- 2 - A l’aube du IIIème millénaire, je vous invite dans la machine à remonter

- 2 - A l’aube du IIIème millénaire, je vous invite dans la machine à remonter le temps et je vous dépose sur l’île de Iona en l’an 790. Quitter Iona... Quitter Iona... Quitter Iona... Quitter Iona... Quitter Iona... C’est l’aube : les premiers rayons du soleil caressent la pierre rose du monastère. Dans le scriptorium silencieux, les flammes des bougies allongent encore les ombres des moines copistes penchés sur le vélin depuis les prières de mâtines. Ils sont là, trois scribes et quatre enlumineurs. L’un d’eux, Alberic’h, déjà âgé, s’approche d’une fenêtre pour scruter l’état du velum et déterminer la place des trous de larves ou les imperfections de la peau. Son ingéniosité lui permettra d’en tirer parti en les intégrant dans sa décoration. Il laisse quelques instants errer son regard, au-delà du cimetière qui entoure le monastère, sur la mer éton- namment bleue et calme, sur les collines vertes de Mull. Pourtant, il est inquiet : il sait que les Vikings pillent et anéantissent les monastères isolés. Les moines de Iona devraient-ils fuir ? Il secoue la tête comme pour chasser un mauvais rêve et revient à son pupitre. Il prend une plume de cygne et la taille minutieusement en biseau. Dans de petites cornes, il prépare une riche palette de couleurs, privilégiant les bleus et les jaunes. Un scribe a déjà écrasé les végétaux et les minéraux dans des mortiers et le moine dilue les pigments de lapis-lazuli ou d’indigotier pour obtenir une gamme de bleus. Il n’utilisera pas d’or mais de l’orpiment pour donner de merveilleux effets dorés. Il a aussi près de lui des encres rouge orangé venant du minium et de la céruse, du rouge kermès issu du corps fécondé de Kermoccus vermilio, du noir extrait des galles de chêne, des mauves, des marrons et des pourpres qui proviennent de la Crozophora tinctoria. A sa gauche, sur le mur du chauffoir, un autre moine vérifie le séchage des enluminures. Il doit appliquer un glacis translucide pour créer des effets de relief. Il a tout le loisir alors d’admirer les initiales des lignes ou des chapitres, ces lettrines ornées extrêmement inventives avec des figures humaines, dynamiques et convulsées, des animaux luttant ou s’entrelaçant acrobatiquement, des dessins géométriques. Les initiales plus simples sont agrémentées de dessins curvilignes et de pointillés. Ses encres prêtes ainsi que règles et compas, son vélum tendu, Alberic’h joint les mains et médite. Il imagine une exubérante décoration en spirales qui remplit les cercles et qui ne cesse de changer pour créer, à chaque fois, une nouvelle intensité. Sa conception «perpetuum mobile» lui semble d’une clarté limpide... Ce folio quarante-trois sera une page décorative. ettres enluminées lphabet magique L’art celte est aujourd’hui une source d’inspiration notable pour les brodeuses au point de croix. Ses riches ornementations, la recherche extrême qu’il a développée autour de la lettre, les couleurs chatoyantes qu’il a empruntées à la nature sont autant de raisons qui expliquent sans doute cet engouement. Brodeuses d’aujourd’hui et enlumineurs du temps passé s’accordent au moins sur l’amour de l’alphabet, personnage central de leur travail. Ainsi l’art celte est-il rythmé par des manuscrits prestigieux qui témoignent du geste incomparable des enlumineurs, de même que l’art modeste du point de croix s’articule autour des marquoirs des brodeuses d’antan. Mais l’art celte n’est pas né du hasard. Moyen d’expression de communautés isolées et cependant liées par une culture commune, il résulte d’une histoire courant sur plusieurs millénaires. C’est un art d’artisans, donc un art de rigueur. A ignorer ses racines, son évolution et sa signification, on ne saurait l’utiliser que comme une coquille vide de sens. Des repères, des techniques, mais aussi une rêverie dans les méandres d’une culture toujours d’actualité, voilà à quoi vous convie ce dossier... Point de mire - 3 - Il veut que la composition de la première grande initiale puisse s’expliquer à la lumière du texte d’Alain sur "les quatre rivières des vertus qui, jaillissant du paradis lumineux et régénérateur, irriguent toute la surface de l’église chrétienne". Les courbes de l’initiale pourraient représenter les flots qui se jettent dans les estuaires d’énergie tourbillonnante émanant du Christ. Dans sa méditation, Frère Alberic’h voit aussi des chats et des souris, une loutre attrapant un poisson, un ange à la chevelure flottante, des motifs à trompettes, des spirales, tout un foisonnement d’entrelacs. Il sait que tous ces détails cumulent les symboliques de l’air, de la terre et de l’eau. Ce folio quarante-trois sera la page Christi Autem. Quand il aura terminé cette merveilleuse enluminure, Alberic’h confiera son vélin à Cuthbert, moine copiste très renommé pour la perfection de sa calligraphie. Il s’est longtemps exercé sur des tablettes de cire. Alors maintenant, sans hésitation, sa plume d’oie imbibée d’encre à la suie tracera les semi-onciales irlandaises bien rondes et régulières. Alberic’h crée cette initiale si parfaite que l’on dirait "un travail d’ange". A ses côtés, un autre enlumineur termine une vierge assise tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux. Près de la fenêtre, Frère Arnagh trace au compas la multitude de spirales qui composera la page-tapis face à la généalogie du Christ. Dans le scriptorium, le silence est dense. L’évangéliaire auquel travaillent ces moines requiert un art superbement maîtrisé pour créer un langage symbolique aux dimensions de l’Indicible. Frère Alberic’h sourit... le travail sera encore long. Auront- ils le temps de le réaliser dans la quiétude d’Iona, si chère au coeur de Saint Columba ? Ainsi rythmés par les prières et de frugaux repas, passent les jours d’été. A l’horizon, les collines de Mull se teintent d’ocre, la mer prend de plus en plus souvent des reflets de plomb fondu. ... pour gagner Kells ... pour gagner Kells ... pour gagner Kells ... pour gagner Kells ... pour gagner Kells Las ! des pirates scandinaves, venus des Orcades, écument les Hébrides. Leurs drakkars arrogants franchissent Little Minch et accostent déjà sur Skye. Combien de temps mettront-ils pour descendre sur Mull ? A Iona, les moines se préparent à quitter le monastère. Leur évangéliaire fait l’objet de soins attentifs lors de leur traversée vers l’Irlande où ils se réfugient, dans un autre monastère de Saint Columba : Kells, en bordure de la Blackwater. Frère Alberic’h se rend à l’église. Bien protégée au centre d’une enceinte circulaire, elle lui semble le lieu idéal pour conserver le livre des Évangiles dès qu’il aura reçu sa couverture d’or : the book of Kells est né ! C’est le soir, la brume dissout doucement les murs gris du monastère et les prières de complies sanctifient le repos de la nuit. Skye Mull - 4 - D'est en ouest : les celtes D'est en ouest : les celtes D'est en ouest : les celtes D'est en ouest : les celtes D'est en ouest : les celtes construisaient l'Europe construisaient l'Europe construisaient l'Europe construisaient l'Europe construisaient l'Europe Le terme "celte vient du grec "keltoi", qui désignait les barbares des régions tempérées de l’Europe, ces habitants du nord des Alpes et du cours supérieur du Danube, au VIème siècle avant Jésus-Christ. Les préhistoriens estiment que la culture celte de la période Hallstatt commence à l’âge de fer, aux environs de 700 avant J.-C. La culture hallstatienne tire son nom du site archéologique autrichien d’Hallstatt. On en trouve d’ailleurs en Côte-d’Or une superbe illustration avec le vase de Vix, conservé au musée de Châtillon-sur-Seine et découvert dans la sépulture probable d’une princesse celte, inhumée 500 ans avant notre ère. Les archéologues appellent laténienne l’époque culturelle suivante, du nom du site suisse de La Tène. Cette époque commencerait au milieu du Vème siècle avant J.-C. et se prolongerait jusqu’à l’arrivée des Romains au IIIème siècle avant notre ère. À l’époque de La Tène, les Celtes étaient très dispersés. Ils entrèrent en contact avec les populations des territoires qu’ils occupaient mais aussi avec les colonies de Carthage, de Grèce, puis avec celles de Rome. En Grande-Bretagne, terre indépendante jusqu’à l’arrivée de l’empereur Claude en 43 après J.- C., le substrat culturel celte persista plus longtemps. A partir du IVème siècle de notre ère, les Celtes insulaires adoptèrent la foi chrétienne et c’est aussi bien à l’Église qu’aux dirigeants de nouveaux royaumes que revinrent les fonctions de mécènes nécessaires au renouveau de l’art celte. L’Irlande christianisée au Vème siècle par Saint Patrick est déjà riche d’une longue tradition artistique qui remonte à l’âge de la pierre. Les thèmes de l’art celte sont fortement liés à l’histoire des peuples. Il se caractérise avant tout par son éclectisme et sa diversité. Pour analyser leur relation, il faut distinguer deux grandes traditions : l’une attachée à l’art païen, et l’autre, celle qui nous intéresse plus particulièrement, représentative de l’art chrétien. L’art païen se développe simultanément en Europe continentale, ainsi qu’en Grande- Bretagne et en Irlande. L'art païen des premiers L'art païen des premiers L'art païen des premiers L'art païen des premiers L'art païen des premiers temps temps temps temps temps En Europe continentale, l’art laténien s’épanouit environ du Vème au Ier siècle avant J.-C., période de la conquête de la uploads/s3/ art-celtique.pdf

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