Daniel-Henry Kahnweiler le galeriste qui fit le pari du cubisme Que seraient de

Daniel-Henry Kahnweiler le galeriste qui fit le pari du cubisme Que seraient devenus Vlaminck, Derain, Picasso… sans lui ? Visionnaire, ce marchand de génie a soutenu activement les peintres et accompagné la révolution artistique Daniel-Henry Kahnweiler en 1913 par André Derain (détail). Encre de Chine sur papier ; 32,5 x 15 cm Juan Gris : Daniel-Henry Kahnweiler, Daniel-Henry Kahnweiler c. 1910-1911; Picasso's Portrait of Daniel-Henry Kahnweiler. 1910 Kahnweiler à son bureau lisant le journal, rue Monceau devant un tableau (photo Brassaï) Kahnweiler avec Picasso • « C'est ce salaud de Léonce ! » L'arrivée du marchand d'art Léonce Rosenberg met Drouot en émoi. Car l'homme s'est démené comme un diable pour qu'aboutisse la vente du stock de son confrère l'Allemand Daniel-Henry Kahn weiler. En cette matinée du 13 juin 1921, des centaines de pièces signées Vlaminck, Derain, Picasso, Braque, Gris, Léger ou Van Dongen, saisies dans sa galerie à Paris pendant la Grande Guerre, sont mises aux enchères à des prix dérisoires, au titre des réparations non payées par l'Allemagne à la France. • • T out ce que compte le monde de l'art français et européen s'est donc donné rendez-vous à Drouot. Il y a là les grands marchands, les surréalistes André Breton et Paul Eluard, un architecte répondant au pseudonyme de Le Corbusier et presque tous les peintres de Kahnweiler, d'autant plus furieux contre Léonce Rosenberg qu'il a eu le culot de se faire nommer expert de la vacation. Georges Braque (1882-1963), le premier, explose, comme le raconte Pierre Assouline dans une indispensable biographie consacrée au marchand allemand. « C'est toi le responsable de cette braderie » assène-t-il à Rosenberg, en lui collant son pied au derrière. Et un autre. Beaucoup d'autres. Le coup est parti tout seul, en mémoire des belles années de la galerie Kahn weiler, de ce marchand assez fou pour avoir saisi l'enjeu du cubisme, pour avoir porté, écouté, encouragé ces peintres à peine connus. « Cochon normand », s'étrangle Léonce à bout d'arguments. « Braque a raison, rétorque Matisse. Cet homme a volé la France. » Déceleur d'une révolution picturale • • Daniel-Henry Kahnweiler avait débarqué à Paris le 22 février 1907 pour ouvrir sa galerie. Issu d'une famille juive de la bourgeoisie allemande ayant fait fortune dans la finance, le jeune homme a convaincu les siens de le laisser tenter sa chance comme marchand d'art. Il a mille livres anglaises en poche, un an pour réussir et une idée fixe : défendre les artistes de sa génération. • • Il lui faut d'abord trouver un local du côté de la Madeleine, où s'installent désormais les galeries. Un minuscule atelier niché 28, rue Vignon lui paraît parfait pour commencer. Il se rend ensuite au Salon des Indépendants pour faire son marché. Et craque pour des tableaux fauves signés Maurice de Vlaminck (1876-1958) et André Derain (1880-1954). La violence du premier lui plaît, qui tranche avec la douceur du second. Braque aussi retient son attention avec ses paysages encore brûlants, rapportés de l'Estaque. • Et puis il y a Picasso. C'est son compatriote, le collectionneur et critique d'art Wilhelm Uhde, qui l'a mis sur la piste de l'Espagnol. « Va le voir. Il vient de réaliser un tableau très étrange. » Kahnweiler prend donc la route du Bateau-Lavoir, où Picasso occupe un atelier. Dans un coin, une drôle de toile effectivement : Les Demoiselles d'Avignon. Puissante et dérangeante avec ses cinq femmes nues aux corps déformés, représentées à la fois de profil, de trois quarts, de face et de dos. « C'est admirable », lâche le marchand, ébranlé. • Picasso reprend espoir. Enfin, quelqu'un est prêt à le soutenir dans cette voie. « La solitude morale [de Picasso] à cette époque était quelque chose d'effrayant [...]. Le tableau qu'il avait peint paraissait à tous quelque chose de fou ou de monstrueux », confiera le marchand au journaliste Francis Crémieux, en 1960, dans un entretien radiophonique. Lui a bien compris la révolution picturale qui se jouait là, portée ensuite par Braque, Fernand Léger (1881-1955) et Juan Gris (1887-1927), ces cubistes qui déconstruisent l'espace, les objets et les corps en formes géométriques, s'affranchissent du réel et de la perspective. Sous son aile, Gris, Léger, Braque et Picasso • • A Derain, Vlaminck, Braque et Picasso, à Léger à partir de 1910, à Gris trois ans plus tard, Daniel-Henry Kahnweiler offre un contrat. Il leur réclame l'exclusivité de leur production, dont il fixe lui-même le prix de vente. En échange, chacun reçoit un salaire mensuel, que les toiles se vendent ou non, comme le faisait Durand-Ruel avec les impressionnistes. Grâce à cette rémunération, les artistes n'ont pas à s'occuper des contingences matérielles. « C'est ce qui a rendu le cubisme possible », souligne Jeanne-Bathilde Lacourt, commissaire de l'exposition du LaM. • • Pour faire tourner sa galerie, Daniel-Henry Kahnweiler sait qu'il doit s'appuyer sur un noyau de collectionneurs fidèles. Le marchand les appelle dès qu'il y a un arrivage et envoie des photos à ceux qui ne peuvent se déplacer. Car il a pris l'habitude, inédite, d'immortaliser chacune des pièces de son stock. Cela lui permet aussi de faire connaître le travail de ses poulains dans les revues d'art étrangères, et aux peintres de comparer leurs dernières œuvres avec des tableaux déjà vendus. • • Chaque matin, après avoir scrupuleusement répondu à son courrier, Kahnweiler se rend dans l'atelier de chacun, discute art. Il tient Gris, dont il est le plus proche, pour un peintre classique, tant la construction prime dans ses tableaux. Chez Léger, qui lui sera éternellement reconnaissant d'avoir pu vivre de sa peinture, il prise les formes circulaires, le travail sur la couleur et le dynamisme des structures, moins rigides et moins systématiques que celles de Braque. Il entretient avec celui-ci des relations professionnelles suivies alors qu'elles sont en dents de scie avec Picasso, qui le subjugue par sa manière de faire feu de tout bois. Crises et désunions • • La guerre de 1914 cueille Kahnweiler par surprise à Rome. Lui qui anticipe toujours tout ne l'a pas vue venir, trop occupé à gérer sa galerie. D'autant que les affaires marchent bien, permettant à tout ce petit monde de gagner plus d'argent chaque année. « Me battre pour l'Allemagne était absolument impossible pour moi, expliquera-t-il à Crémieux. Je me suis demandé si je devais venir en France comme volontaire, et finalement j'ai écarté cette idée- là aussi. » Il se replie sur la Suisse. Au fil du conflit, faute de liquidités, il ne peut plus assumer les salaires de ses artistes. Le voilà obligé de les laisser filer vers d'autres marchands. Une aubaine pour Léonce Rosenberg et son frère Paul. • • Le retour de Kahnweiler à Paris, le 20 février 1920, s'apparente à une reconquête. Il n'a plus rien. Ni peintres ni stock, puisqu'il a été saisi pendant la guerre. La bande formée avant 1914 par les cubistes, Derain et Vlaminck a volé en éclat. Comme si la galerie de la rue Vignon était leur seul lien. Kahnweiler est décidé à retrouver sa place. Il ouvre un nouvel espace au 29 bis, rue d'Astorg, dans le 8e arrondissement, la galerie Simon, du nom de son associé, et parvient à y amener tous ses peintres à l'exception de Picasso. • Mais Braque, Vlaminck et Derain le quittent bientôt définitivement. Le premier pour des raisons financières. Les deux autres parce qu'ils ne se reconnaissent plus dans la peinture cubiste qu'il défend obstinément. • Il lui faut affronter la liquidation de son stock à Drouot. Contrairement aux élucubrations de Léonce – persuadé que la vente du 13 juin 1921 ferait la part belle au cubisme –, Kahnweiler sait qu'aucun marché n'est capable d'absorber autant de tableaux d'un coup. D'ailleurs, il préfère ne pas assister aux enchères. Comme prévu, Derain obtient les meilleurs prix. Jusqu'à 18 000 francs pour le Portrait de Mme Kahnweiler, acquis par Paul Rosenberg. Les autres s'en sortent tant bien que mal. L'Homme à la guitare, de Picasso, estimé à 2 000 francs, s'envole pour 3 100 francs. Gris ne dépasse pas les 850 francs. Louis Aragon emportera un Braque pour 240 francs. Voir sept années de travail acharné ainsi balayées a sans doute donné à Daniel-Henry Kahnweiler cette énorme force de résistance qui lui permettra de tenir. A peine a-t’il mis sur pied sa nouvelle galerie qu'il subit en effet les crises économiques de 1922 et 1929. Surtout qu'il n'a pas retrouvé de peintres de la puissance des cubistes. Le Front populaire lui redonne espoir, mais la guerre d'Espagne, deux mois plus tard, laisse présager le pire. Et le pire arrive. Kahnweiler parvient à fuir pour le Limousin en juin 1940. Pour qu'il puisse échapper aux lois raciales, sa belle-sœur, Louise Leiris, l'épouse du poète, qui travaille avec lui depuis des années lui sert de prête-nom. • • • L'après-guerre est plus apaisée. D'autant que Picasso en fait désormais son seul et unique marchand. Le voilà ambassadeur du maître, conférencier spécialiste du cubisme réclamé aux quatre coins de la planète, tandis uploads/s3/ kahnweiler-daniel-henry.pdf

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