JOURNAL DU VOYAGE DE MICHEL DE MONTAIGNE EN ITALIE Par la Suisse & l’Allemagne
JOURNAL DU VOYAGE DE MICHEL DE MONTAIGNE EN ITALIE Par la Suisse & l’Allemagne en 1580 & 1581. Avec des Notes par M. de Querlon. TOME PREMIER. A ROME ; Et se trouve à Paris, Chez LE JAY, Librairie, rue Saint- Jacques, au Grand Corneille. M DCC LXXIV. A MONSIEUR LE COMTE DE BUFFON, INTENDANT DU JARDIN DU ROI, DE L’ACADÉMIE FRANÇOISE, DE L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, &c. &c. MONSIEUR, Le premier Livre qu’on dédia, fut un présent de l’amitié : le second fut un hommage au génie, à la supériorité des connoissances, des lumieres, du goût, &c. Je ne chercherai point le motif qui fit dédier le troisième. L’intérêt, la flatterie & la vanité ont tout brouillé depuis longtems chez les hommes : en calculant autant que Newton, on ne trouveroit pas aisément le minimum ou le maximum du procédé moral le moins compliqué. Si je vous présentois, Monsieur, quelque bon ouvrage de Physique, on verroit d’abord le but de mon offrande ; mais dans les Voyages de Montaigne, il n’y a pas même un trait d’Histoire Naturelle. On demandera donc quel rapport j’ai pû trouver entre Montaigne et vous ? Plus que n’en pourront imaginer la plus part des Auteurs à Dédicaces, entre leurs Patrons & les écrits dont il leur font les honneurs. Il y a dans les hommes de génie, quelque intervalle que le genre de leurs facultés semble mettre en eux, un point de contact qui les rapproche. J’ai cru l’appercevoir entre l’Observateur des esprits, du cœur humain, de lui-même, & le Pline François : il m’est devenu même très-sensible. Rien ne m’a donc paru plus simple que de rapprocher deux noms célèbres, qui seront toujours chers aux Gens de bien, aux vrais Philosophes, aux Curieux de la Nature, à toute la Nation, &c. &c. Je suis avec le respect le mieux fondé chez les hommes & le plus réel, MONSIEUR, Votre très-humble & très-obéissant serviteur, QUERLON. DISCOURS PRÉLIMINAIRE I. MONTAIGNE, au troisième Livre de ses Essais, Chap. IX, parle de ses voyages, & particulièrement de celui de Rome. Il rapporte même tout au long les Lettres de Bourgeoisie Romaine qui lui furent accordées par les Conservateurs du Peuple Romain. On savoit donc que Montaigne avoit voyagé en Suisse, en Allemagne, en Italie, & l’on était assez surpris qu’un Observateur de cette trempe, qu’un Ecrivain qui a rempli ses Essais de détails domestiques & personnels, n’eût rien écrit de ses voyages : mais comme on n’en voyait aucunes traces, depuis 180 ans qu’il est mort, on n’y pensoit plus. M. Prunis, Chanoine régulier de Chancelade en Périgord, parcouroit cette Province pour faire des recherches relatives à une Histoire du Périgord qu’il avoit entreprise. Il arrive à l’ancien Château de Montaigne1 possédé par M. le Comte de Ségur de la Roquette2, pour visiter les archives, s’il y en trouvoit. On lui montre un vieux coffre qui renfermoit des papiers condamnés depuis longtemps à l’oubli ; on lui permet d’y fouiller. Il y découvre le Manuscrit original des Voyages de Montaigne, l’unique probablement qui existe. Il obtient de M. de Ségur la permission de l’emporter pour en faire un mûr examen. Après s’être bien convaincu de la légitimité de ce précieux Posthume, il fait un voyage à Paris pour s’en assurer encore mieux par le témoignage de gens de Lettres. Le Manuscrit est examiné par différens Littérateurs, & sur-tout par M. Capperronnier, Garde de la Bibliothèque du Roi : il est unanimement reconnu pour l’autographe des Voyages de Montaigne. Ce Manuscrit forme un petit volume in-folio de 178 pages. L’écriture et le papier sont d’abord incontestablement de la fin du seizième siècle. Quant au langage, on ne sauroit s’y méprendre : on y reconnoît la naïveté, la franchise & l’expression qui sont comme le cachet de Montaigne. Une partie du Manuscrit (un peu plus du tiers) est de la main d’un domestique qui servoit de Secrétaire à Montaigne, & qui parle toujours de son maître à la troisième personne ; mais on voit qu’il écrivoit sous sa dictée, puisqu’on retrouve ici toutes les expressions de Montaigne, & que même en dictant il lui échappe des égoïsmes qui le décèlent. Tout le reste du Manuscrit où Montaigne parle directement & à la premiere personne, est écrit de sa propre main (on a vérifié l’écriture) ; mais, dans cette partie, plus de la moitié de la relation est en Italien. Au surplus s’il s’élevoit quelques doutes sur l’authenticité du manuscrit, il est déposé à la Bibliothèque du Roi, pour y recourir au besoin. Aujoutons, pour l’exactitude, qu’il manque au commencement un ou plusieurs feuillets qui paroissent avoir été déchirés. A ne considérer cet Ecrit posthume de Montaigne que comme un monument historique qui représente l’état de Rome, & d’une grande partie de l’Italie, tel qu’il étoit vers la fin du seizième siècle, il auroit déjà son mérite. Mais la façon dont on voyoit Montaigne ; mais l’énergie, la vérité, la chaleur que son esprit philosophique & son génie imprimoient à toutes les idées qu’il recevoit ou qu’il produisoit, le rendent encore plus précieux. Pour pouvoir donner cet Ouvrage au Public, il falloit commencer par le déchiffrer, & en avoir une copie lisible. Le Chanoine de la Chancelade en avoit fait une ; il avoit même traduit toute la partie Italienne ; mais sa copie était très-fautive, il y avoit des omissions dont le sens souffroit assez fréquemment, & sa traduction de l’Italien étoit encore plus défectueuse. On a donc travaillé d’abord 1 Ce Château, situé dans la Paroisse de Saint-Michel de Montaigne, à 200 ou 300 pas du bourg, à une demi- lieue de la Dordogne, & à deux lieues de la petite Ville de Sainte-Foi, est du Diocèse de Périgueux, & environ à dix lieues de la Ville Episcopale. Il est en bon air, sur un terrain élevé, grand et solidement bâti. Il y a deux tours & des pavillons, avec une grande & belle cour. 2 M. le Comte de Ségur descend, à la sixième génération, d’Eléonor de Montaigne, fille unique de l’Auteur des Essais. Eléonor fut mariée deux fois : elle n’eut point d’enfants du premier lit, & elle épousa en secondes noces Charles, Vicomte de Gamaches. Sa fille unique, Marie de Gamaches, fut marièe à Luis de Lur de Saluces, dit le Baron de Fargues ; elle en eut trois filles. La derniere, Claude-Madelaine de Lur, épousa Elie Isaac de Ségur, dont Jean de Ségur, pere d’Alexandre, & ayeul de M. le Comte de la Roquette, à qui le Château de Montaigne a été dévolu, suivant les dispositions testamentaires du pere d’Eléonor. à transcrire le Manuscrit plus exactement, sans en omettre ni en changer un seul mot. Cette première opération n’étoit pas sans difficulté, tant par la mauvaise écriture du domestique qui tint la plume jusqu’à Rome, que par le peu de correction de Montaigne lui-même, qui dans ses Essais ne nous laisse pas ignorer sa négligence sur ce point3. Ce qui rendoit les deux écritures encore plus difficiles à lire, c’étoit principalement l’orthographe qui ne peut être plus bizarre, plus désordonnée & plus discordante qu’elle l’est dans tout le Manuscrit. Il a fallu de la patience & du tems pour vaincre ces difficultés. Ensuite la nouvelle copie a été bien collationée & vérifiée sur l’original ; M. Capperronnier lui-méme y a donné les plus grands soins. Cette copie remise à l’Editeur, il a vu la nécessité d’y joindre des notes, soit pour expliquer les vieux mots qui ne sont presque plus entendus, soit pour éclaircir l’historique, & faire connoître, autant qu’il étoit possible, les personnages dont parle Montaigne ; mais les notes qu’on y a mises ne sont ni prolixes ni trop nombreuses. Ce n’est pas, comme on le verra de reste, que l’on n’eût pû les multiplier bien davantage, & même les charger de réflexions ; mais en se bornant au pur nécessaire, on a voulu s’éloigner de l’excès de ces commentaires diffus où l’érudition littéraire, & quelquefois philosophique, est prodiguée sans intérêt pour l’Auteur qu’il s’agit d’entendre, ainsi que sans beaucoup de fruit pour ceux qui le cherchent, & ne cherchent point autre chose. Il ne falloit peut- être pas un désintéressement médiocre pour résister à la tentation de se livrer à toutes ses idées, à sa verve même en commentant un écrit de Montaigne ; & je ne sai si l’on ne doit pas nous tenir encore plus de compte de tout ce que nous nous sommes abstenu de faire, que du travail que nous avons fait. Ce que du moins nous ne pouvons taire, ce sont les obligations que nous avons à M. Jamet le jeune, homme de lettres fort instruit, de qui nous avons reçu de grands secours, principalement pour les notes ; dont plusieures lui appartiennent4. La partie de ce Journal qui devoit coûter le plus de peine, étoit sans doute l’Italien de Montaigne, encore plus difficile à lire que le texte françois, tant par sa mauvaise ortographe, que parce qu’il est rempli de licences, de patois différens uploads/Voyage/ jv1-montaigne.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 10, 2022
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- Langue French
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