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HAL Id: hal-01202914 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01202914v2 Submitted on 23 Sep 2015 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Adorno et la génération de Darmstadt. Un commentaire critique Makis Solomos To cite this version: Makis Solomos. Adorno et la génération de Darmstadt. Un commentaire critique. Hugues Dufourt; Joël-Marie Fauquet. La musique depuis 1945. Matériau, esthétique et perception, Mardaga, p. 119- 132, 1996. hal-01202914v2 ADORNO ET LA GÉNÉRATION DE DARMSTADT. UN COMMENTAIRE CRITIQUE Makis Solomos De la très grande production d'écrits, conférences et critiques de Theodor W. Adorno consacrée à la musique1, une très petite partie traite de la génération de Darmstadt. Le philosophe "critique" (au sens de la "théorie critique") et musicologue (ainsi que compositeur à ses débuts) a pourtant fréquenté d'une manière assidue (y donnant de nombreuses conférences) les Ferienkurse de Darmstadt2. Il est certain que le décalage des générations (Adorno est né en 1903, les compositeurs de la génération en question, aux alentours de 1925) explique en partie sa réticence à parler de leur musique. D'autres facteurs ont aussi dû agir : ainsi, interpréter comme de la malice le texte suivant : "Un musicien et un théoricien de la musique de mon âge, et ayant le passé que j'ai, se trouve aujourd'hui dans une fâcheuse alternative. D'un côté, l'attitude qui consiste à ne pas vouloir aller plus loin : se cramponner à sa propre jeunesse comme si on avait pris le modernisme à bail, se raidir contre tout ce à 1Les références des textes d'Adorno que nous citerons seront données sous la forme des abréviations suivantes : -AB : Alban Berg. Le maître de la transition infinie [1968], Paris, Gallimard, 1989. -EW : Essai sur Wagner [écrit en 1937-38], traduction de H. Hildenbrand et A. Lindenberg, Paris, Gallimard, 1966. -GLM : "Zur gesellschaftlichen Lage der Musik" [1932], Gesammelte Schriften vol.18, Frankfurt am Main, Surhrkamp, 1984, pp.729-777. -ISM : Introduction à la sociologie de la musique [1962], traduction de V. Barras et C. Russi, Genève, Contrechamps, 1994. -M : Mahler. Une physionomie musicale [1960], traduction de J.-L. Leleu et Th. Leydenbach, Paris, Minuit, 1976. -MNM : "Musique et nouvelle musique" [conférence de 1960], dans Quasi una fantasia, traduction de J.-L. Leleu, Paris, Gallimard, 1982, pp.271-288. -PNM : Philosophie de la nouvelle musique [1949], traduction de H. Hildenbrand et A. Lindenberg, Paris, Gallimard, 1962. -TE : Théorie Esthétique [1970], traduction de M. Jimenez, Paris, Klincksieck, 1982. -VMI : "Vers une musique informelle" [conférence de 1961], dans Quasi una fantasia, op. cit., pp.291-340. 2Sur la participation d'Adorno aux séminaires de Darmstadt, cf. Antonio TRUDU, La "Scuola" di Darmstadt, Milano, Ricordi, 1992, passim et, plus particulièrement, p.349. quoi on n'a plus accès par des expériences, ou au moins par les formes de réaction les plus primaires. […] A l'inverse, on voit souvent les musiciens d'un certain âge, pour ne pas être mis au rebut, témoigner un intérêt excessif, plus ou moins contraint et impuissant, à la production la plus récente. Pour toute récompense, les jeunes compositeurs se moquent généralement, à bon droit, des réflexions que leur musique inspire à ces aînés ; au mieux, ils les laissent passer pour leur valeur publicitaire" [VMI, pp.291- 292], avec lequel Adorno commence une de ses conférences à Darmstadt, ne nous semble pas relever de l'exagération, si l'on tient compte du climat sans doute un peu trop "enthousiaste" qui devait régner chez les jeunes défenseurs de la nouvelle Neue Musik ! Mais, le facteur décisif reste son jugement à l'égard de leurs œuvres. On sait qu'Adorno s'est fait le défenseur de la première modernité musicale, celle de Schönberg, malgré les critiques parfois très tranchées que contient sa Philosophie de la nouvelle musique à l'égard de celui-ci. Or, déjà avec Webern — qui, précisément, établit un pont entre Schönberg et les compositeurs en question, du moins dans leur vision de l'histoire musicale —, Adorno est resté sceptique. Face à la seconde modernité, celle de Darmstadt, son jugement bascule dans la critique radicale, même si cette critique n'atteint pas le degré qu'elle avait déployé pour Stravinsky. Trois conférences nous serviront ici pour tenter de commenter cette critique, toutes trois données entre 1960 et 1962 : "Musique et nouvelle musique" [MNM], "Vers une musique informelle" [VMI] et "Modernité" [qui constitue un des chapitres de l'Introduction à la sociologie de la musique, ISM]. Comment, aujourd'hui, interpréter cette critique ? Face à cette question, nous avons adopté le parti pris suivant. Dans un premier temps, après avoir dégagé son centre de gravité, nous nous focaliserons sur quelques uns de ses éléments, nous identifiant à Adorno et allant jusqu'à une critique encore plus tranchée de la génération de Darmstadt, entendue ici comme synonyme de l'avant-garde musicale européenne de l'après 1945 (incluant par exemple un Xenakis). Puis, partant de son premier élément, nous tenterons de la renverser — il ne s'agira donc pas seulement d'opérer un "sauvetage" (Rettung) à la manière propre à Adorno, mais d'indiquer que sa critique, sur l'élément précis en question, en étant poussée à son point culminant, peut déboucher sur une vision radicalement différente des choses. Précisons que le second volet de ce commentaire critique3 possède trois incitations, de nature différente. En premier lieu, il nous semble que, avec le recul actuel, une réévaluation de cette musique est possible, qu'elle ne risque pas de retomber dans l'apologie qui a souvent guidé les commentaires des compositeurs et des musicologues de l'époque — une tendance bien compréhensible si l'on tient compte de l'ostracisme qu'ils avaient à subir — et que, en outre, elle est devenue nécessaire pour répondre (dans un contexte musicologique et non polémique, naturellement) aux tentatives de réécriture de l'histoire qui ont lieu actuellement. En second lieu, si des œuvres comme Structures (livre I, 1951-52), Zeitmasse (1955-56) ou Achorripsis (1956-57) (pour ne citer que des pièces de trois compositeurs clefs de l'époque, Boulez, Stockhausen et Xenakis) ont quelque chose d'une Aufklärung qui aurait débouché sur l'adjectif illuminé dans son sens péjoratif — nous venons de toucher au noyau de la critique adornienne —, que dire du Marteau sans maître (1953-55), du Gesang der Jüngliche (1955- 56), de Pithoprakta (1954-55), trois œuvres des mêmes compositeurs ? Ces compositions ne sont pas uniquement, par rapport aux autres pièces citées, dans la relation de l'œuvre accomplie à la pièce expérimentale (à l'étude) — cela est évident pour Xenakis du simple fait de la chronologie. Encore moins marquent-elles un tournant dans la problématisation musicale. Elles sont belles tout simplement et nous souhaiterions les séparer de la grisaille qui, de tous temps, entoure la réussite ! Enfin, troisième incitation (qui rejoint la première) au second volet de ce commentaire critique, nous estimons qu'Adorno n'a pas eu le temps nécessaire pour saisir toutes les implications d'une mutation essentielle qui s'est progressivement effectuée au sein de la modernité musicale (mutation qui s'amorce dès Wagner), se limitant à ses aspects les plus sombres : l'émergence d'une spatialité musicale non réductible à la conception classique de l'espace. 3Ajoutons aussi que, dans ce second volet, nous nous limiterons à quelques brèves conclusions esthétiques qui découlent d'analyses techniques effectuées dans d'autres cadres — cf. notamment A propos des premières œuvres de I. Xenakis. Pour une approche historique du phénomène de l'émergence du son (thèse de doctorat, Université de Paris IV, 1993), "L'interrelation conception-perception dans Le Marteau sans maître. Esquisse d'un modèle d'analyse" (dans DELIÈGE Irène (éd.), Actes de la 3ème Conférence Internationale pour la Perception et la Cognition musicales, Liège, ESCOM, 1994, pp.205-206), "Le silence chez Boulez et Xenakis dans les années 1950-60" (Les Cahiers du CIREM n°32-34, 1994, pp.127-136) et "Lectures d'Ionisation" (Percussions n°40, 1995, pp.11-27). A. UNE MUSIQUE A CARACTÈRE IDÉOLOGIQUE Les textes d'Adorno sur la musique ont pour centre de gravité les relations musique- société : l'un de ses premiers écrits développés (publié en 1932) s'intitule "Sur la situation sociale de la musique" [GLM] ; son dernier grand travail, la Théorie Esthétique (paru après sa mort, en 1970) [TE], se conclut sur le chapitre "Société" ; par ailleurs, son livre sur Wagner [EW] — de même probablement que ses deux autres monographies musicales achevées, sur Mahler [M] et Berg [AB] — a pour but, "au lieu de juxtaposer stérilement musique et interprétation sociale, d'ébaucher du moins des modèles de leur unité concrète" [ISM, p.69] ; ou encore, l'écrit fondamental sur Schönberg contenu dans la Philosophie de la nouvelle musique (rédigé en 1940-41) s'achève aussi par un paragraphe intitulé "Position à l'égard de la société" et contient la fameuse définition du matériau musical comme "esprit sédimenté, [comme] quelque chose de socialement préformé à travers la conscience des hommes" [PNM, p.45] ; enfin, Adorno a publié en 1962 un uploads/s3/ adoorno-et-la-generation-de-darmstadt.pdf
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