Page 1 L’orientalisme architectural entre romantisme et positivisme : Le pavill
Page 1 L’orientalisme architectural entre romantisme et positivisme : Le pavillon de la Tunisie revisité « L’étude des arts musulmans, et cela est capital, est une création occidentale du XIXe siècle européen, qui s’est élaborée sans appuis ni contrepoids dans le monde musulman même, l’histoire critique de cette discipline reste encore à faire » (Grabar, 1996, p. 25). Ce témoignage d’Oleg Grabar résume la situation actuelle qu’affronte l’examen des arts islamiques conjointement à une tendance stylistique née, depuis le XVIIe siècle, d’une migration des formes orientales vers des territoires occidentaux. Quand les arts de l’Islam, et en particulier l’œuvre bâtie, ont commencé à se faire une place dans l’histoire de l’art et de l’architecture, leur institution se fondait en grande partie sur les récits de voyages dont le contenu allait de pair avec les conquêtes et l’établissement des colonies. En relativisant le concept de norme et en réinventant celui de style, les premières pages de l’histoire de l’architecture islamique étaient désormais en place dés le premier tiers du XIXe siècle. Fut alors, selon cette formule extraite de l’« Itinéraire de Paris à Jérusalem » de Chateaubriand, une « architecture du désert, enchantée comme les oasis, magique comme les histoires contées sous la tente, mais que les vents peuvent emporter avec le sable qui lui servit de premier fondement » (Chateaubriand, 1859, p. 72). Elle a dû reposer, en profondeur, sur un imaginaire romantique hérité du XVIIIe siècle, en plus d’un précédent idéologique revendiquant la suprématie des arts antiques. Du défenseur de ces derniers ; Quatremère de Qunicy (1755-1849), aux cours de l’histoire de l’architecture de Jean-Nicolas Huyot (1780-1840) à l’école des Beaux-arts, en passant par les œuvres écrites et construites de John Ruskin (1819-1900) et Viollet-le-Duc (1814-1879), l’architecture islamique était tantôt une inspiration byzantine et l’ancêtre directe de l’architecture gothique, tantôt réduite à un amas de motifs décoratifs dits arabes ou orientaux. Une telle attitude a dû évoluer au rythme des voyages et des expéditions militaires intégrant, peu à peu, étudiants et professionnels de l’architecture. À partir de 1840, carnets de croquis, dessins de voyages, planches d’étudiants, etc., sont offerts pour alimenter les premiers rayons des bibliothèques dédiés à l’art et l’architecture islamiques, cas de la bibliothèque de l’école des Beaux-arts (1863) et celle de l’Union Centrale des Arts Décoratifs (1878). De ce répertoire plus ou moins précis de détails architectoniques, et parallèlement à une mode naissante, est née en Europe une architecture éclectique qui n’a qu’un rapport lointain avec les documents publiés. Le principal été de satisfaire une forte demande de produits « exotiques » dont la référence puise, entre autres, dans la littérature et la peinture orientalistes promus essentiellement par les Français et les Anglais. Parallèlement à l’extension des empires coloniaux, des expositions universelles étaient organisées pour reproduire les « couleurs locales » et doter les Occidentaux d’une meilleure connaissance de l’Autre. Au sein de ces expositions, il y a eu la découverte de nouvelles formes orientales, notamment, maghrébines. Conséquemment, un néo-style s’est rapidement répandu en Europe avant d’être calqué sur les façades des villes européennes nées au seuil même des médinas indigènes. Page 2 Certes, la tendance en vogue a su plaire aux assoiffés d’orientalisme, néanmoins, une critique positiviste n’a pas tardé à se soulever contre un mouvement, de plus en plus lié aux manipulations coloniales. La volonté de rompre avec la surcharge du romantisme et de mener une réflexion sur les rapports de l’interprétation à la source a coïncidé avec les premiers jets du mouvement moderne. L’appel au rationalisme formel et fonctionnel a ainsi repositionné, architectes et théoriciens de l’architecture, par rapport à une nouvelle définition de l’ornement. L’énergie intellectuelle s’est tourné vers le modèle philosophique où la dimension esthétique lui été exclusive depuis Platon et Aristote, réinventée par Hegel et Kant, et prise peu après comme une discipline à part entière dans la philosophie occidentale. Il a bien fallu attendre les dernières décennies du XXe siècle pour voir apparaitre les premiers ouvrages réflexifs dédiés à l’architecture islamique. Peu nombreux, ils insistent sur un retour aux sources, vers les fondements philosophiques et théologiques tissés par des auteurs comme Al-Ghazali, Ibn Al- Arabi et bien d’autres penseurs d’un âge d’or jusqu’à présent peu revisité. En revanche, alors que les arts de l’Islam commençaient à assoir les piliers d’un projet philosophico-réflexif, les études récentes d’une littérature comparée ont suscité le retour aux périodes d’occupation, et notamment les limites d’une instrumentalisation des arts au profit du projet colonial. Les néo-styles de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, en l’occurrence le néo-moresque, semblent avoir participé, de près, au projet colonial et leur étude se voit de plus en plus liée au discours politique y afférant. En outre, l’émergence du concept d’authenticité parallèlement à la notion du patrimoine, a éveillé le questionnement autour de la valeur historique d’un paysage métisse, a fortiori, pris par plusieurs comme une solution modernisatrice des arts indigènes. En oscillant entre l’originel et l’original, la production architecturale postcoloniale se voit déchirée entre l’acceptation et le refus d’une référence arabisante, désormais, partie prenante de l’histoire architecturale des anciennes colonies. Loin de canaliser de cette réflexion vers une forme d’occidentalisme, nous nous proposons de dresser le portrait de ce néo-style par référence à quelques participations clés du pavillon tunisien dans les expositions universelles. Notre choix se fonde sur deux points : puisque ce style ambivalent est né en Europe, vaut mieux chercher à le comprendre au-delà des colonies qui n’ont fait que subir son infiltration, de plus, le pavillon, avant et après la colonisation, se présente comme l’accomplissement d’un modèle à suivre, donc la synthèse qui découle d’un degré d’assimilation des architectures indigènes. Pour se faire, une première partie est dédiée à une remise en question des appellations « arabisances » et « néo-mauresque » parallèlement à un paradigme montant ; l’orientalisme architectural. Une seconde partie est consacrée aux caractéristiques du néo-style et leur évolution dans le temps et dans l’espace. Une troisième et dernière partie se veut un arrêt sur un pavillon exemplaire de la période postcoloniale ainsi qu’une réflexion sur la valeur authentique de l’héritage légué par le protectorat. Page 3 1- « Arabisances » versus orientalisme architectural : naissance d’un paradigme. Dans un texte publié en 19831, où François Béguin approfondissait les résultats d’une recherche faite en 1977 sur la « multiplicité de plissements architecturaux qui stratifient les paysages construits par la France à différentes époques de son histoire » (Béguin, 1983, p. 1) en Afrique du Nord, l’auteur proposait le terme « arabisances » pour désigner un répertoire de formes architecturales, largement variées, d’inspiration « arabe ». « […] Pour caractériser un air de famille, nous disait-il, nous avions rassemblé sous ce mot de très nombreuses traces d’arabisation des formes architecturales importées d’Europe. » (Béguin, 1983, p. 1). Sont alors des formes architecturales nées en Europe puis repeintes sur une toile de fond nord-africaine parallèlement à l’installation de la colonisation française. Une telle définition nous ramène tout droit vers « le style café », dit encore, néo-mauresque qui semble partager les mêmes caractéristiques des « arabisances ». Si nous avons à le définir, le néo-mauresque serait une réactualisation du style mauresque et caractérisé par la greffe d’un décor extrêmement chargé, inspiré des turqueries, du palais de l’Alhambra et d’une ornementation locale arrachée aux intérieurs et agencée sur les façades des constructions européennes pour des raisons esthétiques, omission faite de sa valeur signifiante initiale. Il est communément connu par l’étiquette « style Jonnart » par référence au gouverneur de l’Algérie Charles Célestin Auguste Jonnart (1857-1927). C’est en grande partie à Jonnart que revient l’impulsion d’un art officiel néo-algérien se voulant la conciliation entre les cultures arabo-islamique locale et française. Le gouverneur y voyait le manifeste de sa politique culturelle indigène tant conseillée aux colons dans son rapport de 1892 où il exhortait à l’établissement de meilleurs rapports entre les populations européennes et autochtones (Oulebsir, 2004, p. 335). Le style Jonnart est aussi nommé par certains auteurs ; style hispano-mauresque, arabo-andalou, arabo-islamique, oriental, turco-andalou, etc., l’appellation même de cette forme d’ « arabisances » pose problème. Nous le voyons nettement dans l’attitude de plusieurs historiens de l’architecture et des arts connexes aux arts de l’Islam qui, pour échapper à la frivolité d’une lecture indécise amassant un vocabulaire stylistique amplement varié, se voient obligés de consacrer une partie de leurs introductions, et parfois un chapitre ou deux, à la délimitation des aires géographiques et temporelles à l’étude. C’est le cas de Béguin dans l’indication « la présence française en Afrique du Nord ». L’est aussi dans l’introduction que donne Dominique Clevenot à son « Esthétique du voile : essai sur l’art arabo-islamique »2 (1994). Oleg Grabar en a fait de même dans les deux premiers chapitres de « La formation de l’art islamique » (1987). Cependant, en dépit de ces précisions, la critique demeure présente et des questions ayant trait aux origines stylistiques et spatiotemporelles des « arabisances », 1 Béguin, François, Arabisances, Paris, Dunod, 1983 : Recherche remise au secrétariat du comité de uploads/s3/ 16-meddeb-nader-arabisances.pdf
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- Publié le Fev 17, 2022
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