noter chez les collecteurs une manière de poser les questions qui trahit le désir de comprendre de l’intérieur malgré une altérité qui s’impose à eux. Quant à leur façon de mener et d’enregistrer la séance, elle révèle une posture de réappropriation volontariste d’un patrimoine considéré comme dû et laisse entrevoir une conception fantasmée et identitaire de la tradition. Ma connaissance professionnelle de ces documents dits « de collectage » a donc eu une incidence directe sur la structure même de la thèse puisque l’activité de collecte des traditions orales et musicales y est proposée comme une thématique centrale à forte valeur heuristique. [3 – Terrain et méthode] Quoique très riche, ce matériau seul n’aurait pu suffire à constituer mon terrain, et je devais le compléter par des entretiens dont j’étais l’initiatrice. Rencontrer, interroger et enregistrer 82 personnes m’a été, en partie, dicté par la nécessité de dresser une histoire de ce renouveau avant d’entreprendre son analyse anthropologique. J’ai ainsi réalisé des entretiens semi directifs qui m’ont permis de comprendre les niveaux d’implication d’acteurs issus de différents courants (courant musical folk, groupes folkloriques, mouvement occitan politique et culturel) sans oublier des représentants locaux des réseaux de l’éducation populaire ou des chercheurs ayant mené en Gascogne un travail de recherche sur la danse traditionnelle. Suscitant un récit biographique, ces entretiens ont permis d’obtenir d’un côté des données factuelles dans lesquelles la part d’implication personnelle est faible et de l’autre des données plus intimes contenant des éléments de l’ordre du symbolique et des représentations, déclenchant parfois des émotions éloquentes. Je dois reconnaître que collecter ce type de matière n’est pas aisé lorsque l’interrogation porte sur une période révolue. Quelques témoins, et surtout ceux dont le parcours artistique est aujourd’hui incontestable, ont montré certaines difficultés, voire réticences, à revenir sur le passé pour se remémorer une époque vieille de trente ans correspondant au moment où leur identité de jeune musicien était en cours d’élaboration. Il m’était par ailleurs impossible de ne pas laisser libre cours à des discours portant sur les parcours actuels d’autant plus qu’ils révélaient des trajectoires riches de sens. J’ajouterai aussi que le regard distancié évoqué plus haut était d’autant plus difficile à avoir que ces corpus oraux enregistrés puis transcrits intégralement, comportaient une part non négligeable d’auto-analyse. Les acteurs de ce mouvement sont effectivement enclins à tenir un discours sur eux- mêmes et à expliciter leur rapport à la tradition, notamment vis-à-vis du grand public qui a parfois du mal à comprendre ce que recouvre le terme de musique traditionnelle. Afin de ne pas m’en tenir aux seuls discours, il était nécessaire de compléter ces entretiens par la littérature spécialisée produite à cette époque tels que - des écrits non édités, parfois manuscrits, que leurs auteurs m’avaient directement procurés, des livrets et pochettes de disque 33T contenant textes et illustrations - ou bien encore des bulletins d’information ou petites revues publiées par le secteur associatif. Produits sur le vif, ces documents ont aujourd’hui la capacité de faire parler les acteurs du renouveau sans qu’il y ait cette distance que tout individu peut prendre par rapport à son vécu ou à des positionnements idéologiques identitaires qui se sont émoussé avec le temps Les entretiens effectués ont eu aussi l’intérêt de faire ressortir des traits communs, des itinéraires similaires permettant ainsi de dégager des profils aux contours bien définis : celui du musicien, du formateur en danse, de l’animateur et responsable associatif, du collecteur- ethnographe. La réalisation des enquêtes orales est un moment captivant dont il est d’ailleurs parfois difficile de s’extraire. J’aurais aimé approfondir uploads/Societe et culture/ un-exemple-de-texte-oral-de-soutenance-d.pdf

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