Emmanuel Thiry - Histoire de la danse 23 1 L’école expressionniste germanique a

Emmanuel Thiry - Histoire de la danse 23 1 L’école expressionniste germanique au XXe siècle L’expressionnisme: Ce mouvement artistique trouve son origine chez des artistes comme Emile Nolde (1867-1956), peintre allemand, Edvard Munch (1863-1944), peintre norvégien. Tous deux traitent l’angoisse, l’amour, la mort, l’oppression (cf. Munch: le cri). Le terme expressionnisme aurait été employé par des peintres français dès 1908 et repris en 1914 par les allemands. Il s’agit de l’expression intense de thèmes angoissants ou tragiques. Parmi les artistes expressionnistes, citons le cinéaste autrichien Fritz Lang (Métropolis en 1926), les écrivains Ernst Toller (1893-1939) (Destructeurs de machines, Requiem pour les frères assassinés), et Bertold Brecht (1898 -1956). Ce dernier écrit notamment Tambours dans la nuit d’après ses impressions dans un hôpital pendant la guerre au front et le célèbre opéra de quat’sous (1928); il est chassé par les nazis, s’exile pour ne revenir qu’en 1948. Ce mouvement est lié aux événements en Allemagne de 1914 à 1945 qui marquent toute une génération dont notamment Marie Wigman (cf. infra). L’initiateur de l’école expressionniste de danse se nomme Emile Jacques Dalcroze (1865-1950). Au départ, ce professeur de musique au conservatoire de Genève s’intéresse à l’éducation corporelle pour les musiciens et n’imagine pas que ses principes seront appliqués à la danse. Pour lui, le corps est le lien entre la pensée et la musique. le rythme ne peut être perçu que par le mouvement. En analysant le mouvement en fonction du rythme, il retrouve les mêmes principes découverts par la Denishawnschool: tension-détente (tension-release), contraction- décontraction, ou encore fall-recovery (Humphrey); mais il approfondit cette idée en notant que l’économie des forces musculaires supprime les mouvements parasites et rend le geste plus efficace et signifiant. A partir de ces constatations, il met au point toute une éducation psychomotrice fondée sur le travail rythmique lié au geste à travers un solfège corporel de plus en plus complexe. Ses jugements sur la danse rappellent ceux de Noverre: « Le geste en lui même n’est rien, sa valeur réside tout entière dans le sentiment qui l’anime, et la danse la plus riche en combinaisons techniques d’attitudes corporelles ne sera jamais qu’un divertissement sans portée ni valeur, si son but n’est pas de peindre en mouvements les émotions humaines ». Diaghilev le découvre en 1913 et lui demande une analyse des rythmes du Sacre du printemps de Stravinsky qui lui sera donnée par Marie Rambert (fondatrice du ballet anglais). Elle fait travailler Nijinsky avec la méthode dalcrozienne. S’il connaît un succès à travers toute l’Europe (Angleterre, un peu opéra de Paris), le dalcrozisme rayonne surtout sur l’Allemagne grâce à Mary Wigman qui vient travailler à son institut de Hellerau (fondé en 1910) et sur les Etats Unis par l’intermédiaire de Hanya Holm. Un siècle de danse : la danse expressionniste allemande Emmanuel Thiry - Histoire de la danse 23 2 Rudolf Von Laban (1879-1958) Après des études aux beaux-arts à Paris, il se fixe en Suisse pendant la première guerre mondiale, y ouvre une école d’art du mouvement. Mary Wigman devient son élève puis son assistante. C’est lui qui jette les bases d’une nouvelle danse en rapport avec Vienne au début XXe. Il est aussi le premier à évoquer l’idée d’un Tanz Theater. Il commence aussi à élaborer sa méthode de notation de la danse. Cette « labanotation » est au point dès 1926 (publication de sa Schriftanz). Cette méthode permet de travailler chacun de son côté une « partition » puis de regrouper ensuite les danseurs pour des exécutions de masse. Le national-socialisme d’Hitler naissant l’exploite pour ses manifestations de masse: 2000 participants à Vienne, 500 à Mannheim, et 1000 pour l’ouverture des Jeux olympiques de Berlin en 1936 où chaque groupe évolue sur des mouvements rythmiques d’ensemble sans répétition générale. En opposition avec le régime hitlérien, il s’enfuit ensuite à Paris puis à Londres (1938) où il fonde en 1941 un centre de modern educational dance. Sa méthode est également utilisée pour l’organisation du travail en renfort du taylorisme.1 (cf son livre « effort »). Il publie plusieurs ouvrages où l’on trouve des notions dépassant la pure notation de la danse pour s’intéresser aux problèmes esthétiques de la danse. Le principe de base de la labanotation est le suivant: l’espace est divisé en 3 niveaux (horizontal, vertical et axial) sur lesquels s’inscrivent 12 directions de mouvements. Cette méthode est celle qui permet de conserver des chorégraphies avec le plus de précision (la méthode Benesch inventée par la suite est plus facile d’accès mais moins précise). Ses études de mouvement rejoignent celles de la modern dance américaine: mouvements centrifuges, centripètes, continus en forme de huit, notion de dynamisme par la prise de conscience de la pesanteur... Le mouvement dépend de l’Espace (lui-même lié aux notions d’énergie et de forme), du temps, du poids et du flux. Il le structure suivant la forme d'un icosaèdre (polyèdre ou solide contenant 20 faces triangulaires) à l’intérieur duquel le danseur se trouve. Cette forme permet de visualiser le mouvement en trois dimensions. Diagramme de l’effort selon Laban L’icosaèdre 1 méthode d’organisation scientifique du travail industriel (inventée par l’ingénieur du même nom) encourageant l’utilisation maximale de l’outillage, la spécialisation stricte et la suppression des geste inutiles. Emmanuel Thiry - Histoire de la danse 23 3 Laban considère la danse comme un moyen de dire l’indicible de même que la poésie dépasse le sens strict des mots. Elle doit dire ce que la parole ne peut dire (cf. le peintre Kandinsky pour qui la peinture doit exprimer l’invisible). Elle permet à l’homme de se transcender. Mary Wigman (1886-1973) 1. Contexte historique. Elle a 28 ans lorsqu’éclate la première guerre mondiale, l’un des plus effroyables cataclysmes qu’aient connu l’humanité (10 millions de morts en 4 ans), puis subira la montée du nazisme qui s’achèvera par un second cataclysme, la deuxième guerre mondiale. Elle ressent physiquement cette grande tragédie humaine. Son art est par conséquent marqué par le désespoir et la révolte. Sa vision tragique de l’existence éphémère est rendue par un expressionnisme violent, une constante de l’art germanique de cette période. 2. Ses études, ses influences. Après des études de littérature et musique (chant), elle étudie à 24 ans la danse à Hellerau, mais la pédagogie dalcrozienne lui semble trop pesante. Le peintre Nolde lui apprend à découvrir l’essence en exagérant les apparences. Enfin, elle se met à l’école Laban en Suisse et reste avec lui de 1913 à1919; elle s’accorde avec lui sur le sens profond de la danse: tout ce qui gît caché dans l’homme. 3. Son oeuvre Ses grandes chorégraphies: Hexentanz (danse de la sorcière, 1913), Totentanz (danse des morts, 1917), Die Feier (la fête, 1928), Das Totenmal (le monument aux morts, 1930), Das Opfer (le sacrifice, présenté aux Etats Unis entre 1931 et 1933). Si son importance est vite reconnue aux Etats Unis (rencontres de Bennington College, école de New York dont Hanya Holm prend la direction), les nazis ferment en revanche en 1940 son école de Dresde, qualifiée de « centre d’art dégénéré ». Elle choisit cependant de rester dans son pays. les thèmes qu’elle traitera après la deuxième guerre mondiale seront plus apaisés. Elle a écrit un livre: Die Sprache des Tanzes (1963). 4. Sa danse, son langage Elle ne cherche pas le brillant ni la légèreté mais la concentration, la puissance de l’expression. Elle a un contact étroit avec le sol. Emmanuel Thiry - Histoire de la danse 23 4 Debout, elle se tient tête baissée, épaules tombantes (terreur, solitude, chez Delsarte). Elle lutte contre les forces qui s’opposent à la vie pour mener l’humanité du chaos primitif à la vie spirituelle. Pour elle, former le danseur, c’est donc le rendre conscient des poussées obscures qui l’habitent: pas de « dressage » corporel, ni de système préétabli. Sur le plan technique, elle fait partir le mouvement du tronc comme pour l’école américaine. La musique lui paraît le moyen d’une union indissociable entre le rythme corporel et le rythme mental (cf Jacques Dalcroze). Elle a un goût particulier pour le gamelan (balinais), mais il lui arrive aussi de danser sans musique comme dans Hexentanz. Elle contribue à libérer le danseur du vocabulaire corporel pour lui donner l’entière responsabilité de l’expression. On retrouvera ces tendances profondes chez les américains Alvin Nikolais et ses héritiers, Susan Buirge et Carolyn Carlson. Kurt Jooss (1901-1979). Il se forme à la danse avec Rudolf von Laban. Il reçoit également une formation musicale et théâtrale. Après avoir constitué son premier groupe de danse à Munster (la Neue Tanzbühne), il se fixe à Essen où il crée une école de danse, le Folkwang, et un groupe chorégraphique qui va s’intégrer à l’opéra dont il devient maître de ballet. En 1932, il crée la table verte , son chef-d’oeuvre, qui est toujours représenté aujourd’hui. Dès cette chorégraphie, son style est caractéristique: danse et art du théâtre (et plus particulièrement le mime) sont mêlés. La table verte est un ballet exprimant satire et révolte vis à vis des diplomates semblables à des marionnettes, qui discutent sans fin uploads/s3/ 23-ecole-germanique 1 .pdf

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