Gledhill, Christopher (2009b). Vers une analyse systémique fonctionnelle des ex

Gledhill, Christopher (2009b). Vers une analyse systémique fonctionnelle des expressions verbo-nominales. Dans David Banks, Simon Easton & Janet Ormrod (réds.), La Linguistique systémique fonctionnelle et la langue française. Paris : L’Harmattan. pp 89-126. (PDF) Vers une analyse systémique fonctionnelle des expressions verbo-nominales Christopher GLEDHILL Université March Bloch, Strasbourg I. Introduction Les expressions verbo-nominales (VN) constituent une catégorie de constructions dont les exemples suivants sont assez représentatifs: avoir besoin, faire son boulot, mettre un bémol, porter bonheur, prendre son bain. Toutes ces constructions comportent un verbe (V) denotant un procès générique et un nom (N) précisant la Portée1 sémantique de l’expression (Banks 2000, Gledhill 2007). Mais si ces expressions se ressemblent sur le plan sémantique, elles ont des propriétés syntaxiques assez différentes. Les expressions VN sont souvent apparentées à des V simples (prendre un bain : se baigner, mettre un bémol : bémoliser), mais pas toujours (avoir besoin : ?besogner, faire du boulot : ?boulotter, porter bonheur : ??). Certaines expressions VN permettent le passif (mon boulot est fait), tandis que d’autres y résistent (?un bémol a été mis). De même, certaines constructions VN permettent la commutation du V (faire son bonheur : trouver son bonheur), tandis que d’autres ne permettent qu’un seul V 1 Les termes appartenant spécifiquement au modèle systémique fonctionnel (Halliday 1985, Halliday & Matthiessen 2004) sont marqués ici par une majuscule. (mettre un bémol : ?donner un bémol). Enfin, certaines constructions permettent plusieurs types de modification du N (avoir des besoins, faire des petits boulots), tandis que d’autres n’en permettent aucune (porter ? des bonheurs). Est-il possible, ou même souhaitable, de postuler une seule catégorie pour ces expressions? En effet, beaucoup de linguistes considèrent qu’il est nécessaire d’établir plusieurs catégories lexicales intermédiaires. C’est notamment le cas de la grammaire générative, qui propose la catégorie de ‘prédicat léger’ par rapport au ‘prédicat nominal’ (Björkman 1978, Kearns 1989). D’autres soulignent les rapports réciproques entre les constructions à ‘verbe support’ et leurs verbes simples équivalents. Ils parlent ainsi de ‘constructions converses’ (Gross 1989, 2005), ou ‘verbes étendus’ (Allerton 2002). Ici, nous nous proposons de démontrer que ces analystes sont allés trop loin. En effet, il n’y a aucune propriété syntaxique qui rende l’ensemble ou même une partie de ces expressions uniques par rapport aux autres co-occurrences VN que l’on peut trouver en français. Néanmoins, nous n’avons pas l’intention de suivre Pottelberge (2000), qui renonce à toute caractérisation. Notre but est de présenter plutôt un système d’analyse global des constructions VN du point de vue de la grammaire systémique fonctionnelle. Nous proposons d’analyser les expressions VN au même titre que toute séquence VN, à condition de rendre compte de trois facteurs : a) la fonction syntaxique du groupe verbal (GV) et du groupe nominal (GN), b) le procès sémantique exprimé par le GV et le rôle joué par le GN, c) le statut sémiotique de l’expression entière. Sur le plan syntaxique (a), le N dans la locution avoir besoin est une Extension structurelle d’un GV complexe. Par contre, dans prendre son bain le GN son bain est un Complément indépendant. Sur le plan sémantique (b), les GN dans avoir besoin et prendre son bain expriment la Portée lexicale du Prédicat. Mais une analyse aux niveaux (a) et (b) ne suffira pas : il est aussi nécessaire d’examiner les propriétés paradigmatiques (contrastives) et phraséologiques (référentielles) de ces expressions ; autrement dit leur statut sémiotique (c). Les questions de ce genre ne sont guère posées dans la littérature syntaxique ou lexicologique. Dans la section suivante, nous proposons la notion de ‘signe complexe’ (Gledhill & Frath 2005) pour distinguer d’une part entre les ‘collocations VN’ (observables dans un corpus de textes) et les ‘expressions VN’ (ayant le statut d’une unité phraséologique). 2. Locutions, synthèmes et signes complexes Les grammairiens et les lexicographes rangent beaucoup des expressions qui nous intéressent ici dans la catégorie des ‘locutions verbales’. Une locution est un mot complexe avec la même fonction qu’une catégorie lexicale simple (Rey & Chantreau, 2003, vi). Les locutions sont ainsi des groupes de mots figés par un processus historique de lexicalisation (So 1991, Brinton & Akimoto 1999). Les exemples les plus frappants se forment autour d’un ‘fossile lexical’, un élément archaïque et lexicalement non-productif (Strömberg 2002). Les fossiles peuvent figurer à chaque rang de la stratification grammaticale, mais il semblerait que la plupart se forment au niveau du groupe : Rang Fossile (souligné) Proposition il y a belle lurette Syntagme verbal se mettre martel en tête, sans coup férir Groupe adjectival les bras ballants, mal famé Groupe adverbial aujourd’hui, peu ou prou Groupe conjonctif n’empêche que, pourvu que Groupe nominal pierre d’achoppement, rez-de-chaussée Groupe prépositionnel sous la férule de, à l’instar de Groupe verbal avoir maille à, faire la nouba On peut voir que le fossile maille fait partie d’une structure lexico- grammaticale étendue : avoir maille à partir avec quelqu’un, un Prédicateur complexe qui exprime un procès sémantique dans lequel un V grammatical (complexe) sert à introduire un V lexical (complexe). Mais quelle est la signification de maille dans cette séquence ? Nous avons suggéré (Gledhill & Frath 2005) que même si les fossiles sont plus ou moins opaques, ils ont néanmoins une fonction contrastive au sein de leurs expressions respectives. Les fossiles sont ainsi des monèmes (des éléments contrastifs) possédant le même potentiel référentiel que les autres unités du lexique. Les fossiles sont par ailleurs intégrés dans des structures lexico-grammaticales de la langue : ce sont des complétifs (en catimini), des qualifieurs ou extensions (pierre d’achoppement, peu ou prou), des modifieurs ou intensifieurs (rez-de-chaussée, pourvu que) et parfois des noyaux (mal famé). L’intégration d’un fossile lexical comme maille dans un Prédicateur complexe est ainsi un moyen très productif de créer de nouveaux lexèmes : selon Brinton et Traugott (2005), c’est la fonction même de la lexicalisation. Pour les grammairiens (Riegel et al. 1994, 232-233, Wilmet 2003, 163), les locutions verbales sont des ‘idiomes’ caractérisés par l’absence ou le figement de l’article (faire + face / froid / peur). Selon cette perspective, le manque de détermination dans ces expressions correspondrait à la perte d’indépendance référentielle du N et son intégration au sein du GV. Mais, il est possible d’arriver à une autre explication. Par exemple, la séquence faire + N exprime souvent des procès Relationnels ou Mentaux avec un sémantisme parfois très régulier : faire + beau, chaud, froid… faire + éclat, face, honte, peur, rage … faire + banqueroute, chou blanc, défaut, erreur, faillite, fausse route…. De même, la séquence faire + le / la + N exprime souvent des procès Matériels ou Comportementaux : faire la + fête, foire, java, nouba …, faire le + amour, beau, con, enfant, fier, point.... Ces prosodies ne peuvent être expliquées par la présence ou l’absence de l’article ; ce sont plutôt des paradigmes formés par analogie à un emploi prototypique. Les séquences de ce type ressemblent aux « constructions », de Goldberg (1995) ou aux « lexical patterns » de Hunston et Francis (2000). Selon ces deux approches, les séquences grammaticales possèdent des prosodies sémantiques régulières indépendamment des lexèmes spécifiques dont elles sont composées (Louw 1993). Nous verrons plus loin que les constructions VN n’échappent pas à cette tendance générale. L’aspect paradoxalement productif du figement a été souligné par Martinet, qui utilise le terme synthème pour toute expression idiomatique dans laquelle il est possible de reconstituer les processus de composition (chemin de fer, poser une question). Le synthème est un « monème complexe » : […] il s’agit d’une unité linguistique signifiante, désignant une notion bien définie, mais où la forme permet de distinguer des éléments successifs porteurs au départ de sens distinctifs. (1999, 11) La cohésion du synthème dépend de sa fonction syntaxique. Les critères de sa définition sont ainsi: a) l’impossibilité de déterminer individuellement les monèmes constituants, b) l’obligation de tout synthème de s’intégrer dans une classe préétablie de monèmes. (1999, 15) Mais la littérature sur les parties de discours semble indiquer qu’il est difficile, sinon impossible, de déterminer des « classes préétablies de monèmes » (Boisson et al. 1994, Pottier 1994, Sinclair 1991, 1996). De même, on peut se demander s’il est utile de citer des locutions hors contexte comme au fur et à mesure (adverbe ou préposition ?) ou avoir maille à (locution verbale ?), car ces expressions n’ont pratiquement aucune existence sans des contextes plus étendus (au fur et à mesure + de / que , avoir maille à + partir avec quelqu’un). Il n’est donc pas suffisant de pouvoir catégoriser les phénomènes comme les locutions ou les synthèmes : le fait d’accorder à certaines expressions VN une étiquette comme ‘locution verbale’ ne constitue pas, à notre avis, une explication du phénomène. Comment pouvons-nous discuter alors des expressions VN sans référer à des catégories a priori? Dans Frath & Gledhill (2005) et Gledhill & Frath (2007) nous avons développé une analyse unifiée des expressions phraséologiques basée sur la notion de « dénomination » (Kleiber 1984). Une dénomination est un signe qui nomme ou réfère à un objet de pensée stable. uploads/s3/ expressions-verbo-nominales.pdf

  • 56
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager