Caroline GUIBET LAFAYE L’ARCHITECTURE DE LA POSTMODERNITÉ : DE LA FORME AU SYMB
Caroline GUIBET LAFAYE L’ARCHITECTURE DE LA POSTMODERNITÉ : DE LA FORME AU SYMBOLE Article paru dans le Recueil des travaux du département de Philosophie et de la Faculté des Arts de l’Université Masaryk de Brno (République tchèque). 2 L’ARCHITECTURE de la POSTMODERNITÉ : DE LA FORME AU SYMBOLE « La postmodernité n’est pas un mouvement ni un courant artistique. C’est bien plus l’expression momentanée d’une crise de la modernité qui frappe la société occidentale, et en particulier les pays les plus industrialisés de la planète. (…) Elle tient aujourd’hui une place considérable dans le débat esthétique sur l’art contemporain »1. Les manifestations artistiques contemporaines seraient donc l’expression plastique de cette crise. Il n’y aurait par conséquent d’art postmoderne qu’en un sens faible, c’est-à-dire comme simple reflet des traits dominants de la postmodernité. Dans cette perspective, la quête d’un art authentiquement postmoderne, défini par des caractéristiques spécifiques et positives, semble vaine. Pourtant la crise qui touche notre société a également ébranlé les valeurs esthétiques du modernisme. Est-ce à dire que l’art postmoderne est simple ré-action, anti-modernisme ? A ce titre il n’y aurait entre l’art moderne et l a postmodernité aucune rupture, puisque ce qui critique demeure dans la continuité de ce qu’il critique. La tendance à réactiver la fonction critique et autocritique de l’art, défendue par le modernisme, fait de l’art postmoderne une exacerbation de ce dernier. Le postmodernisme artistique désignerait alors une simple période chronologique2. Le concept de modernisme en art est, depuis les années 1950, ambigu. Celui qui est directement issu des thèses de Clement Greenberg et de ses disciples ne désigne qu’un faible nombre d’artistes et une acception restreinte du modernisme. En un sens large, il qualifie les œuvres qui, à partir de l’impressionnisme, manifestent une tendance à la réflexivité et à l’autodéfinition. Ainsi d’un côté, les artistes minimalistes des années 1960 rejettent le modernisme au premier sens, pour élargir les possibilités de réflexivité artistique au-delà des limites où Greenberg l’enfermait. D’un autre côté, en revanche, la Trans-avant-garde ou la Nouvelle Figuration rejettent le modernisme en un sens large, en refusant toute réflexivité. Ainsi s’explique que « bon nombre d’artistes dits ‘post-modernistes’ ou ‘post-modernes’ participent de l’idéologie moderniste (au sens large) dès lors qu’ils conçoivent leur pratique comme une forme d’autocritique artistique »3. Qu’en est-il de l’architecture de la seconde moitié du XXe siècle ? Au-delà de l’identification des limites historiques du postmodernisme, c’est la possibilité même d’un art et en particulier d’une architecture postmodernes qu’il faut interroger. Seule l’élucidation des principes de l’architecture contemporaine permettra de dire si elle n’est que l’expression d’une crise historique et artistique. Notre hypothèse est plutôt que la raison de la distinction entre un art moderniste et un art postmoderne tient à la nature de l’interprétation de la signification qui s’y élabore et que produisent les œuvres. 1 Marc Jimenez, Qu'est-ce que l'esthétique ?, Gallimard, Folio Essais, Paris, 1997 ; p. 418. 2 J.-F. Lyotard, Le postmodernisme expliqué aux enfants, Galilée, Le livre de poche, Biblio Essais, Paris, 1988 ; p. 108. 3 R. Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Paris, Macula, 1993 ; note 3 du traducteur (J.-P. Criqui), p. 13. L’architecture de la postmodernité : de la forme au symbole 3 Le sens de l’histoire de l’art. L’évolution dans l’interprétation de la signification, portée par les œuvres, s’appréhende d’abord, au plan théorique dans la saisie et la conceptualisation renouvelées de l’histoire de l’art. L’abandon postmoderne des « métarécits », des narrations à fonction légitimante1, qui exprime le renoncement à l’unification de la multiplicité des perspectives sous une unique interprétation totalisante, travaille également la critique d’art. La construction moderniste de l’histoire de l’art l’interprète comme un progrès continu, unique et linéaire. Cette vision idéaliste, conceptualisée par Clement Greenberg, repose sur deux principes. Elle conçoit « le champ de la production artistique comme simultanément intemporel et en constante mutation »2. Elle fait de l’art, de la peinture ou de la sculpture des essences universelles, transhistoriques, et forge une nécessaire continuité entre les manifestations artistiques de la modernité3. Pourtant cette élaboration de la signification, selon la linéarité historique, se voit sous l’influence du structuralisme et du poststructuralisme soumise à révision. Les formes intemporelles et transhistoriques, les essences universelles du modernisme, au sein desquelles tout développement esthétique aurait lieu et à l’aide desquelles toute manifestation artistique serait intelligible sont réintégrées, par le poststructuralisme, en particulier, dans le processus historique. Contre le modernisme, le structuralisme refuse de recourir à la linéarité historique, comme trame homogène et continue, pour rendre compte de la manière dont les œuvres d’art – et, de façon générale, les productions culturelles – produisent du sens. La naissance de l’architecture postmoderne : les limites de l’historicisme. « L’architecture moderne est morte à Saint Louis, Missouri, le 15 juillet 1972 à quinze heure trente-deux »4, avec la destruction de l’ensemble de Pruitt-Igoe, primé en 1951 par le Congrès international d’architecture moderne. Elle est le premier domaine artistique où, aux Etats-Unis dans les années soixante, le mot d’ordre du modernisme cesse de se faire entendre. Bien que son avènement s oit présenté par Charles Jencks comme une rupture de nature historique, cette dernière ne peut, à elle seule, rendre compte du postmodernisme architectural. Non seulement sa naissance est antérieure à la date symboliquement proposée par Charles Jencks5, mais surtout l e concept même de « postmodernisme » est plurivoque. Son sens s’est transformé aussi bien en architecture de 1970 à 1995, que dans des domaines non artistiques, selon la signification attribuée au « modernisme ». Les architectes postmodernes ont redéfini le modernisme. Afin de servir leurs propres thèses, « les tenants du postmodernisme se sont inventé un Mouvement moderne ‘monologique’ et stéréotypé »6, rendu ainsi plus aisément contestable. 1 J.-F. Lyotard, Le postmodernisme expliqué aux enfants, p. 38. 2 R. Krauss, L’originalité de l’avant-garde, p. 7. 3 C. Greenberg, Art et culture, Beacon Press, Boston, 1961 ; traduit en français aux éditions Macula, Paris, 1988, p. 228. 4 C. Jencks, The Language of Post-Modern Architecture, Academy Editions, Londres, 1991 ; p. 23. 5 Certains discernent les premières manifestations du postmodernisme dans l’architecture italienne postmussolinienne de la fin des années 1940 et du début des années 1950. 6 Y.-A. Bois, « Modernisme et postmodernisme », Encyclopedia Universalis, Symposium, tome I « Les enjeux », p. 484. L’architecture de la postmodernité : de la forme au symbole 4 Une esthétique formaliste : le modernisme. La première génération des architectes modernistes, avec Le Corbusier, Ludwig Mies van der Rohe, Walter Gropius fait de la forme son objet principal. L’architecture, aux Etats- Unis surtout, valorise la pureté formelle, la forme épurée, engendrée à partir des qualités architectoniques et plastiques des nouvelles technologies des années 1920 (ossature métallique, mur-rideau de verre, béton). Ce déterminisme technologique induit un parti pris fonctionnaliste, selon lequel « la fonction dicte la forme ». Contre cette prééminence de la forme, déployée au détriment de l’ornement, une nouvelle esthétique se fait jour. Un apparent déclin des symboles populaires semble s’être produit dans l’art des « architectes modernes orthodoxes qui évitaient tout symbolisme des formes qu’ils considéraient comme une expression ou un renforcement du contenu : car la signification ne devait pas être communiquée à travers des allusions à des formes déjà connues, mais par des caractéristiques physionomiques inhérentes à la forme. La création de la forme architecturale devait être un processus logique, dégagé de toutes les images déjà expérimentées, déterminé uniquement par le programme et la structure, avec le concours occasionnel (…) de l’intuition »1. Concentrant leur attention sur la forme, les architectes modernistes se sont portés soit vers le fonctionnalisme, soit vers une interprétation de l’architecture et de ses formes comme moyen d’expression esthétique libre et personnel. L’architecte est alors investi du pouvoir de créer des formes, dans lesquelles il s’exprime sans contrainte. La première génération des architectes modernistes a conféré à la forme un pouvoir de transformation du monde et a nourri l’espoir que le changement social accompagnerait une esthétique novatrice. Pourtant le travail artistique sur la forme pure, sur l’expression esthétique les a détournés des questions sociales et urbanistiques (attention à l’environnement, aux difficultés et aux progrès sociaux, en particulier). Ce modernisme utopique a fait l’objet, à partir des années 1960, des critiques des architectes postmodernes. « De l’ambiguïté en architecture ». Les principes architecturaux de Robert Venturi, théoricien et architecte, initient ce qui, depuis le début des années 1970, se nomme postmodernisme. Contre l’« architecture moderne orthodoxe », R. Venturi accorde sa préférence au « désordre de la vie »2. Contre l’« évidence de l’unité » et la clarté des moyens, il en valorise la richesse. A « l’architecture moderne orthodoxe » et à « la tradition du ‘l’un ou l’autre’ », il oppose « une architecture de complexité et de contradictions qui cherche à intégrer (‘à la fois’) plutôt qu’[à] exclure (‘l’un et l’autre’) »3. L’éclectisme devient une arme critique contre le modernisme américain. La mise en évidence d’une pluralité de significations et de niveaux de signification dissout le lien étroit et univoque, postulé par le modernisme, uploads/s3/ arch-postmodernite-brno.pdf
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- Publié le Sep 09, 2022
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