Droit et cultures Revue internationale interdisciplinaire 51 | 2006 : Prière(s)

Droit et cultures Revue internationale interdisciplinaire 51 | 2006 : Prière(s) et Droit Procréation médicalement assistée Droit de la filiation et procréation médicalisée : une coexistence difficile Law of filiation and medically assisted procreation: difficult coexistence MARIE-FRANCE NICOLAS-MAGUIN p. 123-132 Résumés Les techniques médicales ont le pouvoir de bouleverser le processus de la procréation. Le médecin en devient un acteur essentiel. Cette désincarnation de la procréation atteint les concepts de la filiation plus ou moins largement à travers deux ruptures, la rupture du lien entre procréation et sexualité et la rupture temporelle que permet la congélation des gamètes et de l’embryon. Il appartient à la loi d’intégrer ou d’ignorer ces atteintes. Le droit français a fait le choix de l’intégration sélective puisque la procréation médicalement assistée est considérée comme un remède à la stérilité pathologique et non un mode alternatif de reproduction. Ce choix recèle des contradictions qui illustrent la difficulté de l’exercice. Law of filiation and medically assisted procreation: difficult coexistence Medical technology has the power drastically impact the procreation process. The doctor becomes a major actor in this process. This disembodiment of procreation more or less affects the filiation concepts through two “kinds of breaking”, breaking the link between procreation and sexuality and breaking the temporal link made possible by freezing gamets and embryo. It is task of the law to incorporate or ignore these gaps. French law has chosen selective integration since medically assisted procreation is considered as a remedy to pathological sterility and not as an alternative mode of reproduction. This choice hides contradictions showing how difficult this exercise is. Entrées d'index Mots-clés : droit français, procréation médicalisée, droit de la filiation, sexualité, lien biologique Keywords : Law, filiation, medically assisted procreation, contradictions Texte intégral Droit de la filiation et procréation médicalisée : une coexistence difficile http://droitcultures.revues.org/861 1 sur 9 05/11/2012 18:36 Click here to buy A B B Y Y P D F T r a n s f o r m e r 2 . 0 w w w . A B B Y Y . c o m Click here to buy A B B Y Y P D F T r a n s f o r m e r 2 . 0 w w w . A B B Y Y . c o m L’intervention de la médecine dans le domaine de la procréation soulève des problèmes multiples et complexes. En effet, les pratiques cliniques associées aux techniques biologiques en permettant la création de la vie humaine dans les éprouvettes d’un laboratoire, bouleversent nos concepts les plus familiers : procréation, grossesse, paternité, maternité, descendance, généalogie. 1 Il est nécessaire de préciser d’emblée que le bouleversement induit par la médicalisation de la procréation sur la filiation de l’enfant à naître est très variable : pour mesurer l’amplitude des variations, il suffit d’évoquer l’intervention minimale qu’est la procréation en éprouvette d’un embryon issu des gamètes d’un couple hétérosexuel. Celle-ci ne modifie que le mode de conception sans atteindre le fondement de la filiation puisque la filiation juridique et biologique coïncident. L’on peut évoquer au contraire le clonage reproductif qui permettrait de mettre au monde un enfant issu d’un seul individu et donc de porter atteinte au caractère sexué de la reproduction humaine. 2 Puisque la finalité de ces techniques est la procréation et donc la naissance d’un enfant, leur succès soulève la question de l’intégration de ces pratiques dans le droit de la filiation. 3 Cette intégration est en effet l’un des enjeux majeurs des procréations médicalisées, car elle oblige à se pencher sur « cette singulière énigme qu’est la filiation »1 et suscite donc des tensions entre le possible – ce que la science peut réaliser – et ce que chaque société considère comme légitime. Le débat est public et les médias l’alimentent en donnant un retentissement spectaculaire aux situations marginales. A cet égard, rappelons la résonance médiatique donnée à la maternité d’une institutrice retraitée, âgée de plus de soixante ans qui, après avoir bénéficié d’un don d’ovule aux Etats-Unis, s’était fait ensuite inséminer avec le sperme de son frère. L’enfant issu de ces manipulations était un enfant incestueux et la femme avait dépassé le terme de la fécondité naturelle, ce qui constituait une double violation des règles du droit français2. 4 Cet exemple est une illustration parmi d’autres de la puissance de la technique dans le domaine de la reproduction humaine, intervention qui, par ricochet, déstabilise le droit de la filiation, suscite une grande perplexité, des débats passionnés, et l’on s’interroge sur la possibilité de produire l’homme et de quel droit3 ? 5 Les questions soulevées par la procréation médicalisée sont multiples. Un certain nombre d’entre elles et non des moindres, précèdent mais débordent, tout en lui étant liées, la question de la filiation de l’enfant issu de ces techniques. Il s’agit des activités de recueil, de conservation et de transmission des gamètes que nous n’évoquerons qu’indirectement. 6 Les choix opérés en France par les lois du 29 juin 1994 et du 6 août 2004, par les lois dites bioéthiques, forment pour l’essentiel un ensemble cohérent même si certains choix paraissent difficiles à intégrer. Les règles applicables sont dispersées dans le Code civil et dans le Code de la santé publique qui confie à des établissements autorisés et contrôlés par l’administration les activités médicales liées à procréation médicalisée4. 7 La difficulté de coexistence des procréations médicalisées et du droit de la filiation naît de l’atteinte faite par la technique médicale aux concepts de la filiation. L’atteinte concerne aussi bien des concepts « fondamentaux » tels que la reproduction sexuée que d’autres concepts plus techniques tels que la présomption de paternité. 8 La filiation est un concept d’essence politique au sens propre du terme5 et il appartient au politique de construire la relation entre procréation médicalisée et droit de la filiation. La dissociation entre procréation et sexualité a faît naître une revendication d’un « droit à l’enfant » que la société française refuse de consacrer et qui se situe au cœur de l’antagonisme contemporain entre l’individualisme et le 9 Droit de la filiation et procréation médicalisée : une coexistence difficile http://droitcultures.revues.org/861 2 sur 9 05/11/2012 18:36 Click here to buy A B B Y Y P D F T r a n s f o r m e r 2 . 0 w w w . A B B Y Y . c o m Click here to buy A B B Y Y P D F T r a n s f o r m e r 2 . 0 w w w . A B B Y Y . c o m social. L’intégration par le droit de la filiation des procréations médicalisées est un enjeu majeur de ce débat et la réponse apportée par le droit français illustre la difficulté des choix opérés par le législateur. La filiation juridique est un système normatif complexe construit autour d’un modèle6 qui combine nature et volonté. La procréation, fait biologique, est la donnée première mais non exclusive, à laquelle se combinent la volonté et la réalité affective et sociale. 10 L’irruption de la médecine dans le domaine de la reproduction humaine, dominé jusqu’alors par les lois de la nature, a permis de dissocier ce qui jusqu’alors paraissait ne pouvoir l’être. 11 La procréation naturelle est restée longtemps inaccessible à toute intervention extérieure. La procréation médicalisée permettant une conception en dehors du corps de la femme dissocie donc la sexualité de la procréation, même si elle ne l’exclut pas en fait. Dans ce contexte, ce n’est pas la relation sexuelle entre un homme et une femme qui crée l’embryon humain mais le médecin qui unit des gamètes, celles-ci pouvant être celles du couple mais aussi étrangères au couple. 12 Une femme peut donc désormais être mère sans avoir de relations sexuelles mais pour que la conception de l’embryon soit possible, il est nécessaire que soient disponibles les gamètes manquants. Ceux-ci sont recueillis en France dans des établissements qui ont bénéficié d’une autorisation administrative mais ils sont aussi disponibles moyennant finance dans des établissements étrangers, ce qui encourage le tourisme procréatif. Ainsi pour répondre à la demande de femmes seules et de lesbiennes vivant en couple, des cliniques étrangères spécialisées offrent à leurs clientes, sperme et ovules provenant de donneurs et donneuses anonymes7. 13 L’expérimentation en matière de reproduction humaine permet donc non seulement de rompre le lien entre sexualité et procréation mais pourrait dans un avenir proche approfondir cette rupture par la transgression du caractère sexué de la reproduction en niant la dualité homme/femme. Un embryon pourrait être créé à partir du patrimoine génétique de deux femmes8. 14 Nul n’ignore le fantasme du clonage reproductif, actuellement fermement condamné9. 15 Cette rupture atteindrait, à l’évidence, de plein fouet le droit de la filiation qui est construit sur le schéma de la procréation naturelle et donc autour de la distinction entre filiation maternelle et filiation paternelle. 16 En effet, en faisant abstraction de la filiation adoptive qui est une filiation non charnelle, la filiation, uploads/s3/ droit-de-la-filiation-et-procreation-medicalisee-une-coexistence-difficile 1 .pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager